Ce dimanche,
suivez les pérégrinations du blogueur de Choc dans les rues, les musées et les disquaires de Londres. En raison des fêtes, la semaine du Blogueur de Choc ne reprendra qu’en janvier. Suivez le
blogueur de Choc…
LUNDI 15 décembre
Une journée à Londres. J’y traînais souvent dans les années 70, envoyé en
mission par Best, le concurrent de Rock & Folk afin d’y couvrir des concerts de rock. Au début des années 80, travaillant pour le Billboard, je traversais la Manche plusieurs fois par an pour
rendre compte de mes activités à la direction européenne du journal qui y avait ses bureaux. J’y fis la connaissance de Mike Hennessey. Très cultivé, fin connaisseur du jazz, il
est l’auteur d’un excellent livre sur Kenny Clarke (“Klook, the Story of Kenny Clarke“) qui n’a jamais été traduit. Nous avions sympathisé, et mes séjours londoniens
s’accompagnaient en général d’une soirée au Ronnie Scott. Mike y avait sa table. Un concert d’Elvin Jones m’est resté en mémoire. Ma dernière visite remontait à 1981. La ville
possédait un aspect bariolé. D’honorables gentlemen en habit côtoyaient des hippies à longs cheveux, des skinheads au visage criblé d’épingles à nourrice et aux cheveux coupés à l’iroquoise. Un
monde excentrique dans lequel le Britannique conservait un flegme imperturbable, un humour très particulier, pince-sans-rire et plein de traits d’esprit.
Depuis septembre 2007, la gare de Saint Pancras accueille L’Eurostar. Construite au XIXe siècle, elle a
été récemment restaurée de même que sa façade en brique, celle de l’ancien Midland Grand Hotel, impressionnant bâtiment néogothique victorien. Offert chaque année par la Norvège pour remercier
Londres de son soutien lors de la première guerre mondiale, un sapin de 20 mètres trône près de la colonne Nelson à Trafalgar Square. Pas de pluie, mais un vent froid et humide remonte la Tamise.
Des Français et des caméras de surveillance absolument partout. Peu de voitures, mais de très nombreux taxis toujours fabriqués sur le même modèle, l’Austin FX4 ou « taxi noir » qui fait toujours
partie du paysage urbain. Les autobus rouges à impériale circulent presque les uns derrière les autres. N’étant pas accessible aux personnes handicapées, le plus célèbre d’entre eux, le
Routemaster, a été malheureusement retiré de la circulation en 2003.
Les Horse Guards de Whitehall font toujours le bonheur des touristes. Passé
Westminster Bridge, les berges ont été aménagées, transformées en promenade. Installés pour les fêtes, de petits chalets de bois proposent leurs horreurs, made in China pour la plupart. Le Tate
Modern expose de grandes toiles de Mark Rothko. Le Shakespeare’s Globe Theater exhibe son architecture de style élisabéthain. Non loin de là,
Borough Market, le plus vieux marché couvert de Londres étale ses produits. Bouchers, poissonniers, fromagers y sont installés depuis que les Romains construisirent un premier pont sur la Tamise.
Le lundi, la plupart de ses échoppes sont malheureusement fermées. Dans
le même quartier s’élève l’Eglise Collégiale de Saint Saviour et Sainte Mary Overie, un édifice du treizième siècle devenu cathédrale en 1905. Pas de visite possible sans déranger les employés de
la Barclay’s Bank qui assistent à un office de Noël spécialement célébré pour eux avec chorale, cuivres et enfants de chœur à profusion. On imagine mal Vuitton ou Cardin offrir des messes à leur
personnel dans nos églises parisiennes. Les Anglais portant chapeau melon et parapluie ont disparu de la City. Les John Steed et les
traditions se perdent au Royaume-Uni gagné par la
mondialisation.
Déjeuner dans un très beau pub de Fleet Street,
l’ancienne Old Bank of England ouverte jusqu’au rachat du bâtiment par des brasseurs de bière qui le transforma en pub. C’est dans ses très vieilles caves que le barbier Sweeney
Todd (récemment porté à l’écran sous les traits de Johnny Deep) hachait menu ses victimes transformées en tartes par Madame Lovett sa complice. Cette
macabre découverte n’empêche pas de se restaurer. Un jeune Français courageux devenu londonien m’avoue travailler entre dix et douze heures par jour. Les Anglais déjeunent rarement au restaurant.
Ils achètent des sandwichs qu’ils avalent tout en continuant à manipuler les ordinateurs de leurs bureaux. Ils sont bien payés, mais les loyers chers, et les très nombreuses pintes de bières
qu’ils engloutissent pénalisent une bonne partie de leur budget.
