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14 juin 2022 2 14 /06 /juin /2022 14:45
Stéphane Kerecki Quintet © Marc Chesneau

Stéphane Kerecki Quintet © Marc Chesneau

Cela fait longtemps que je n’ai pas écrit pour ce blog. Depuis le 25 mars exactement. La promotion de mon livre, “De la musique plein la tête”, dont je vous conseille la lecture cet été*, mon désintérêt pour un jazz aujourd’hui largement entre les mains de techniciens, de musiciens acrobates qui jouent beaucoup de notes mais ont peu de musique à proposer, expliquent partiellement mon silence. J’avoue donc quelque peu délaisser l’actualité du jazz, son flot permanent de nouveautés, préférant lire, voir des films et réécouter de vieux albums, des disques d’hier souvent plus modernes et inventifs que ceux que l’on peut entendre aujourd’hui. Difficile toutefois de rester indifférent lorsque un nouveau disque de Marc Copland, de Fred Hersch ou d’Enrico Pieranunzi me parvient, de ne pas le glisser dans le tiroir de mon lecteur de CD pour en goûter au plus vite la musique. D’autres albums aussi donnent envie, s’écoutent avec bonheur. En voici quelques-uns. Il y en a d'autres, mais vous patienterez un peu pour les découvrir. Puissent ces brèves chroniques ensoleiller votre été.

*Ouvrage à commander chez votre libraire ou sur le site de l’éditeur www.lessoleilsbleus.com

Enrico Pieranunzi sera à Paris pour deux concerts en trio au Sunside les 26 et 27 août. En attendant, le maestro vient de publier deux albums qui ne se ressemblent pas. Enregistré au Village Vanguard en janvier 2016, “The Extra Something” (CamJazz) est un disque de bop moderne qui rassemble autour du pianiste des musiciens américains. Diego Urcola (trompette et trombone), Seamus Blake (saxophone ténor), Ben Street (contrebasse) et Adam Cruz (batterie), tous excellents, poussent Enrico à jouer un piano énergique, leur hard-bop fiévreux enthousiasmant le public new-yorkais. 

 

Enregistré en studio à Copenhague, “Something Tomorrow” (Storyville) relève davantage d’un jazz de sensibilité européenne. Accompagné par Thomas Fonnesbæk, jeune prodige de la contrebasse, et André Ceccarelli dont le drumming souple et aéré fait merveille, Enrico Pieranunzi pose de tendre couleurs sur ses musiques et les habille d’harmonies délicates. Les trois hommes dialoguent, font danser leurs notes et nous offrent des versions lumineuses de The Heart of a Child et Suspension Points, deux ballades aux mélodies inoubliables.

Un autre pianiste, Ketil Bjørnstad, profita du confinement pour participer à Oslo, en avril 2020, à un concert improvisé de piano solo en streaming, la salle étant vide d’auditeurs. Aujourd’hui édité en CD et en DVD  “New Morning” (Grappa) contient d’excellents moments. Âgé de 70 ans et auteur de plus de 70 albums – je ne connais que ses enregistrements pour ECM, “La notte” (publié en 2013), en sextet, étant particulièrement réussi – le pianiste norvégien assume un jeu souvent lyrique, invente des mélodies séduisantes, certaines d’entre-elles ressemblant à des hymnes. Malgré quelques moments moins convaincants lorsque l’instrument gronde et devient percussif (Forever Prokofiev), cette longue suite, changeante comme les couleurs du ciel, s’écoute avec plaisir.

Également en solo “Blue Songs” (DLM éditions) du pianiste Denis Levaillant rassemble onze mouvements enregistrés et inventés sur l’instant, certains inspirés par les airs d’un opéra-comique qu’il écrivait alors. Compositeur d’un catalogue d’œuvres très variées relevant de la musique savante européenne, Denis Levaillant n’est pas à proprement parler un jazzman. Associé au bassiste Barre Phillips et au batteur Barry Altschul, il a toutefois abordé le genre avec succès avec “Les Passagers du Delta” (DLM éditions), livre-disque de 2013 réunissant un enregistrement studio de mars 1987 et un concert de 1989. Avec “Blue Songs”, il nous fait voyager dans les couleurs harmoniques des nombreuses mélodies qu’il invente. Effectuée à même la table d’harmonie de l’instrument défait de son couvercle, la prise de son amplifie beaucoup la résonnance des notes et l’aspect onirique de la musique, mais peut en déranger certains.

