Ce nouvel album de John Taylor en solo ne dévoile pas aisément ses secrets. Son approche
en est même difficile. Le pianiste anglais construit un univers sonore raffiné dans lequel les thèmes complexes et durs à mémoriser naissent de savantes constructions harmoniques. A peine
entrevus, ils nous échappent, génèrent d’autres mélodies tout aussi fugitives. John Taylor joue une musique souvent abstraite. Son langage introspectif et poétique évoque des
images, fait travailler l’imagination. Sa vision du jazz est européenne. Son vocabulaire, ses choix mélodiques traduisent des influences classiques, surtout le court Prelude n°3, dans
lesquelles il donne poids et volume à ses notes inquiétantes. Les “Phases“ qu’il décrit, ce sont celles des saisons. Dans Spring, la musique semble sortir d’un long sommeil, hésite puis
se transforme, devient vive et lumineuse. Summer déploie de riches couleurs harmoniques. Le piano esquisse des pas de danse, chante de délicates ritournelles. Autumn, une pièce
sombre, lente, mélancolique, s’articule autour d’une mélodie circulaire. Le début de Winter est presque un ostinato. Le piano chante les mêmes petites notes puis improvise des variations
qui étrangement relèvent du blues. Ces quatre saisons, John Taylor ne les joue pas les unes derrière les autres, mais intercale entre-elles des compositions fascinantes. Les ambiguïtés harmoniques de Ritual, une pièce très noire, le mystérieux et envoûtant Frolics
qui révèle davantage sa beauté à chaque écoute sont quelques-unes des miniatures constituant le programme de ce disque. Quatre d’entre-elles dépassent les cinq minutes. Eulogy fut
enregistré par Taylor avec le groupe Azimuth en 1978 et une première version d’Autumn apparaît dans “Départ“, le troisième disque de cette formation. John
Taylor joue aussi du célesta dans Foil et Duetto, deux morceaux plus accessibles. Dans le premier, le piano brode un contrepoint mélodique autour des notes répétitives
du célesta. Dans le second, le piano assure le travail rythmique et le célesta improvise. Avec Fedora, une composition de Kenny Wheeler jouée staccato, Duetto
est une des rares plages de l’album à posséder une véritable cadence. For Carol et son beau thème nostalgique est également d’un accès plus facile. Soyez patients avec ce disque. Il faut
plusieurs écoutes pour en saisir les richesses.