Cinquième opus que Paul Motian consacre aux mélodies de Tin Pan Alley, “On Broadway Vol. 5“ est un disque presque aussi bon que “On Broadway Vol. 3“ enregistré en 1991 avec Lee Konitz et Joe Lovano, la guitare de Bill Frisell palliant l’absence de piano. Grand mélodiste, auteur de thèmes souvent repris, le batteur attache beaucoup d’importance aux souffleurs qui l’entourent. Après Chris Potter qui remonte le niveau de “On Broadway Vol. 4“ gâché par une chanteuse peu convaincante, il choisit deux saxophonistes complémentaires, Michaël Attias et Loren Stillman. De ce dernier, musicien dont l'alto chante comme un ténor, je recommande les albums, “How Sweet it is“ et “It could Be Anything“, tous deux remarquables. Proches du free mais tonales et structurées, ses phrases flottantes (influence probable de Wayne Shorter) conservent un fort aspect mélodique. Exposé par les deux saxophones, le piano de Masabumi Kikuchi assurant un délicat contrepoint mélodique, Morrock, un thème de Motian d’une simplicité lumineuse, ouvre l’album. Le pianiste assure un premier chorus abstrait, place des silences entre ses notes et fait d’emblée respirer la musique. Le batteur en ralentit le flux, l’aère et lui donne de l’espace. Les morceaux choisis sont d’ailleurs presque tous des ballades. Même Just A Gigolo rendu méconnaissable par un tempo très lent. Inspiré par Paul Bley, possédant un toucher très délicat, Kikuchi mêle un langage mélodique d’une rare élégance à d’imprévisibles dissonances. Le chorus qu’il prend dans A Lovely Way to Spend An Evening, une chanson populaire de 1943 dans laquelle Michaël Attias joue du baryton, témoigne d’une réelle vision poétique. De même la longue introduction très personnelle qu’il apporte à Midnight Sun, composé par Lionel Hampton et Sonny Burke en 1947. Michaël Attias qui joue aussi du soprano est également au baryton dans Something I Dreamed Last Night (chanson naguère interprétée par Marlène Dietrich et reprise par Miles Davis) et dans I See Your Face Before Me (un succès de Frank Sinatra). Comme dans une conversation, Loren Stillman lui répond à l’alto, les deux instruments finissant par mêler leurs voix mélodiques. La contrebasse de Thomas Morgan se voit souvent confier un rôle de bourdon ou de pédale. Dans cette musique modale,le tempo est souvent suggéré. Motian l’a bien compris. Il évite de trop marquer les temps. Sa pulsation irrégulière colore et suggère. Devenue instrument mélodique, sa batterie installe un tissu percussif extrêmement souple qui profite à la musique, la rend légère et fait battre son cœur.