Le dimanche, mes
coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de
Choc…
LUNDI 3
novembre
Les basses tonnent haut et fort au foyer du Théâtre du Châtelet. Aidé par Thierry Barbé de l’Opéra de Paris,
François Lacharme a convié en soirée quelque uns des plus talentueux palpeurs de grand-mère qui séjournent dans la capitale. Un concert en deux parties qui clôture en beauté le
symposium Bass’2008, qui vient de se tenir au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. De nombreux contrebassistes parmi lesquels François Rabbath, Stafford
James et « Totole » Masselier occupent en spectateur une salle dont pas un siège ne reste vide. Renaud Garcia-Fons et Claire Antonini
au théorbe nous régalent d’une belle musique arabo-andalouse. Barre Phillips et son fils David nous plongent dans la modernité de dissonances et de rythmes envoûtants. Frappé,
caressé, l’instrument résonne de sons primitifs et sacrés, devient instrument totémique d’un très vieux monde dont il semble conserver la mémoire. Découverte de Jackie Allen, chanteuse au métier solide que
chaperonne Hans Sturm, contrebassiste à la sonorité superbe. Ce dernier rythme délicatement la voix tout en faisant chanter ses notes. Hervé Sellin, harmoniste
raffiné, accompagne au piano. Après la pause, Thierry Barbé (en photo) interprète magistralement l’Hommage à J.S. Bach écrit en 1969 par le compositeur Suisse
Julien-François Zbinden. Sa chevelure fait penser à la crinière d’un lion, Peter Ind, 80 ans cette année, étonne par son énergie, la musicalité d’un tempo solide
qu’il met au service du bebop avec Rufus Reid, un complice de taille. Utilisant une contrebasse descendant jusqu’au do grave, ce dernier éblouit par sa façon de faire sonner les
harmoniques de son instrument. Riccardo Del Fra et ses invités – Stéphane Belmondo au bugle, Remy Dumoulin au ténor, Bruno
Ruder au piano, Julien Letellier à la batterie - terminent en beauté la soirée. De gauche à droite sur la photo : Stafford James, Rufus
Reid, Peter Ind, Riccardo Del Fra et Renaud Garcia-Fons.
MARDI 4 novembre
On attendait Marjolaine Reymond sur une scène depuis plusieurs mois. Un public nombreux et impatient envahit le
Duc des Lombards, ensorcelé par l’énorme potentiel lyrique de la chanteuse, par une musique insolite dans laquelle calme et tempête cohabitent. Bien qu’organisées autour d’une voix qui pratique
fréquemment le saut d’octaves, les compositions abritent de nombreuses séquences instrumentales. Le vibraphone de David Patrois baigne cet univers d'hypnotiques sonorités cristallines ; Antoine Simoni tire des sons
étonnants de sa contrebasse; à la batterie, Yann Joussein impose un groove solide, une assise rythmique dont profite tout le groupe. Des extraits de son récent album
“Chronos in USA“ revus à travers le prisme d'une instrumentation nouvelle, et des compositions récentes bientôt enregistrées, confirment la place singulière et neuve qu’occupe aujourd’hui la chanteuse.
MERCREDI 5 novembre
« Enfant, je passais mes vacances d’été dans les colonies de vacances de la Commission Centrale de l’Enfance, cette association
crée par les juifs communistes français après la seconde guerre mondiale ». Sur l’espace scénique de la Maison de la Poésie (Passage Molière, 157, rue Saint-Martin) David Lescot
raconte “La Commission Centrale de l’Enfance“, une histoire qu’il a lui-même vécue, des souvenirs intimes, drôles et tendres narrés avec beaucoup d’humour. Il s’aide parfois d’une guitare
électrique, un modèle tchécoslovaque des années 60, pour nous chanter quelques chansons communistes (Jeunesse Ardente, un régal !), nous explique qu'une “descente“ est une visite
nocturne d'une tente féminine communiste, acte passible de renvoi de ladite colonie de vacances communiste… le texte, fluide, devient « petit poème épique, parlé, chanté, scandé ». Invités par l'ami et mentor Phil Costing, nous dînons ensemble après le
spectacle. David Lescot aime aussi le jazz. Auteur, acteur, guitariste, il joue de la trompette et a
signé la musique du “Prince“ de Machiavel mis en scène par Anne Torres. L’un de ses
textes, “L’instrument à pression“ bénéficia du concours d’un autre trompettiste, Médéric Collignon. Lorsqu’on lui demande quel est son disque de jazz préféré, David répond “Out
Front“ de Booker Little. L’excellent choix d’un homme de goût.
