Un
dimanche sur deux, retrouvez les coups de cœur du blogueur de Choc. Concerts, disques, films, livres, pièces de théâtre, rencontres, événements et scènes de la vie parisienne à vous faire
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SAMEDI 31 janvier
“La ville“, une pièce de Martin Crimp au Théâtre des Abbesses. Assise sur un banc, Claire (Marianne Denicourt),
traductrice de textes fastidieux, raconte à son mari Christopher (André Marcon) sa rencontre avec un écrivain. Ce dernier lui a offert l’agenda qu’il destinait à sa fille, partie
avec sa belle-sœur infirmière. Le temps passe. Claire en robe légère travaille dans son jardin. Jenny (Hélène Alexandridis), une voisine, une infirmière, vient se plaindre du
bruit que font leurs enfants lorsqu’ils jouent dans le jardin avec Christopher qui a perdu son travail. Le mari de Jenny, un militaire, est parti à la guerre « Pas pour tuer, il est médecin »
précise-t-elle. Les jours s’écoulent. Christopher a retrouvé un emploi et Claire lui annonce que l’écrivain qu’elle a rencontré quelques mois plus tôt l’invite à assister à une conférence à
Lisbonne… L’intrigue serait banale si elle n’était pas portée par un texte d’une grande virtuosité littéraire. Martin Crimp pratique l’épure. Son écriture précise, presque
minimaliste fourmille de détails nullement anodins, chacun d’eux étant la pièce d’un puzzle que l’auteur nous charge d’assembler. Il nous livre très peu de choses sur ses personnages. A
nous de les connaître, de les découvrir par l’écoute attentive des histoires qu’ils racontent, récits dont nous saisissons l’étrangeté sans vraiment les comprendre. Sont-ils réels ? Ne sortent-ils pas plutôt de l’imagination de Claire ? Sa fille– elle n’a aucun prénom – ne
porte-t-elle pas curieusement un uniforme d’infirmière ? Et puis quel âge a-t-elle ? Le choix de confier le rôle à une toute petite jeune femme augmente la confusion du spectateur. Ne sommes-nous
pas plutôt dans une histoire inventée par Claire au sein même d’une fiction théâtrale ? Jouée par de très bons acteurs et sobrement mis en scène par Marc Paquien, “La ville“ se
voit sans ennui malgré les zones d’ombre désirées par l’auteur. On se laisse porter par des dialogues brillants teintés d’un humour très britannique, par une langue fluide et rythmée remplie de
petites choses apparemment sans importance. Reliées les unes aux autres, elles forment la trame d’un récit complexe, une intrigue qui jusqu’au bout conserve son mystère.
Amiens, Colombes, Bordeaux, Lille, La Rochelle, Istres et Nantes (au Grand T du 2 au 4
avril) accueilleront la pièce.
DIMANCHE 1er Février
Vu “Le bal des actrices“ de Maïwenn. Le film se présente comme un documentaire sur quelques actrices que la réalisatrice suit dans leurs
déplacements et leur vie quotidienne. Caméra au poing, elle met en scène de fausses petites histoires comme celles dont raffolent les lecteurs de “Voici“, nous montre sur un ton gentiment moqueur
ses comédiennes fragiles, humaines et plutôt sympathiques. Chacune d’entre-elles apparaît dans une séquence musicale au kitch hollywoodien. Mais, la réalisatrice a beau pratiquer l’autodérision,
brosser des portraits pas toujours flatteurs de ses actrices, Mélanie Doutey, Karin Viard, Julie Depardieu, Jeanne Balibar,
Marina Foïs, Muriel Robin, Charlotte Rampling, Romane Bohringer n’en font pas moins complaisamment parler d’elles en
interprétant leurs propres personnages. La publicité n’a jamais nuit à personne et Maïwenn en profite pour faire la sienne et s’invente une relation avec un Joey
Starr, étonnant de naturel. Filmé sans trop de soin - les images bougent exprès pour faire reportage – , son ballet d’actrices ne manque pas de charme. Certaines séquences émeuvent
(Estelle Lefébure touchante car mal à l’aise), d’autres font rire ou sourire. Parodie de comédie musicale américaine, le générique amuse et les séquences musicales sont très
travaillées. L’affiche surtout accroche le regard. Ce n’est pas une scène du film, mais une image racoleuse qui fonctionne et attire le spectateur dans les salles. C’est probablement d’elle dont
on se souviendra le plus.
