Un dimanche sur deux, retrouvez les coups de
cœur du blogueur de Choc. Concerts, disques, films, livres, pièces de théâtre, rencontres, événements et scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de
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MERCREDI 21 janvier
Coup d’envoi du festival cinéma Télérama. 3 euros la place jusqu’au 27 janvier. Une belle occasion de voir ou de
revoir une quinzaine de films sortis sur nos écrans en 2008. Certains ne m’attirent pas. Woody Allen a fait beaucoup mieux que “Vicky Cristina Barcelona“, une comédie amusante
que l’on regarde pour ses actrices. J’ai déjà vu “There Will Be Blood“ de Paul Thomas Anderson et “Into the Wild“ de Sean Penn. Ils comptent parmi les meilleurs
long-métrages sortis l’an dernier et honorent ce programme.
Je me décide pour “Séraphine“, un film de Martin Provost, son troisième, un sujet qui m’attire, une histoire vraie.
Séraphine Louis (1864-1945) habite Senlis et vit de ses lessives, de travaux ménagers. La nuit dans sa mansarde, devant une statue de la Vierge qu’elle éclaire de bougies, elle
peint de petits tableaux, des fleurs, des natures mortes tout en chantant des cantiques. Elle peint car un ange le lui a ordonné. Son panier d’osier à la main, Séraphine parcourt la campagne,
colle son visage sur les troncs des arbres et se hisse sur leurs
branches. Lorsqu’elle est triste, elle parle aux fleurs, aux oiseaux, aux animaux qu’elle rencontre. Wilhelm Uhde (Ulrich Tukur), un collectionneur allemand,
l'un des premiers acheteurs de Picasso, Braque et du Douanier Rousseau, l’emploie quelques heures par semaine pour tenir sa maison et laver son
linge. Découvrant une de ses peintures, il l‘encourage à en faire d’autres. La guerre de 14 les sépare. Wilhelm Uhde doit s’enfuir et Séraphine, toujours bonne à tout faire,
continue à peindre des toiles de plus en plus grandes, de plus en plus nombreuses. Son mécène la retrouve en 1927. Il l‘aide à vivre, lui achète ses tableaux, lui trouve des clients. Lorsque
l’argent se raréfie après 1929 et qu’Uhde doit remettre à plus tard l’exposition parisienne promise, Séraphine, un cœur simple, ne comprend pas et perd la tête. Internée, elle finit ses jours à
l’asile. Yolande Moreau étonnante, prête à Séraphine son épaisseur, ses gestes maladroits, son âme sensible et attachante. Humble, frustre, modeste, Séraphine parle peu, mais
communique par les yeux, transperce par le regard. Martin Provost filme sobrement de courtes scènes que ses acteurs transfigurent. Le rythme est volontairement lent, les images
souvent belles et l’émotion palpable.
JEUDI 22
janvier
Edouard Bineau en trio au Duc des Lombards. Jean-Jacques Pussiau ne s’est pas trompé en publiant en 2002 son premier disque.
Pianiste sensible, Edouard possède son propre univers musical, joue des harmonies élégantes et un beau piano. Je ne l’ai pas reconnu avec des cheveux sur un crâne naguère rasé et la barbiche de
pharaon qui orne son menton. Sur scène, il se montre un peu gauche, présente ses morceaux presque en s’excusant. Sa timidité profite à sa musique, lui apporte une respiration appréciable. Ses
notes sont comme en attente de celles qui vont suivre. Portées par des rythmes lents et réguliers, elles semblent plongées dans un sommeil surnaturel. Si Edouard semble vivre les rêves sonores
qu’il nous fait partager, sa section rythmique veille à cadrer ses envolées
lyriques, à leur donner une épaisseur concrète. Le pianiste aime les standards dont les harmonies ressemblent aux siennes. Il interprète toujours Angel Eyes et Wayfaring
Stranger, deux extraits de “Idéal Circus“, son deuxième album dans lequel Gildas Boclé et Arnaud Lechantre l'accompagnent déjà. De nouvelles compositions
enrichissent son répertoire. Il fait danser une ronde aux notes de Canaïma rapporté d’un séjour au Venezuela. Introduit par un jeu en accords puis développé par la contrebasse,
Wared semble construit sur un mode oriental. Il y a du McCoy Tyner et du Keith Jarrett dans ce piano modal qui déploie une énergie inhabituelle dans
Je me suis fait tout petit, de George Brassens, mais conserve intact son pouvoir hypnotique et lyrique. Gildas Boclé enrichit la musique à l’archet ;
Edouard trempe ses voicings dans des lignes de blues. Il fait bon écouter ces morceaux colorés qui évoquent des images. Ils chantent de petites musiques qui mettent du baume au
cœur.
