Décembre : hospitalisé depuis une semaine, Monsieur Michu garde le lit. Un malaise cardiaque provoqué par l’écoute d’un CD qu’un voisin malfaisant lui a fait parvenir en est la cause. Monsieur Michu récupère. A son chevet, Madame le ravitaille en macarons. Il a bonne mine et je le soupçonne de planquer sous son lit une bouteille de Jackie McLean, un whisky hors d'âge revigorant. Jean-Paul a tenu à rendre visite à cette « victime de la musique qui tue » (ce sont ses propres termes). La police recherche le coupable. Les auteurs du disque ont été identifiés. Il s’agit de quatre jeunes terroristes qui sous le nom d’Infernal Quartet explorent de nouveaux territoires musicaux. Lesquels ? Ils ne le savent pas eux-mêmes, le but étant de créer un mur du son et de porter la transe au cœur même des foyers. Le cœur fragile au sein du sien, Monsieur Michu n’aurait jamais dû recevoir ce disque dont les timbres stridents et agressifs rappellent ceux des vieilles roulettes de dentiste bruyamment douloureuses de ma jeunesse. Déjà échaudé par les cacophonies festivalières de l’été, le pauvre homme n’a pas résisté à la violence de ces musiques pseudo modernes qui célèbrent le bruit, musiques improvisées n’obéissant à aucune règle, n’appartenant à aucune tradition, mais qui s’implantent sur les ondes et dans les festivals. On vit une époque formidable. Plus besoin d’utiliser clef anglaise, corde, matraque, chandelier, ou revolver pour envoyer ad patres Mademoiselle Rose, le Colonel Moutarde, Madame Pervenche ou Monsieur Michu. Faites-leur parvenir par la poste un de ces disques dont l’écoute terrasse presque à coup sûr. Grâce aux soins qu’il reçoit et à la sympathie dont lui témoigne son entourage, Monsieur Michu va mieux. Il sera rentré chez lui pour écouter Jazz à Fip qu’animera le dimanche 11 Philippe Etheldrède décidément fâché avec le jazz qui se fait aujourd’hui. Certes, le swing et le blues présentent des vertus curatives, mais on ne saurait dire que les derniers disques en solo de Fred Hersch, Bill Carrothers et Richie Beirach en soient dépourvus. Les offrir pour Noël à Monsieur Michu devrait également améliorer son état.
Après vous avoir communiqué mes Chocs de l’année, ce blog sommeillera vers le 20 et ce jusqu’aux premiers jours de janvier. Merci de suivre le blogueur de choc.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Aaron Golberg en trio au Sunside les 1, 2 et 3 décembre avec Reuben Rogers (contrebasse) et Eric Harland (batterie). Membres du quartette de Charles Lloyd, ces derniers travaillent avec Goldberg depuis une dizaine d’années et assurent la section rythmique de ses disques. On les entend notamment dans “Unfolding” et “Home” (2010), deux de ses meilleurs opus. Natif de Boston, le pianiste s’est récemment fait remarquer dans “Bienestan”, album enregistré en sextette avec Guillermo Klein. Mais c’est davantage en trio que l’ex-partenaire de Joshua Redman nous régale de son art, nous révèle sa grande sensibilité harmonique.
-Installé à Paris depuis 1998, Mauro Gargano joue une belle et profonde contrebasse aux harmonies inventives que l’on n’oublie pas. S’il se produit souvent avec Nicolas Folmer, René Urtreger, Christophe Marguet, Philippe Le Baraillec, Bruno Angelini et joue avec de nombreuses formations, c’est avec la sienne que Mauro se produira au Sunset le 2 et fêtera la sortie de “Mo’Avast” (Note Sonanti), son premier disque pour lequel il cherche un distributeur pour la France. Avec lui Francesco Bearzatti, poids lourd du saxophone ténor (et clarinettiste), Stéphane Mercier, saxophoniste belge, un alto avec lequel il travaille depuis 2003, et Fabrice Moreau à la batterie. Le quartette propose une musique ouverte qui laisse beaucoup de place aux solistes, leurs improvisations énergiques se voyant habilement encadrées par une rythmique soucieuse de couleurs et de mélodies chantantes, celles d’un compositeur inspiré.