LUNDI 2 février
Accueilli par Dominique Lioté, directeur général des brasseries Flo, on se bouscule
ce lundi au “Bœuf sur le Toit“ pour boire du champagne et écouter le trio de Pierre Christophe animer une jam-session. Au cours de la soirée, la pétillante Anne
Ducros, l’excellent tromboniste Sébastien Llado, l’incontournable Manu Dibango investirent la scène et firent tanguer ce lieu mythique, grand navire à
nouveau secoué par le jazz et ses rythmes. Avant de devenir une brasserie célèbre, le Bœuf fut d’abord un ballet. Darius Milhaud le composa en 1919. La Comédie des Champs-Elysées
l’inscrivit à son programme l’année suivante. Jean Cocteau trouva le nom et Louis Moysès appela ainsi le bar dancing qu’il ouvrit en 1921 au 28 de la rue Boissy
d’Anglas. Épicentre du Paris des Années Folles, ce premier bœuf est celui dont parle Maurice Sachs dans son livre “Au temps du bœuf sur le toit“. Pianiste virtuose, Clément Doucet faisait le bœuf (l’expression y est née) avec Jean
Wiener. On y croisait Igor Stravinsky et Blaise Cendrars, Pablo Picasso et Coco Chanel, Francis
Poulenc et Jean Cocteau. Ce dernier suivit le Bœuf lorsque son propriétaire l’installa en 1941 au 34 rue du Colisée. Boiseries de chêne, peintures, photographies, décors
géométriques à chevrons, verres gravés, grands panneaux en laque de Coromandel, l’endroit tout en enfilade évoque un grand paquebot art déco. Juliette Greco et Serge
Reggiani, Django Reinhardt et Charlie Parker le fréquentèrent après la guerre. Propriété du Groupe Flo depuis 1985, le Bœuf sur le Toit accueillera des
jazzmen les premiers lundi de chaque mois. La programmation a été confiée à Frédéric Charbaut. Espérons-la d’un effet bœuf.
MERCREDI 4 février
Le Surnatural Orchestra au Cabaret Sauvage. L’endroit idéal pour un concert de ce big band décoiffant dont vous
allez beaucoup entendre parler. Ce collectif de plus de vingt musiciens est d’abord une fanfare. Flûtes, trompettes, trombones, saxophones (alto, soprano, ténor et baryton), tuba et deux gros soubassophones aux pavillons rutilants pour jouer les basses créent une
pâte sonore colorée, la douce petite musique des flûtes accompagnant le tonnerre des cuivres, les lignes mélodiques suaves et élégantes des anches. Pour marquer les rythmes, deux batteurs
percussionnistes complètent cette vraie fanfare malgré la présence d’un préposé aux claviers et occasionnellement d’une basse électrique. Capable de se produire en pleine rue, en bas de chez
vous, le Surnatural Orchestra transporte avec lui ses lumières, ses lampes, ses luminaires. Avec leurs longues tiges flexibles, ces derniers ressemblent à de longues fleurs géantes. Ils éclairent des tenues de scène bariolées, un spectacle coloré et visuel. Un
fil tendu aux deux extrémités de la piste circulaire du Cabaret Sauvage attend des funambules ; une corde suspendue au sommet du chapiteau, invite à des numéros d’acrobates. Ces voltigeurs amis
font partie d’un cirque, la Compagnie des Colporteurs. Leurs numéros accompagnent de nouvelles compositions aux titres surprenants (Six apparitions de Berlusconi sur un écran), mais aussi des improvisations collectives ou soundpainting, une musique
mobile, in progress, que dirige à tour de rôle les membres de l’orchestre ou l’homme sans tête qui donne son titre au nouvel album. On est pris dans un tourbillon de notes, une féérie de
couleurs et de lumières, gigantesque patchwork sonore dans lequel des valses à trois temps tendent la main au swing, rencontrent Nino Rota et Carla Bley, le
Willem Breuker Kollectif et Battista Lena. “Sans tête“, leur nouvel opus vient de paraître, deux disques dans un coffret cartonné. S’y ajoutent “Soif" épopée
marine de Nicolas Flesh, et une plaquette contenant des photos et dessins de Camille Sauvage. Prochain concert parisien au Studio de l’Ermitage les 10 et 11 mars
prochains.
DIMANCHE 8 février
Dave Liebman, Bobo Stenson, Jean-Paul Celea et Daniel
Humair au Sunside. Le club refuse du monde. Ce nouveau groupe n’a pas échappé à la vigilance de l’amateur de jazz. Il se souvient de Quest, groupe à l’énergie
dévastatrice, l’un des meilleurs des années 80. Dave Liebman l’animait et son saxophone soprano lançait des flammes. Le groupe jouait un jazz moderne tendu à l’extrême, comme un fil prêt à se rompre. La musique de ce nouveau quartette
présente des différences notables. Daniel Humair la
souhaite moins agressive et son drumming est davantage caresse de
cymbales que martèlement de tambours de guerre. Il colore le flux
harmonique, mais peut installer un vrai chabada pour ponctuer un morceau plus classique hérité du bebop. Dave Liebman possède une très forte personnalité. Dès qu’il souffle dans
un saxophone – ténor, mais surtout soprano – une sonorité puissante et originale s’impose et fascine. Au piano, Bobo Stenson calme les notes de feu du saxophoniste, développe un
jeu mélodique sensible et lyrique, introduit des dissonances, des ruptures, joue des phrases abstraites qui étonnent. Une basse solide fait le lien, tisse les fils d’un travail de groupe. Loin de
faire gronder son instrument, Jean-Paul Celea préfère commenter dans les aigus, saupoudrer d’harmonies les compositions de ses partenaires. La formation donne ses premiers
concerts. Elle est déjà très prometteuse.
