Un dimanche sur deux, retrouvez les coups de
cœur du blogueur de Choc. Concerts, disques, films, livres, pièces de théâtre, rencontres, événements et scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de
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JEUDI 8 janvier
Premier concert public du Pierre Christophe Quartet au Sunside. Olivier Zanot au
saxophone alto rejoint Raphaël Dever et Mourad Benhammou, les musiciens réguliers du pianiste. Le groupe conserve son thème générique, Gerald’s Tune, un
thème de Jaki Byard, mais s’essaye à un nouveau répertoire, des compositions originales de Pierre qui souhaite les enregistrer avant l’été. Inclus dans l’album “Byard &
More“, Jaki’in, mais oui et Two Burgers for my Diet profitent de nouveaux arrangements. Le premier donne à Olivier Zanot l’occasion d’improviser sur une grille
de blues. Le tempo est vif, le piano accompagne et ponctue par des grappes de notes, plaque de longs accords et en contrôle la résonance. On y trouve des clins d’œil au ragtime et une bonne dose d’humour.
Le second est une pièce à tiroirs, un assemblage de plusieurs thèmes aux rythmes acrobatiques, aux démarrages foudroyants, une marche sarcastique dont on perçoit le rire. Pierre
Christophe aime bien ce genre de compositions hybrides, mélange étrange de styles et d’époques jazzistiques. Relaxing at Battery Park, un morceau qui dormait depuis longtemps
dans un de ses cartons, en offre un bon exemple. Son thème appartient au bop, mais les musiciens improvisent sur des modes, recherchent une certaine couleur sonore. Le swing y est
omniprésent ; le blues, le mode original, y révèle son visage. L’écriture d’Elevation, traduit ce retour aux origines africaines du jazz. La section rythmique assure un confortable appui aux solistes. Porté par une contrebasse qui tient un rôle de bourdon,
le saxophone chante en apesanteur et le piano développe un jeu orchestral qui porte les couleurs du blues. Si Grumpy Old Folks possède un aspect monkien – son vague rythme de valse ne
manque pas d’intriguer - , Lost Childhood suggère des images. La contrebasse l’anime et l’alto donne une belle suavité à un thème qui pourrait servir à un film. Son découpage, la douceur
du saxophone soufflant de longues phrases mélancoliques, une certaine alchimie avec le piano, évoquent l’association de Dave Brubeck avec Paul Desmond. Saxophone
et piano s’épaulent, se répondent et enchantent.
VENDREDI 9 janvier
Je parle peu de
théâtre dans ce blog. Grâce à Phil Costing, mon mentor dans ce domaine, je vois pourtant des pièces et parfois de très bonnes. Phil a des connaissances encyclopédiques et une
expérience dont il me fait profiter. Comme moi avec le jazz, il recherche la surprise, prend des risques et m‘entraîne dans ses découvertes. Nous en sortons parfois sceptiques. Les derniers
spectacles que nous avons vus ne furent guère convaincants. “Couteau de nuit“ de Nadia Xerri-L. aux Abbesses pourrait s’appeler “Couteau d’ennui“ ; “La Jeune fille de Cranach“ de
Jean-Paul Wenzel à la Maison des métallos assoupit comme un somnifère ; “Lacrimosa“ de Régis Jauffret, mal lu par l’auteur au théâtre du Rond Point, endort plus
vite qu’une piqûre anesthésiante. Malgré leurs qualités d’écriture, ces dramaturgies nous sont étrangères, apparaissent trop lointaines pour nous concerner. Les auteurs ressassent leurs propres
problèmes sans parvenir à les universaliser, à les faire fructifier, à positiver leurs souffrances. Loin d’être des guides, ils semblent plus désemparés encore que leur public en attente d’une
nourriture intellectuelle porteuse d’espoir et de réflexion.
Ce soir, Phil me conduit à l’Odéon, On peut y voir “Gertrude (Le Cri)“ jusqu’au 8 février. Dramaturge, auteur d’une cinquantaine de pièces, mais aussi poète, peintre et metteur en scène,
son auteur Howard Barker, est une des grandes voix du théâtre britannique. Dans “Gertrude“, il reprend des personnages d’"Hamlet" que Shakespeare a
volontairement laissés dans l’ombre et leur fait vivre une autre histoire.
Remariée avec Claudius, le frère de son mari assassiné, Gertrude, la mère d’Hamlet, a bien été son amant avant le meurtre de son époux. Assistant au meurtre de ce
dernier, elle pousse un cri de plaisir, un cri qu’elle va chercher à faire résonner tout le long de la pièce dans l’excès et la transgression, dans l’amour fou qu’elle éprouve pour Claudius, le
meurtrier de son mari. Les décors de Giorgio Barbierio Corsetti ne manquent pas de trouvailles, d’idées plutôt heureuses, mais bien qu’écrite dans une prose vive, colorée,
mordante, la pièce est trop longue. Il faut tenir 2 heures 30 environ sans entracte et ce n’est pas facile.
L’histoire, complexe, hermétique, nous
est expliquée dans le programme que l’on nous remet à l’entrée. On la comprend mieux après l’avoir lue, ce qui conduit à se demander si l’on doit connaître une pièce avant d’aller la voir ? Je
n’ai nul besoin d’avoir lu le scénario d’un film avant de le découvrir dans un cinéma. Une pièce comme un film doivent être compréhensibles. On saisit mal les intentions d’un auteur dont « le
théâtre invente un monde qui n’a pas à imiter une réalité, ni à contribuer à la changer, pas plus qu’il n’a à dénoncer, confirmer, consoler, distraire ou éduquer. » Ou Howard
Barker veut-il en venir ? Que souhaite t’il montrer ? On suit ses personnages sans trop comprendre ce qu’ils font, ce qui les agite. Hamlet est présenté comme un pauvre type mal élevé,
capricieux, infantile et torturé. Anne Alvaro, une grande actrice, se dénude inutilement. Les dialogues sont brillants, crus, ironiques, cruels, les mots bite, cul, couille,
vagin utilisés à profusion.
