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24 juin 2011 5 24 /06 /juin /2011 00:00

Bill-Carrothers-Vanguard-cover.jpgSitué dans Greenwich Village, le Village Vanguard a vu passer dans ses murs les géants de l’histoire du jazz, le nom de Bill Evans venant immédiatement à l’esprit lorsque l’on évoque ce lieu mythique. Bill Carrothers s’y est produit six soirs de suite en juillet 2009 avec Nicolas Thys à la contrebasse et Dré Pallemaerts à la batterie, une section rythmique que l’on trouve dans d’autres disques du pianiste (1). La même année, en janvier, Carrothers enregistrait à Munich quelques thèmes du répertoire de Clifford Brown, des morceaux du trompettiste, mais aussi des compositions de Richie Powell (le frère cadet de Bud) et quelques standards que Brownie aimait reprendre. Les deux sets du concert du 18 juillet débutent par des thèmes de Clifford, Tiny Capers et Junior’s Arrival dont les tempos rapides favorisent les acrobaties harmoniques. Le pianiste connaît parfaitement le vocabulaire du bop. Il peut jouer beaucoup de notes comme dans Gerkin for Perkin, mais préfère éblouir autrement de ses dix doigts. Il a appris l’importance du silence et s’attache à faire ressortir la profondeur mélodique des morceaux qu’il interprète. Son piano rubato en ralentit souvent les rythmes. Les tempos lents ouvrent les portes du rêve et Bill nous invite à y entrer. Couplé avec Delilah, Joy Spring n’a plus rien d’un morceau de bravoure et Time emprunte des chemins de traverse, des sentiers qui bifurquent, mais conduit au jardin secret du pianiste dans lequel l’harmonie se confronte au silence intérieur, au travail de la mémoire. Une version inhabituellement grave et pesante de Jordu introduit This is Worth Fighting For, un vieux thème de Jimmy Dorsey de 1942. Bill questionne les musiques de l’Amérique, s’intéresse à ses standards oubliés. Bill Carrothers & Nic ThysL’ange du bizarre le pousse à greffer des accords nouveaux sur des pièces anciennes, à y introduire des dissonances inattendues, à jouer un piano sombre et austère qui refuse l’ornement pour aller à l’essentiel. Nicolas Thys et Dré Pallemaerts l’accompagnent depuis trop longtemps pour se laisser surprendre par un pianiste qui laisse souvent ses doigts vagabonder à la recherche d’atmosphères. Bill laisse beaucoup chanter la contrebasse, lui ménage des chorus mélodiques, lui fait longuement introduire Jordan is a Hard Road to Travel, un traditionnel qu’il a enregistré en solo dès 1993 dans “The Blues and the Greys”, un disque consacré à la musique de la guerre civile américaine. Sa version onirique et sensible de Let’s Get Lost est un des sommets du premier des deux disques de ce double CD, le premier qu’édite le label Pirouet. Il correspond au premier set qui s’achève sur Those Were the Days, un tube pour la chanteuse Mary Hopkin en 1968. Malgré la présence de quelques standards - Blue Evening que chantait Ray Eberle au sein du Glenn Miller Orchestra, Days of Wine and Rose magnifiquement interprété en solo - , le second CD contient davantage de morceaux de Carrothers. Construit sur les accords d’I Got Rhythm, le tonique Discombopulated relève du bop, mais le pianiste s’abandonne davantage, joue un piano de plus en plus sensible au fur et à mesure que se déroule la soirée. Bill pense à sa famille, à Peg son épouse (le morceau débute comme La lettre à Elise), à la neige qui, l’hiver, l’isole dans sa maison proche de Mass City, une petite ville du Michigan (Snowbound, Our House). Cette mélancolie qui le gagne, il parvient à la transmettre, la musique réveillant nos propres souvenirs.

 

(1) “Swing Sing Songs”  (2000) et “I Love Paris” (2004).

 

PHOTO Bill Carrothers & Nicolas Thys ©  Pierre de Chocqueuse

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