VENDREDI 23 janvier
Répétition publique de l’ONJ à la Dynamo de Banlieues Bleues. Sous la direction artistique de
Daniel Yvinec, la formation travaille depuis dix jours sur “Around Robert Wyatt“, un de ses trois projets ambitieux. Elle entre en studio la semaine prochaine pour enregistrer
l’album et en peaufine les passages difficiles. Contrairement à ce qui se fait d’habitude, Daniel a commencé par enregistrer les voix a cappella. Camille, Yaël
Naïm, Rokia Traore, Irène Jacob et Daniel Darc ont confié les leurs à l’orchestre et Robert Wyatt prête la sienne à
six morceaux. Ces voix nues et invisibles, des instruments les habillent, leur donnent des couleurs. Daniel a eu la bonne idée de demander à Vincent Artaud de s’occuper des
arrangements. L’auteur de “La tour invisible“ ne pouvait que se réjouir de ces
mélodies enchanteresses, solides barres d’appui à des relectures oniriques. Saxophones alto et ténor, clarinette et clarinette basse, cor, trompette, flûtes soulignent les thèmes, les plongent
dans un univers sonore neuf et personnel ; les claviers les trempent dans des sonorités futuristes ; la guitare les enracine dans le rock. Vincent Artaud aime mettre en boucle
quelques notes, fabriquer de courtes séquences répétitives. Il marque la musique de son propre regard. Rangers in the Night, démarquage original de Strangers in the Night, le
tube de Frank Sinatra, une pièce très simple que Robert chante en s’accompagnant au piano, hérite de sonorités somptueuses. Son crescendo final évoque la coda magnifique de A
Day in the Life. La voix cassée de Daniel Darc fragilise le tendre O Caroline, lui transmet sa sensibilité d‘écorché vif. Les thèmes de ce répertoire n’ont pas tous
été composés par le barde à la voix d’archange. Shippbuilding, un vieux thème d’Elvis Costello, est confié à la voix de Yaël Naïm. La musique de The
Song (un des grands moments de “Songs“ un album de John Greaves dans lequel chante Robert) se voit transfigurée par une orchestration raffinée dans sa mise en couleurs.
Cette passionnante répétition annonce de magnifiques concerts et un album pour le moins gigantesque. Sa sortie est annoncée pour le 23 avril. On écoutera les disques de Robert
Wyatt pour patienter jusque-là.
DIMANCHE 25 janvier
Plus de cent mètres de queue pour “Les plages d’Agnès“ programmé dans le cadre du festival Télérama dans une seule salle
parisienne. La chance souriant aux audacieux, Emmanuel et moi parvenons à rentrer. Dans ce film poétique et touchant, véritable puzzle assemblant extraits de films, photos, documents, scènes
reconstituées et images oniriques imbriquées les unes dans les autres, Agnès Varda livre sa vie. Chronologique, son film déborde d’invention, d’humour, de digressions malicieuses et tendres.
S’appuyant sur un montage acrobatique, Agnès nous raconte son enfance en Belgique et à Sète, son adolescence à Paris où elle s’éveille à sa future carrière artistique. L’Ecole de photos de la rue
de Vaugirard la conduit à photographier les premières éditions du Festival d’Avignon et à travailler au TNP avec Jean Vilar. Le cinéma, elle l’ose en 1954 avec “La pointe
Courte“. Alain Resnais le monte et tourne quelques scènes de raccord. Au début des années 60, Agnès Varda tourne "Cléo de 5 à 7", un autre film à petit budget,
un film phare de la nouvelle vague dont elle est la seule cinéaste. Sa carrière est lancée. Devant son domicile parisien, la rue Daguerre transformée en plage (les mouettes sont des mobiles qui
battent leurs ailes de carton), Agnès nous parle de ses amis, de sa famille, des vivants et des morts, et parsème ses souvenirs d’images surréalistes et de scènes poétiques. Ses plages, ce sont
celles de la mer du Nord et de son enfance, de Sète où elle passe toute la guerre, de Venice en Californie où elle s’installe à la fin des années 60, de l’île de Noirmoutier qu’elle parcourt avec
Jaques Demy, son Jacques, Jacquot de Nantes dont elle célèbre pudiquement la mémoire. Un film vif, tendre, émouvant que l’on regarde émerveillé.
