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19 février 2009 4 19 /02 /février /2009 10:30
Dans quelques jours sort sur Bee Jazz “Songs from the Last Century“, troisième volet des aventures de Guillaume de ChassyDaniel Yvinec. Après un hommage à la chanson française et un album concept autour de quelques mélodies immortelles de Broadway, nos complices, en compagnie de deux légendes du jazz, Paul Motian et Mark Murphy, font revivre quatorze chansons du siècle passé. A l’occasion de cette parution, j’ai demandé à Guillaume de Chassy de se pencher sur son parcours singulier et c’est dans sa maison de Bourg-la-Reine qu’il m’a expliqué comment un ingénieur chimiste pouvait devenir musicien de jazz. L’interview étant très longue, je préfère la fractionner en deux parties, et vous donner à lire la seconde la semaine prochaine.
  
- Tu as fait des études d’ingénieur chimiste…
- Pas seulement des études. Après avoir obtenu mon diplôme et effectué un tour du monde sac au dos, j’ai travaillé trois ans à Strasbourg comme ingénieur chimiste pour le Ministère de l’Environnement. Je menais alors une double vie car le soir j’étais musicien. Je faisais le bœuf et travaillais mon piano.

- Le piano tu as appris à en jouer en autodidacte ?
- Non, au Conservatoire. J’ai fait des études de piano classique. J’écoutais beaucoup de musique classique, le grand répertoire. Mon professeur me voyait concertiste. Elle avait commencé à m’y préparer, mais ça ne m’intéressait pas. A 14 ans, je me suis fâché avec elle, après 7 ans de piano. Ma prof était une bonne pédagogue, mais je ne faisais pas de musique avec elle. Elle ne m’en faisait jamais écouter, ne me parlait que de piano et de technique et je voulais entendre autre chose, faire autre chose. Je suis parti en courant sans achever mon cursus. J’ai failli être perdu pour la musique. J’y suis revenu deux ans plus tard, à 16 ans, grâce à un professeur exceptionnel. Il m’a fait découvrir Rachmaninov, Scriabine, Prokofiev, Debussy, Ravel, me donnait des cours particuliers qui duraient deux heures. Je travaillais avec lui le piano pendant une heure, puis il me jouait des œuvres ou me faisait écouter des disques, la meilleure leçon de musique que l’on puisse rêver. Je suis resté en contact avec lui jusqu’à sa mort prématurée et lorsque j’ai commencé à jouer de jazz, il m’a encouragé. C’était un type intelligent, un vrai musicien.


- Tu as donc découvert le jazz tardivement ?
- Oui. J’avais 20 ans, l’âge où beaucoup de musiciens débutent leur carrière de jazzman. Un ami m’a fait entendre un disque live de Monty Alexander, une révélation. Peu de temps après, j’ai acheté mon premier disque de jazz qui est toujours un de mes disques de chevet : “New Jazz Conceptions“ de Bill Evans. Une seconde révélation. Je me suis donc mis à écouter du jazz.


- Et tu t’es mis à en jouer ?
- J’essayais de copier ce que j’entendais dans les disques, mais je n’y comprenais rien. Les rythmes, les harmonies de Bill Evans, de Monty Alexander étaient très trop élaborés.


- Ta connaissance de l’harmonie classique, tes études de piano ne t’ont donc pas aidé ?
- J’étais handicapé par le rythme, le phrasé, le tempo. C’était comme des langues étrangères. Pour caricaturer je dirai que le musicien de jazz s’arrête de jouer quant on lui met une partition devant les yeux et le musicien classique lorsque la partition se referme. Ce n’est plus vrai aujourd’hui avec toutes ces écoles de jazz. Mais à l’époque j’étais mal à l’aise avec le rythme et le phrasé, mais très à l’aise avec l’harmonie, le son, la dynamique, les nuances, les couleurs du piano. J’avais grandi avec Ravel, Debussy, Dutilleux et le langage harmonique des musiciens de jazz m’était familier. J’ai commencé à jouer du jazz avec des musiciens plus forts que moi et ils m’ont appris beaucoup de choses. Je donnais de petits concerts sans prétention tout en poursuivant mes études d’ingénieur. Lorsque je me suis retrouvé en poste à Strasbourg, les engagements ont été plus nombreux. J’avais gardé de nombreux contacts avec des musiciens de Toulouse, ville où j’avais fait mes études supérieures. Un chanteur indien, Ravi Prasad, m’a proposé de faire un disque. Je n’étais pas encore un bon improvisateur et ça m’a obligé à progresser.
 

-A quel moment as-tu décidé de lâcher ton métier d’ingénieur pour devenir un musicien de jazz à temps plein ?
-En 1994, une boîte privée m’a proposé de quitter le Ministère de l’Environnement pour pantoufler chez eux, mais j’étais tellement impliqué dans la musique que je me suis dit que je devais choisir entre le métier d’ingénieur et une carrière de musicien. J’ai choisi la seconde option, consacrant tout mon temps au jazz, travaillant comme un fou pour me mettre au niveau. J’acceptais tout ce que l’on me proposait. Je jouais tous les soirs. C’est une bonne façon d’apprendre. Pendant un an, je me suis concentré sur ce travail, ne m’occupant que de musique. J’ai englouti un énorme répertoire, me plongeant dans Coleman Hawkins, Sonny Rollins, Bud Powell, Wynton Kelly, Red Garland, Ahmad Jamal. C’était pour moi une nécessité vitale. Je ne pouvais pas m’en empêcher. Ce travail d’écoute, de compréhension est devenu mon pain quotidien. J’habitais à nouveau Toulouse. Mon premier disque “Pour Monk“ date de cette époque. Je l’ai produit moi-même sans trop savoir comment le vendre. Je n’avais pas encore d’existence médiatique. Je ne la recherchais pas. J’étais comme un peintre qui ne se préoccupe pas de savoir si ses toiles seront exposées et vendues. Stéphane Belmondo joue dans ce disque ainsi qu’une fantastique chanteuse, Magali Pietri.