« Plus un artiste se limite, moins il est utile à ses frères humains. Plus il ose, plus il explore, plus il est immoral, mieux il sert. » Howard
Barker provoque, entraîne dans les vertiges de son histoire malsaine et la mise en scène de Giorgio Barbierio Corsetti épouse les outrances du récit sans parvenir à
choquer. Il en faut davantage aujourd’hui. Que les acteurs et les actrices s’entretuent réellement par exemple. Dans quelques années peut-être…Dieu merci, nous n’en sommes pas encore là.
http://www.theatre-odeon.fr/
LUNDI 12 janvier
Remise des prix de l’Académie du Jazz dans le Grand Foyer du théâtre du Châtelet. Je vous en ai longuement rendu compte dans ce blog mercredi
dernier. Voici une nouvelle photo de nos deux lauréats du Prix Django Reinhardt. Géraldine Laurent et Médéric Collignon expriment en pleine action leur
bonheur.
MERCREDI 14 janvier
Antonio Faraò présente “Woman’s Perfume“, son dernier album, au Duc des Lombards. Avec Dominique Di Piazza et André
Ceccarelli, mais aussi Olivier Temime qui apporte des couleurs nouvelles à l’orchestre. Le pianiste joue de très larges extraits de ce disque, des musiques écrites par
Armando Trovajoli pour des films, et quelques compositions originales, des pièces tendres, lyriques aux harmonies raffinées. Comme ces accords un peu magiques que Faraò invente.
Il assemble merveilleusement ses notes, les fait scintiller comme des petites lumières. Elles forment des bouquets de notes colorées, notes perlées ou jouées une à une, toujours chantantes grâce
à un merveilleux toucher. Antonio Faraò a du rythme dans les doigts, de la poésie dans le cœur, et l’on se laisse bercer par ses voicings, la cohérence de son jeu en accords, l’élégance de ses phrases qui soulèvent et emportent. A la basse
électrique, Dominique Di Piazza fournit des graves ronds et palpables, fait sonner de riches harmoniques. Au saxophone ténor, Olivier muscle la musique, la tire un peu vers le
hard bop. Antonio lui demande de jouer aussi du soprano, un instrument dont il est difficile de dompter le son, mais convenant bien aux ballades nombreuses du répertoire. Dédé aime les morceaux
vifs qu’il rythme, impérial, sur sa grande cymbale . Son tempo millimétré, son grand sens de la mise en place impressionnent. En fin de set, Nicolas Folmer monte sur scène pour
confier du bop à sa trompette, souffler des notes aussi chaudes que des braises, s’envoler dans de longs et acrobatiques chorus dessinant des arcs-en-ciel. C’est beau le jazz la nuit.
VENDREDI 16
janvier
“Charles mort ou vif“ que je n’avais pas revu depuis le début des années 70 conserve toute sa magie. Alain Tanner le tourna au
lendemain de mai 1968 avec de petits moyens – 16 mm gonflé en 35, son direct. Avec Michel Soutter et Claude Goretta, le cinéaste a monté une structure
indépendante, le Groupe 5, et propose un autre cinéma, engagé, utopiste, exigeant. Le film raconte l’éveil de Charles Dé, homme d’affaire à la tête d’une importante
entreprise familiale horlogère. Charles n’est pas heureux. Il étouffe sous le poids de son statut social. Son fils le harcèle pour qu’il développe sa société, prenne des risques pour gagner plus
d’argent. Après une interview-vérité avec une équipe de télévision, Charles disparaît, rompt avec un monde d’affairistes dont il ne veut plus appartenir. Il rencontre Paul (Marcel
Robert) et Adeline (Marie-Claire Dufour), des marginaux, et s’installe chez eux dans une ferme de la campagne vaudoise. Grâce à l’intelligence et l’humour des dialogues,
le film n’est jamais ennuyeux. François Simon campe un Charles sensible et attachant, mal à l’aise dans une Suisse frileuse accrochée à ses banques pour laquelle toute idée nouvelle et généreuse est synonyme de peste, une Suisse domestiquée au décor
d’opérette. « Nous avons maintenant la certitude que nos montagnes ne sont porteuses d’aucune vérité ni d’aucune vertu » déclare Charles désabusé. Le cinéaste nous montre son personnage prendre
peu à peu conscience du système dans lequel il refuse d’être enfermé. « Je n’ai jamais eu besoin de lunettes » confie-il à son fils après les avoir détruites. « Pourquoi en portais-tu ? »
questionne ce dernier. « Pour-y voir moins clair » répond Charles qui déclare un peu plus tard : « Chacun se définit par ce qu’il fait. La seule chose qui me reste à faire, c’est de bien me
défaire. » Grand prix du Festival International de Locarno, ce premier long-métrage d'Alain Tanner propose un autre modèle de vie et de société qu'il nous est toujours permis
d'atteindre et de construire. Quarante ans plus tard, en pleine crise, il fait bon y réfléchir.
Photos ©Pierre de Chocqueuse, sauf les trois photos qui illustrent "Gertrude (Le cri)" ©Alain Fonteray. Merci à Lydie Debièvre et Camille Hurault du Théâtre
de l'Odéon.