Excellent bassiste, Stéphane Kerecki sait bien s’entourer. Il a aussi de bonnes idées, des projets aussi inattendus que variés qu’il mène toujours à bien. Après un album en 2018 consacré à la vague musicale électro, à la « French Touch » qui lui donne son nom, “Out of the Silence” (Out Note), disque enregistré en octobre dernier dans le studio de la Maison de la Culture d’Amiens, réunit cinq personnalités du monde du jazz. Avec Fabrice Moreau, batteur qui accompagne depuis longtemps Stéphane, et Marc Copland dont le piano joue constamment avec le silence, les deux morceaux en trio, Day Dreamer et Hands, sont de vraies merveilles. Quatre plages en quartette avec le saxophoniste norvégien Tore Brunborg découvert auprès de Tord Gustavsen, et quatre autres en quintette avec Ralph Alessi, l’un des grands trompettistes de la scène jazzistique américaine, complètent le répertoire d’un all-star de haut vol.

Tord Gustavsen se rappelle à nous avec un nouvel opus, le cinquième qu’il enregistre en trio. Proche de “The Other Side” publié en 2018, le répertoire d’“Opening” (ECM), des compositions originales pour la plupart, reste largement inspiré par des hymnes religieux, de vieilles chansons traditionnelles des pays scandinaves. Privilégiant l’épure, l’ascétisme musical, le silence, le pianiste norvégien joue peu de notes, les préfère légères et lentes, ruisselantes de profondeur spirituelle. Si le batteur est toujours le fidèle Jarle Vespestad, un nouveau bassiste, Steinar Raknes, assure un solide contrepoint mélodique à la musique.  Stream, une des plus attachantes pièces de l’album lui offre l’occasion d’improviser. Plus nombreux que d’habitude, des effets sonores (electronics) modifient parfois le timbre de son instrument, ajoutent des couleurs inattendues à un disque très séduisant.

À l’occasion du centenaire de Charles Mingus (22 avril 2022 - 5 janvier 1979) paraissent de nombreux albums, des concerts qui, aussi bons soient-ils, n’apportent rien de vraiment neuf à sa discographie. Beaucoup plus intéressant est l’hommage que lui rend le clarinettiste Harry Skoler dans son disque “Living in Sound : The Music of Charles Mingus” (Sunnyside). Sans avoir la technique d’Eddie Daniels, Skoler sait se montrer lyrique et convaincant. Au programme : six compositions de Mingus – dont l’incontournable Goodbye Pork Pie Hat  –, un thème de Don Pullen, un de Doug Hammond et un de Skoler. Confiés à Darcy James Argue, Ambrose Akinmusire et Fabian Almazan les arrangements sont très réussis. Producteur et principale cheville ouvrière de cet enregistrement, le saxophoniste Walter Smith III a réuni un casting de rêve autour du clarinettiste : Nicholas Payton à la trompette, Kenny Barron au piano, Christian McBride à la contrebasse, Jonathan Blake à la batterie, la chanteuse Jazzmeia Horn (dans Moves), et un quatuor à cordes. Laissez-vous donc tenter.

Enrico Pieranunzi : “The Extra Something” (CamJazz / L’autre distribution)

Enrico Pieranunzi : “Something Tomorrow” (Storyville / UVM)

Ketil Bjørnstad : “New Morning” (Grappa)

Denis Levaillant : “Blue Songs” (DLM Éditions & Distribution)

Stéphane Kerecki : “Out of the Silence” (Out Note / Outhere)

Tord Gustavsen : “Opening” (ECM / Universal)

Harry Skoler : “Living in Sound : The Music of Charles Mingus” (Sunnyside / Socadisc)

 

Photo Stéphane Kerecki “Out of the Silence” quintette © Marc Chesneau

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