MERCREDI 11 février
"Les Enfants Terribles" de Jean Cocteau mis en scène par Paul Desveaux au Théâtre de l’Athénée. Ce n’est pas une pièce mais un opéra de
chambre composé pour trois pianos par Philip Glass, le troisième volet d’un tryptique consacré à Cocteau, après “Orphée“ (1993) et "La belle et la bête" (1995). Avec l’aide de la
chorégraphe Susan Marshall, Glass l’a conçu comme un dance-opera dans lequel les chanteurs sont aussi des danseurs. Frappé en pleine poitrine par une boule de neige lancée par
Dargelo, un camarade qu’il vénère, Paul (le baryton Jean-Baptiste Dumora) doit garder la chambre. Sa sœur Elisabeth (la soprano Myriam Zekaria) le veille
jalousement. Elle écarte Agathe, un double féminin de Dargelos (Muriel Ferraro, une soprano, tient les deux rôles) dont Paul est amoureux et manigance le mariage cette dernière
avec Gérard (le ténor Damien Bigourdan), le narrateur de l’histoire. Découvrant ces manœuvres, Paul s’empoisonne. Elisabeth rejoint son frère dans la mort. Ces quatre personnages
occupent la scène. Ils chantent, dansent, au rythme d’une musique ensorcelante. Une nouvelle chorégraphie confiée à Yano Latridès donne à voir des scènes presque irréelles :
celle de la boule-de-neige ; le frère et la sœur jouant à se disputer et à « partir » ; Paul somnambule tournant sur lui-même tel un derviche. Les moments féeriques ne manquent pas dans ce
spectacle qui nous mène dans des chambres mystérieuses où se promènent des enfants joueurs qui préfèrent les rêves à la réalité. Un tapis, quelques coussins, deux chaises, un lit qui va et vient, il n’en faut pas davantage pour décorer l’espace
scénique et inventer une chambre, lieu clos « espace imaginaire où le territoire de l’intime se révèle à cœur ouvert. » Trois pianistes (Véronique Briel, Cécile
Restier, Vincent Leterme et Stéphane Petitjean en alternance) occupent le fond de la scène derrière un fin rideau qui sert d’écran aux ombres et aux
jeux de lumières. Ils répètent des figures, de courtes phrases sans cesse enrichies de micro-intervalles, quarts ou huitièmes de ton, progression additive de figures répétitives. La musique
rythmée et en mouvement épouse les tensions dramatiques du récit. L’ouverture est splendide, de même que l’interlude instrumental accompagnant la danse de Paul en somnambule. Dommage que
Muriel Ferraro articule mal. Elle compense ce défaut par sa grâce, sa mobilité. Jolie fille, elle tourbillonne et virevolte comme un papillon. On sort de ce spectacle de belles
images plein les yeux et hypnotisé par une musique qui vous trotte très longtemps dans la tête.
VENDREDI 13 février
Le Sunside accueille Vijay Iyer. New-yorkais d’origine indienne, ce
dernier n’a pas peur de jouer un piano différent, une musique résolument moderne qui n’est pourtant pas exempte de lyrisme. Son trio l’aide beaucoup à la construire. Stephen
Crump à la contrebasse et Marcus Gilmore à la batterie tissent une véritable toile rythmique aux ponctuations irrégulières, aux métriques inhabituelles, un tissu
percussif d’une grande mobilité qui superpose de nombreuses figures asymétriques. La main gauche du pianiste plaque des accords sombres et dissonants ; la droite peut longuement répéter un thème
riff, s’emparer de quelques notes et développer de longs voicings inattendus. Vijay Iyer pratique un jeu orchestral. Il prend le temps de faire sonner ses notes, de les jouer crescendo. La caisse claire porte le flux sonore à ébullition ; la contrebasse
réactive s’empare d’une ligne jouée par le piano pour la commenter. Une mélodie peut jaillir d’un amoncellement d’accords et de clusters. Vijay invente, varie sans cesse son langage pianistique
et prend des risques. Sa musique in progress bruisse de cadences sauvages et vibre de puissance. “Trajicomic“, son dernier album a été récompensé par Jazzman. Un Choc de l’année 2008 tout à fait
mérité. Vijay en joue quelques morceaux. Je reconnais Comin’up et sa renversante petite musique, sa structure rythmique particulière. Le second set moins abstrait, plus mélodique, me
laisse une profonde impression. Le jazz bat d’autres rythmes, explore de nouveaux champs harmoniques. On ne doute pas de sa bonne santé après un tel concert.
Photos © Pierre de Chocqueuse, sauf Marianne Denicourt © Frédéric Joyeux - "La Ville“©Photo X - "Les Enfants Terribles © Elizabeth
Carecchio.