Annie Leibovitz expose ses photos (les années 1990-2005) à la National Portrait Gallery
jusqu’au 1er février 2009. Outre les nombreux clichés de rock stars qu’elle fit pour Rolling Stone, elle photographia des danseurs (Mikhail Baryshnikov), des acteurs et des
actrices (Brad Pitt, Nicole Kidman, Demi Moore enceinte) et la Reine d’Angleterre. Un reportage sur Sarajevo au début des années 90, un autre
sur l’élection d’Hillary Clinton au Sénat, des autoportraits et des photos de ses trois filles et de sa famille complètent l’exposition. Les collections permanentes recèlent
quelques trésors. Au deuxième étage, la galerie Tudor contient d’admirables portraits de la Reine Elisabeth I, d’Henri VIII, de Cromwell et une
étonnante peinture anamorphique du Roi Edouard VI. Les tableaux sont loin d’être de qualité égale, mais c’est avec émotion que je découvre des portraits de Roger
Fry et celui de l’écrivain Lytton Strachey peint par Dora Carrington (1993-1932). Scénariste et auteur de théâtre, Christopher Hampton
nous a magnifiquement raconté leur platonique relation passionnée dans “Carrington“ un film de 1995, une grande réussite. Emma Thompson et Jonathan Pryce en sont
les principaux interprètes. Fry et Stachey, mais aussi Virginia Woolf, sa sœur Vanessa Bell et E.M. Foster, faisaient partie du Groupe de
Bloomsbury, réunion d’artistes et d’intellectuels qui vivaient dans ce quartier du centre de Londres.
La nuit est tombée sur Piccadilly Circus et ses immeubles couverts de néons appellent à la
consommation. Les magasins de disques interpellent. Je cherche sans succès des CD de Mike Westbrook, John Dankworth, Michael Gibb (“In the
Public interest“ un enregistrement Polydor de 1973 en big band avec Gary Burton, Steve Swallow et les frères Brecker). Les albums Deram de
Mike Westbrook (le formidable “Celebration“) John Surman et Michael Gibbs réédités par Universal il y a quelques années sont devenus
introuvables. Si les disques Fontana de Tubby Hayes encombrent les bacs, ceux de John Dankworth manquent cruellement. On déplore l’absence de “What the Dickens
!“, “The Zodiac Variations“ (avec de prestigieux invités américains parmi lesquels Clark Terry, Bob Brookmeyer, Lucky Thompson, Phil
Woods et Zoot Sims) et “The $1.000.000 Collection“, trois albums des années 60 qui comptent parmi ses grandes réussites. On peut en trouver quelques morceaux mêlés à des extraits de ses enregistrements antérieurs pour Esquire et
Parlophone dans un coffret de 4 CD que Dankworth partage avec son épouse, la chanteuse Cleo Laine (“I Hear Music, A Celebration of the Life and Work of Cleo Laine & John
Dankworth“). Seuls les disques hatOLOGY de Mike Westbrook sont disponibles. Mes copies étant usées, je recherche “Pier Rides“ et “A Little Westbrook Music“ qui ne semblent pas exister en CD. Je n’ai guère plus de succès avec Gordon
Beck. Le “Beck-Matthewson-Humair Trio" de 1972 (Dire Records) est curieusement disponible, mais les premiers opus du pianiste pour le label Major Minor font défaut. De même que le
premier album de Kenny Wheeler avec le John Dankworth Orchestra, “Windmill Tilter“, un enregistrement Fontana de 1968 absent de ma
discothèque.
Les Anglais délaisseraient-ils leur patrimoine jazzistique que les Français connaissent mal ? Le
trompettiste Ian Carr publia une passionnante histoire du jazz britannique en 1973, “Music Outside“ (Latimer). J’en reproduis la jaquette. Neil Ardley,
Graham Collier, Bob Downes, Michael Garrick, Joe Harriott, Don Rendell, Stan Tracey
n’évoquent plus grand chose. On connaît Ronnie Scott grâce
à son club de jazz, mais beaucoup moins ses disques. Si Ian Shaw s’est fait un nom en Grande-Bretagne, les musiciens britanniques les plus célèbres semblent avoir du mal à
enregistrer chez eux. John Surman et Norma Winstone ont depuis longtemps trouvé refuge chez ECM ; John
Taylor et Kenny Wheeler voient leurs albums édités par Cam Jazz, label italien qui accueille aussi Martial Solal.
Alléché par son prix (moins de 5 livres), j’achète “Soundtrack“ de Charles Lloyd, un
vieux disque Atlantic. Le morceau le plus long, Forest Flower’69, m’évoque un autre Londres, celui des Beatles et des Rolling Stones. Le mythique
Carnaby Street n’est pas loin de Regent Street illuminé pour les fêtes. De luxueux magasins aux enseignes prestigieuses vendent exactement les mêmes articles qu’à Paris. Les soldes ont commencé,
mais même à 50 pour cent de son prix, un pull de marque à 300 livres n’est guère abordable. Carnaby Street est bien éclairé. D’énormes baudruches suspendues dans les airs invitent les touristes à
parcourir sa voie piétonne, à entrer dans ses boutiques. L’Eurostar m’attend à Saint Pancras. Le métro londonien, le « tube », long cigare étroit, qui circule dans un tunnel à peine plus large, y
mène à vive allure. Je m'endors épuisé dans le train du retour.
Photos ©Pierre de Chocqueuse