Je n’ai jamais été un grand fan de Baptiste Trotignon. Dans ses précédents albums en trio ou avec David El-Malek, le pianiste étale un peu trop sa technique. Bon musicien, mais acrobate du bop, il jongle avec ses notes et donne peu d’émotion. Plus intéressants, ses deux disques en solo réservent de bons moments. Le piano se fait tendre, le discours devient sensible et poétique et la musique y gagne. On entend cela dans cet album new-yorkais. Le langage y est constamment musical, le pianiste met sa technique au service de la musique et n'en fait jamais trop. Baptiste nous offre des thèmes simples, élégants et souvent mélodiques, à l'écriture travaillée. Ses morceaux à tiroirs réservent des surprises, des thèmes secondaires, des cadences qui étonnent et stimulent la section rythmique. La contrebasse très souple de Matt Penman réagit comme un élastique à ces tensions inattendues. Eric Harland jongle avec une grande variété de rythmes. Sa batterie ne marque pas seulement le tempo, mais colore et nourrit le flux musical. Otis Brown officie dans les morceaux plus ternaires, dans Dexter, une pièce bop que chauffent à blanc le saxophone ténor de Mark Turner et le bugle de Tom Harrell. Ce dernier s’offre un très beau duo avec Baptiste dans Blue, une pièce douce et magique. Contrairement à de nombreux saxophonistes, Mark a beaucoup à dire. Il raconte des histoires, possède une sonorité et un langage harmonique bien à lui. Dans Flow, son saxophone chante la mélodie avec le piano, en décline les harmonies par petites touches, joue de courtes phrases personnelles. On retrouve les deux souffleurs dans Samsara, un thème élégant qu’ils habillent de couleurs éclatantes. Nerveux et virtuose, le piano chante de délicates petites musiques. Peace dans lequel on entend quelques notes du 4ème prélude de Chopin est très attachant. On ne s’ennuie pas une seconde à l’écoute de ces onze plages, le meilleur disque de Baptiste Trotignon.