Brillant est le mot qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on découvre ce disque, un enregistrement inédit de 1992 que le pianiste choisit aujourd’hui de publier. Avec Gary Peacock en grande forme à la contrebasse et Bill Stewart , déjà un solide batteur qui sait faire danser ses cymbales, Bill Carrothers, 28 ans lorsqu’il enregistre ces faces, éblouit par la richesse de son vocabulaire harmonique, la subtilité de ses voicings. Le toucher est beau et précis. Les mains agiles se jouent des difficultés techniques que posent ses compositions et une poignée de standards bien choisis : When Will the Blues Leave, une ritournelle d’Ornette Coleman ; Off Minor, petit thème génialement simple que seul Thelonious Monk pouvait écrire, et My Heart Belongs to Daddy de Cole Porter. Il est amusant de comparer ce piano avec celui qui aujourd’hui épaule le violoncelle de Matt Turner dans un CD consacré au répertoire de Stephen Foster. Depuis quelques années, Bill questionne les musiques de l’Amérique, celles de sa guerre civile, mais aussi de la Grande Guerre au lendemain de laquelle le jazz prend son essor. Elles occupent une place importante dans son univers, et l'on en perçoit déjà la trace dans le long exposé en solo de Jésus’ Last Ballad. Les standards qu’il reprend traduisent également l’intérêt qu’il porte à de vieux morceaux oubliés. S’il ne visite plus les mêmes musiques, Bill Carrothers ne joue pas non plus le même piano. L’ange du bizarre l’aiguillonne davantage et lui inspire des dissonances, des harmonies abstraites, un jeu plus staccato, Bill cherchant à greffer des accords nouveaux sur d’anciennes pièces dont il préserve la mémoire.