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28 juin 2022 2 28 /06 /juin /2022 15:12
Philippe Gaillot : “Cassistanbul” (détail pochette) © Vincent Bartoli / PikéBook

Philippe Gaillot : “Cassistanbul” (détail pochette) © Vincent Bartoli / PikéBook

Comme promis, d’autres disques à écouter sans modération. Les musiciens qui les ont enregistrés sont malheureusement loin d’être tous invités dans les festivals qui fleurissent partout en juillet et en août. Le jazz se vend mal et, ne voulant pas prendre de risques, les programmateurs de ces manifestations cherchent à les rentabiliser avec des célébrités, toujours les mêmes. Peu curieux, peu mélomane, attaché à ses habitudes, le français en vacances réclame des vedettes, denrées rares dans le petit monde du jazz, et vient surtout pour faire la fête. Si Melody Gardot n’a ainsi aucun problème pour trouver des concerts, d’autres artistes, tout aussi talentueux, patientent parfois des années avant de se voir offrir de grandes salles. Ces chroniques, qui vous donneront peut-être l’occasion de les découvrir, sont les dernières que je mets en ligne. Le farniente m’attend. Rendez-vous à la rentrée pour d’autres aventures jazzistiques et passez tous un bel été.

Melody Gardot est une star, mais c’est d’abord une grande chanteuse, l’une des rares qui parvient à vendre beaucoup de disques. Elle sait aussi composer de vraies mélodies comme en témoignent What of Your Eyes et Darling Fare Thee Well, deux des morceaux d’“Entre eux deux”, son nouvel album pour Decca, un duo avec le pianiste franco-brésilien Philippe Powell, fils du légendaire guitariste Baden Powell. Lauréat du Piano Montreux Jazz Solo Piano Competition en 2005, professeur à la Bill Evans Piano Academy, Philippe Powell se révèle être le pianiste idéal pour la voix de Melody Gardot. Habitant Paris, cette dernière chante en français la ville lumière, adopte le brésilien pour célébrer le brésil, l’anglais, sa langue natale, se faisant aussi entendre dans quelques chansons.

À la tête d’un orchestre imposant d’une vingtaine de musiciens au sein duquel officient Bill Frisell à la guitare, Donny McCaslin et Michael Blake aux saxophones et même Chris Potter à la clarinette basse, le trompettiste, arrangeur et compositeur Michael Leonhart, un fidèle de Steely Dan, signe un album varié et d’une étonnante richesse musicale. Ses pièces maîtresses en sont les deux suites qu’il consacre à Normyn, sa chienne teckel disparue qu’il célèbre non sans émotion et grandeur. “The Normyn Suites” (Sunnyside) réunit cuivres, cordes et chœur au sein de compositions aux atmosphères changeantes qui évoquent des images. Interprétés par Elvis Costello, les intermèdes musicaux qui les encadrent  ne sont pas non plus à négliger, de même que les deux instrumentaux en quartette – Michael Leonhart y assure la basse et la batterie – qui referment le disque.

Les atmosphères sont également nombreuses dans le nouveau disque de Philippe Gaillot. Musicien mais aussi ingénieur du son, il l’a enregistré lui-même dans son studio de Pompignan. De même que “Be Cool”, paru en 2018 sur le label Ilona, “Cassistanbul” (That Sound Records) réunit des plages inédites, vieilles d’une dizaine d’années, que Philippe a soigneusement retravaillées. On y retrouve le fidèle Gérard Couderc, au soprano dans l'émouvant Soriba (dédié au regretté joueur de kora Soriba Kouyaté) et Scarborough Fair, deux morceaux enregistrés en octobre 2010 au Nîmes Jazz Festival. Les amis musiciens de Philippe sont bien sûr présents. Mike Stern éblouissant dans Lady Stroyed, les pianistes Jacky Terrasson et Pierre de Bethmann, le trompettiste Stéphane Belmondo, les bassistes Linley Marthe et Dominique Di Piazza, tous au service des mélodies de Philippe, de ses rythmes, des belles couleurs de sa musique.

Habitant tous les deux New York, le chanteur Sachal Vasandani natif de Chicago et le pianiste Romain Collin né en France et diplômé du Herbie Hancock Institute of Jazz, se sont rencontrés par hasard et font des disques ensemble. Après “Midnight Shelter” en 2020 pour Edition Records, un excellent disque dont le répertoire éclectique comprend aussi bien des standards que des compositions de Nick Drake, Bob Dylan et des Beatles, les deux hommes récidivent avec bonheur pour le même label avec “Still Life” au sein duquel une version remarquable de The Sound of Silence de Paul Simon côtoie Blue in Green de Miles Davis (paroles de Meredith d’Ambrosio), Washing of the Water de Peter Gabriel et une reprise inattendue de Freight Train d’Elizabeth Cotten, grand classique du folk américain.

Bénéficiant des couleurs et du délicat langage harmonique du pianiste Marc Copland avec lequel il souhaitait depuis longtemps travailler, le saxophoniste  Jean-Charles Richard (soprano et baryton) donne épaisseur et consistance à ses rêves dans un album de jazz de chambre que complète Vincent Segal au violoncelle. Enregistré par Gérard de Haro et dédié à John Taylor, “L’étoffe des rêves” (La Buissonne) rassemble des pièces en solo, des duos, des trios – les trois instruments ne se voient réunis que dans le Ô Sacrum Convivium d’Olivier Messiaen –, la voix douce et sensuelle de Claudia Solal les rejoignant parfois pour évoquer “La Tempête” de William Shakespeare, mais aussi son Ophélie dont la mort inspira également un poème à Arthur Rimbaud. Cette approche européenne du jazz centrée sur l’harmonie donne ici naissance à une musique souvent mélancolique dont l’envoûtement perdure longtemps après son écoute.

J’ai une grande estime pour Vincent Bourgeyx et admire depuis longtemps son piano élégant bien ancré dans la tradition du jazz qu’il a étudié à Boston avant de le vivre dans les clubs de New York. Ses disques en trio m’enchantent, et son album solo, dans lequel Pierre Boussaguet officie parfois à la contrebasse, est une des grandes réussites du coffret “At Barloyd’s”. Cosigné avec le saxophoniste David Prez, “Two for the Road” (Paris Jazz Underground) le fait entendre en duo avec ce dernier déjà présent dans “Short Trip” (2016) et “Cosmic Dream” (2019). L’entente est parfaite entre un pianiste dont les doigts agiles se mettent toujours au service des mélodies et un saxophoniste dont les phrases sinueuses, souvent jouées dans le registre aigu du ténor, se font tendres dans les ballades. Sur des compositions originales et des standards, les deux hommes s’accordent de longs chorus en solo, se parlent, se répondent, un véritable dialogue s’instaurant dans Instant Présent qui ouvre ce beau disque. Concert de sortie le 29 septembre au Sunside.

Melody Gardot / Philippe Powell : “Entre eux deux” (Decca / Universal)

Michael Leonhart Orchestra : “The Normyn Suites” (Sunnyside / Socadisc)

Philippe Gaillot : “Cassistanbul” (That Sound Records / Socadisc)

Sachal Vasandani & Romain Collin : “Still Life” (Edition Records / UVM)

Jean-Charles Richard / Marc Copland : “L’étoffe des rêves” (La Buissonne / Pias)

David Prez / Vincent Bourgeyx : “Two for the Road” (Paris Jazz Underground / Bandcamp)

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