- Arrivais-tu à vivre en faisant du jazz ?
- J’en vivais, mais très mal. J’étais devenu un bon pianiste local, mais surtout pleinement moi-même. Après ce premier disque, Jean-Michel Pilc m’a conseillé de quitter Toulouse et de monter à Pari
s. Il partait s’installer à New York et me proposait son appartement. A Paris, j’ai diversifié mes activités. J’ai travaillé avec une danseuse de flamenco, Ana Yerno, avec laquelle j’ai beaucoup appris sur le geste et le rythme – elle est danseuse percussionniste. Beaucoup de choses m’intéressaient en dehors du jazz. J’ai écrit un conte musical dans lequel j’étais pianiste et narrateur, “La fabuleuse histoire de la femme obus“. Philippe Renault, un tromboniste, et Pierre Dayraud, un percussionniste, m’accompagnaient. J’ai écrit une cantate, une pièce classique créée en 2000 et enregistrée avec le chœur Les Eléments dirigé par Joël Suhubiette.

-Personne ne te connaissait à Paris. Jouais-tu facilement dans des clubs ? Comment trouvais-tu des engagements ?
-J’ai peu joué dans les clubs parisiens la première année. J’ai néanmoins fait quelques bœufs et pas mal de jam-sessions. Un ami originaire de Toulouse, le guitariste Frédéric Favarel, m’a présenté des musiciens. Un lointain cousin, le contrebassiste Benoît Dunoyer de Segonzac m’en a également fait rencontrer. Les choses se sont faites petit à petit. J’ai fini par jouer dans des groupes avant d'enregistrer en 1998 mon deuxième disque, “Rimes“, avec Olivier Ker Ourio à l’harmonica, Pierre Drevet à la trompette et au bugle, Eric Surménian à la contrebasse et Frédéric Jeanne à la batterie. J’avais proposé à Jean-Louis Wiart de le produire sur son label AxolOtl et il avait courtoisement refusé. Une amie commune nous avait présenté et Jean-Louis suivait avec beaucoup d ‘attention mon travail. Trois ans plus tard, je lui ai proposé un autre projet avec Ker Ourio, Surménian, deux percussionnistes, Pierre Dayraud et Laurent Paris, et une voix, celle de ma femme qui chante sur un titre. Et là, Jean-Louis m’a dit d’accord et a produit le disque. “Vue du phare“ est l’un de mes préférés, rien que des compositions originales hormis Gentil coquelicot. Il est sorti sur un vrai label et c’est avec lui que j’ai commencé à affirmer mon identité musicale, même si les ventes restèrent confidentielles. Un disque est un work in progress. Il permet à l’artiste de poser des jalons, de grandir, d’expérimenter. Il peut également se planter. Il met toute sa force et sa sincérité dans un projet et, le temps passant, il s’aperçoit que ce projet est plus ou moins adroit, plus ou moins bien réalisé et maîtrisé.


- A quel moment se situe ta rencontre avec Daniel Yvinec ?
- Daniel m’a appelé peu de temps après. Nous avions fait un concert ensemble plusieurs années auparavant, sur une péniche dans des conditions misérables. Je jouais sur un clavinova et Daniel sur une basse électrique. Ce concert catastrophique nous avait pourtant rapproché. Donc, Daniel m’appelle et me dit avoir carte blanche pour un concert et me propose de le rejoindre. C’était le 5 mai 2002, le jour de la réélection de Jacques Chirac. Depuis lors, nous ne nous sommes plus quittés. Je l’ai invité à participer à mes concerts, nous avons fait de nombreuses jam-sessions ici même à Bourg-la-Reine, dans cette maison et je me suis retrouvé dans un tourbillon dont j’étais à l’origine. J’étais bien, je me sentais prêt, comme un vin qui a longtemps reposé dans une cave. J’avais fait les choses à l’envers. Les fleurs et les fruits étaient sur les branches de l’arbre avant son enracinement. L’arbre a pris racine sur le tard, mais profondément. Mon piano a aujourd’hui une identité, une couleur parce que j’en ai solidement ancré le vocabulaire dans la tradition. Je compose peu en ce moment, mais je passe des heures à travailler les standards et Bach et plus je les approfondis, plus les choses deviennent évidentes sur scène lorsque j’improvise. Porté par l’inspiration du moment, je joue avec mes forces et mes faiblesses. Je ne cherche nullement à reproduire le travail de fond que je fais chez moi.


- Mais cette manière de travailler n’amène-t-elle pas des automatismes que tu reproduis sur scène ?
- Ça en crée, mais ils se fondent dans mon propre vocabulaire. C’est probablement l’avantage de la maturité. Un filtre se met en place automatiquement pour éviter les clichés et laisser toute la place au chant intérieur.
A suivre la semaine prochaine dans "Les années Bee Jazz".

http://www.guillaumedechassy.fr
http://www.myspace.com/gdechassy
Photos ©Pierre de Chocqueuse, sauf la photo en noir et blanc (Guillaume au piano) © Pierre Lebouc
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