AmeriKa, une adaptation de “L’Amérique“ de Franz Kafka au Lucernaire, le moins noir de ses romans. Le burlesque
l’emporte, mais le candide Karl Rossmann a bien du mal à s’intégrer dans ce pays neuf dont le culte est celui de l’argent. De nombreux déboires parsèment ses aventures. Chassé
par son oncle sénateur, volé par un tandem d’escrocs, il se retrouve malgré lui protégé par les femmes, sauvé par sa jeunesse. On ne saura jamais ce que l’Amérique réserve à cet ex-groom nommé
machiniste du grand Théâtre d’Oklahoma. On quitte le héros, « délicat et les joues toujours creuses » dans un wagon de chemin de fer en compagnie de la tendre Thérèse. Dans le livre, il s’agit de
Giacomo, employé comme lui à l’Hôtel Occidental. Qu’importe ! Kafka n’a
jamais terminé son livre. Vincent Colin en signe une jolie adaptation théâtrale. Sa mise en scène vive et rythmée valorise six acteurs et actrices qui passent d’un personnage à
un autre, font oublier l’absence de décors. La pièce dure une heure et quart. On n’y voit pas le temps passer. Vous avez jusqu’au 22 février pour rire et suivre les aventures d’un naïf
attachant.
Réservations au 01 45 44 57 34 http://www.lucernaire.fr/
- L’auteur de l’affiche, Joël Guenoun, a un très beau site sur le net. Allez-y voir : http://www.joelguenoun.com/
MERCREDI 28 janvier
Depuis lundi, Jacky Terrasson occupe le Sunside. Il s’y sent chez lui et invente soir après soir en
solo. Le blues nourrit ses lignes mélodiques, mais Jacky utilise un vocabulaire harmonique très varié dont les racines plongent aussi dans la musique classique européenne. On ne sait jamais ce
qu’il va jouer. Lui non plus. Une belle page romantique succède à un prélude dissonant. De notes puissamment martelées sort une mélodie de rêve, une miniature sonore aussi fugace que belle. Tel
un magicien, Jacky tire de son chapeau un splendide Over the Rainbow et lui imprime un doux balancement. La main droite, légère, ornemente, en détache sensuellement les notes
essentielles. Un vieux blues bancal et burlesque introduit You’ve Got a Friend de Carole King. Take the A Train hérite d’un tempo
lent et chaloupé. Une composition sans titre se mâtine de rythmes afro-cubains. Les doigts font danser les notes, leur imposent des cadences hypnotiques. Après un Caravan très percussif,
le deuxième set de la soirée célèbre longuement le blues. Jacky en esquisse les phrases, leur donne rythme et respiration avant d’en bousculer les accords dans un jeu très physique. Les notes se
font puissantes, gonflent et s’étalent comme des vagues. Celles de I Love you More, une ultime ballade, apaisent et mettent en joie.
JEUDI 29 janvier
Le musée d’Orsay offre aux regards une centaine de pastels jusqu’au 1er février, une exposition intitulée “Le Mystère
et l’Eclat“. Fragiles, ils supportent mal la lumière du jour et ne sont pas souvent montrés. La première salle que l’on visite contient deux grandes œuvres étonnantes de Sam
Szafran, un artiste né en 1934 et qui travaille le pastel depuis 1958. Je ne goûte guère les peintres réalistes, et pas davantage les portraits mondains d’Emile Lévy,
Louise Breslau et Lucien Lévy-Dhurmer qui baignent dans un académisme bon teint. Les impressionnistes m’impressionnent davantage. Pas tous. Le Nageur de
Gustave Caillebotte (un plongeur en maillot rayé) accroche le regard. Les ciels d’Eugène Boudin sont incomparables. Edouard Manet se mit tard au
pastel. Son premier, Portrait de Madame Edouard Manet sur un canapé bleue, reste un coup de maître et sa Femme au chapeau noir est presque aussi bien. On connaît mieux les
pastels de Degas. Ce mélomane dispose d’un fauteuil d’orchestre à l’Opéra. Son abonnement lui permet aussi de fréquenter le foyer de la danse. Il en profite. Sa Danseuse au bouquet, saluant est célèbre mais les femmes qu’il montre souvent
dans leur bain, captivent autant que ses danseuses. Les peintres symbolistes sont loin de tous posséder le même génie artistique. On doit à Lévy-Dhurmer un beau portrait de Georges
Rodenbach, l’auteur de “Bruges la morte“. Lévy-Dhurmer cultive souvent l’étrange. Sa Femme à la médaille s’appelle aussi Mystère. Les scènes mythologiques
d’Emile-René Ménard ou de Kerr-Xavier Roussel m’ennuient. Rattaché au symbolisme, Odilon Redon invente un monde onirique plus beau que celui des
autres. Le Char d’Apollon, Le grand vitrail (1904) longtemps la propriété du pianiste Ricardo Viñès, et Le Bouddha, un grand pastel sur papier beige
qu’il réalise vers 1906-1907 comptent parmi les plus belles œuvres de cette exposition.
Photos © Pierre de Chocqueuse, sauf affiche et photo du film “Séraphine“ © Diaphana Films ;
affiche du film “Les plages d’Agnès “ © Les Films du Losange ; affiche et photo de la pièce AmeriKa ©Compagnie Vincent Colin ; Portrait de Mme Edouard Manet sur un canapé bleu © Musée d'Orsay,
dist. RMN / © Patrice Schmidt.