VENDREDI 7
novembre
Arbitré par Alex Dutilh, débat à la rédaction de Jazzman autour du nouveau disque de Simon
Goubert et d’une très bonne bouteille de Bordeaux. Sur la photo de droite, Vincent Bessières donne son point de vue à Christophe Marguet, musicien
invité à débattre. Comme l’est Jean-Marc Gelin, collaborateur de jazzman et animateur des “Dernières nouvelles du Jazz“ http://www.lesdnj.com/, excellent blog consacré à sa musique
préférée.
Revu en DVD “Ubu Roi“ pièce qu’Alfred Jarry publia en 1896 et qui fit scandale dès sa première représentation au Théâtre de l’Oeuvre le 10 décembre de la même
année. Jean-Christophe Averty en fit un film cathodique en 1965. Non sans tohu-bohu. Les propos que Jarry fait tenir à ses personnages ne pouvaient que déplaire à une bourgeoisie
hypocrite et bien pensante. J’avais treize ans et mon professeur de français s’était bien gardé de nous parler du père Ubu, officier de confiance du roi de Pologne Venceslas qui
conspire et assassine ce dernier, passe à la trappe nobles, magistrats et financiers, et parcourt le pays rançonner les paysans dans son « voiturin à phynances ». La dernière demi-heure contient
quelques longueurs, mais il fallait toute l’imagination d’Averty pour mettre en scène une armée de personnages ubuesques et à les faire entrer dans le petit écran. Les trucages, cornegidouille!,
gardent un charme que n’aurait pas désavoué le grand Georges Méliès.
SAMEDI 8 novembre
La rédaction d’une chronique sur Bill Evans destinée prochainement à ce blog, m’incite à réécouter les concerts
que le pianiste donna au Village Vanguard de New York en juin 1961, onze jours avant la disparition de Scott La Faro. Il y occupe une place de choix, dialogue d’égal à égal avec
Evans qui mettra cinq ans à retrouver un contrebassiste possédant un semblable jeu mélodique, Eddie Gomez bénéficiant toutefois des progrès d’amplification dont bénéficie son
instrument. Le même problème se posera à Evans lorsque le batteur de son trio l’abandonne en 1964. Lors des concerts du Vanguard, Paul Motian ne joue pas encore de la batterie
comme il le fait aujourd’hui, mais son jeu ponctue les silences de la musique et tend déjà à un contrepoint mélodique. Le pianiste patientera jusqu’en 1975 pour retrouver un batteur pour qui
l’instrument est davantage timbres et couleurs qu’accompagnement rythmique : Eliot Zigmund, orfèvre de cymbales en cristal.
Le nouveau disque du pianiste Guillermo Klein reçu ce matin m’enchante. Son foisonnement rythmique voisine avec des pièces
chorales touchantes. Parmi elles, Louange à l’éternité de Jésus, adaptation particulièrement lyrique d’une œuvre d’Olivier Messiaen. Chronique prochaine dans ce blogdechoc.
Termine la journée chez Crocojazz, 64 rue de la Montagne Sainte-Geneviève. Gilles Coquempot en plein travail, s’abrite comme il
peut du son de ténor énorme que Tommy Smith fait entendre dans “Live at Belleville“ nouvel album d’Arild Andersen que nous écoutons ensemble. Deux adolescents
rentrent dans le magasin au moment même ou le saxophoniste souffle des notes brûlantes et se demandent effrayés, s'ils ne sont pas dans l'une des forges de Vulcain au lieu et
place de l'antre très sonore d'un honorable vendeur de disques parisien.
Photos ©Pierre de Chocqueuse et Phil Costing (David
Lescot)