VENDREDI 11 septembre
Jazz à la Villette : Jacky Terrasson et Hank Jones en solo interpellent. Le concert que le premier donna à Marciac cet été avec son nouveau trio, deux jeunes musiciens qui portent le même nom mais ne sont pas de la même famille (Ben Williams à la contrebasse et Jamire Williams à la batterie) fut stupéfiant. A la Villette, face à face avec lui-même, il se contenta d’être bon. Possédant expérience, énergie et technique, le pianiste ne peut donner un mauvais concert, et passés les laborieux premiers morceaux, nous eûmes droit à d’excellents moments, Jacky retrouvant son piano, son jeu très physique, pour un magnifique calypso, un blues plein de notes bleues, une ballade mémorable. Dans sa loge, il me confia n’avoir pas aimé le Steinway au touché très dur de la Villette. L’instrument n’a nullement dérangé Hank Jones, 91 ans, mémoire vivante de l’histoire du jazz. L’aîné des frères Jones joue un piano en voie de disparition. A lui seul, son jeu est une synthèse d’Art Tatum et de Fats Waller, ses premiers modèles, mais aussi de Teddy Wilson, Earl Hines, Nat « King » Cole et Bud Powell. Hank ne joue pourtant pas de bop, même lorsqu’il reprend Thelonious Monk et Wes Montgomery. Son piano allège et condense les styles de ces pianistes. Un sens harmonique de l’accord le conduit à un jeu linéaire et transparent, sobre et parcimonieux. Contrairement à Jacky Terrasson, il économise ses gestes. Ses mains seules trahissent le mouvement. S’il éprouve une certaine difficulté à se déplacer, il est en pleine possession de ses moyens derrière son piano. Il s’accorde toutefois une courte pause entre chaque morceau, récupère en prenant le temps de citer le titre du standard qu’il va jouer. Ceux qu’il reprend ont pour nom Bluesette, A Child is Born, Skylark, Stella by Starlight, Body and Soul, Twisted Blues, In a Sentimental Mood, On Green Dolphin Street, ‘Round Midnight… Les versions concises qu’il en donne dépassent rarement les trois minutes. Hank fait respirer chaque note, fait sonner clairement chaque accord. Ses improvisations élégantes suivent toujours la ligne mélodique. Le rythme est léger balancement. Deux mains parfaitement complémentaires tirent de ces thèmes leur suc quintessenciel.
Hank Jones se produira en trio avec George Mraz à la contrebasse et Martijn Vink à la batterie le samedi 10 octobre à 20h30 au TNT de Toulouse dans le cadre du Festival Jazz sur son 31. http://www.jazz31.com
MERCREDI 16 septembre
Fly au Sunside, un trio pas comme les autres. A parité égale avec le saxophoniste Mark Turner, Larry Grenadier à la contrebasse et Jeff Ballard à la batterie défrichent et explorent de nouveaux espaces de liberté. Ici pas de leader, mais trois musiciens qui rendent sensibles des compositions complexes sur un plan harmonique et rythmique, des morceaux tout à la fois abstraits et d’une grande douceur. Le discours est intimiste, une conversation amicale entre trois instruments qui combinent leurs timbres et obtiennent une sonorité de groupe parfaitement identifiable. Mark Turner joue du soprano, mais c’est surtout au ténor qu’il affirme sa personnalité. Il utilise fréquemment le registre aigu de l’instrument, souffle de longues phrases lyriques et tranquilles. Jeff Ballard possède une frappe sèche, des tambours un peu graves, des cymbales au son plus mat que cristallin. L’épais tissu rythmique qu’il tisse avec la contrebasse ronde et boisée de Larry Grenadier peut très bien se suffire à lui-même, fonctionner de manière autonome. Véloce, Grenadier détache ses notes avec puissance et autorité. Sa contrebasse parle, chante, danse, commente, ancre la musique dans le groove. L’homme peut assurer une simple pédale ou tenir un langage d’une grande richesse mélodique. Sky & Country, Lady B, Super Sister et une version étonnante de Mad About the Boy, ballade écrite par Noël Coward, occupent l’espace du premier set. Les musiciens concentrés s‘écoutent en permanence et multiplient les échanges, véritables sauts dans l’inconnu qu’autorise une parfaite connaissance de l’harmonie. La musique riche et profonde d’un groupe novateur.Photos © Pierre de Chocqueuse