-Attendus au Duc des Lombards le 2 et le 3, Nicolas Folmer et Daniel Humair en profiteront pour enregistrer un CD dont la sortie est prévue en mars 2012. Leur formation, un quartette que complètent Alfio Origlio au piano et Laurent Vernerey à la contrebasse, porte le nom de Nicolas Folmer & Daniel Humair Project. Cela fait un an que le batteur et le trompettiste ont commencé à jouer ensemble. Ils se sont découvert des affinités musicales et poursuivent aujourd’hui une association qui se révèle fructueuse sur le plan musical. Leurs concerts en témoignent d’où leur préférence pour un disque live, reflet fidèle de leurs prestations scéniques.
-Le 3 à 17h30, au studio Charles Trenet de Radio France, Patrice Caratini et son Jazz Ensemble rendront hommage à André Hodeir décédé le mardi 1er novembre. Au programme : des œuvres que ce dernier composa dans les années 50 pour le Jazz Group de Paris. André en avait confié les partitions à Patrice et Xavier Prevost qui avait depuis longtemps programmé ce concert pour son émission “Jazz sur le Vif” espérait la présence du compositeur. C’est donc sans André Hodeir, mais en pensant à lui que l’on écoutera ses musiques (On a Scale, Bicinum, Tension détente, Paradoxe I, Evanescence) jouées par une formation de onze musiciens qui outre Patrice à la contrebasse comprend Claude Egea (trompette), André Villéger (saxophone alto), Mathieu Donarier (saxophone ténor), Pierre-Olivier Govin (saxophone baryton) et Alain Jean-Marie (piano).
-Dave Liebman partagera la scène du Sunside avec Marc Copland le 6. Le saxophoniste joue plus souvent avec Richie Beirach, son partenaire au sein de Quest, groupe longtemps mis en sommeil et aujourd’hui réactivé. Enregistré sous leurs deux noms, “Unspoken” (Out Note) est l’une des bonnes surprises de l‘année. Liebman fait toutefois merveille avec Copland. Les deux hommes ont gravé en 2002 un double CD fascinant pour hatOLOGY, “Bookends”, dont je recommande l’acquisition. Copland possède son style propre et cultive un piano aux notes transparentes et tintinnabulantes qui ne ressemble à aucun autre. Liebman tempère aujourd’hui son ardeur. La férocité de son langage expressionniste s’est beaucoup émoussée au bénéfice d’un jeu mélodique qui se fait plus abordable.
-Habitué du Duc des Lombards – il s’y produit souvent avec Dominique Di Piazza et André Ceccarelli - , Antonio Faraò y est attendu les 8, 9 et 10 pour nous faire goûter son phrasé fluide, les couleurs solaires de son piano et nous jouer la musique raffinée de son nouveau disque. Intitulé “Domi” (Cristal Records), ce dernier fait part belle aux ballades, nombreuses au sein d’un répertoire consacré à de nouvelles compositions et qu’interprète un presque nouveau trio. “le Bel Antonio” (les cinéphiles comprendront) choisit avec discernement ses partenaires. Dédé reste derrière ses tambours et Darryl Hall à la contrebasse remplace Di Piazza pour épauler acoustiquement et idéalement son piano.
-La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs (auditorium St. Germain, 4 rue Félibien 75006 Paris) accueille Antoine Hervé le lundi 12 décembre à 19h30 pour une nouvelle leçon de jazz consacrée au pianiste Dave Brubeck. Oncle Antoine nous l’annonce très axée sur les rythmes asymétriques qu’affectionnait Brubeck, leader du quartette qui créa Take Five, composition de Paul Desmond son magnifique saxophoniste. Le 13, Antoine donne un concert en solo dans la ville de Le Perreux sur Marne - 20h30 auditorium Maurice Ravel, 62 avenue George Clemenceau. S’ils le peuvent, les amateurs de piano s’y précipiteront.
-Laurent Mignard et son Duke Orchestra fêtent Noël le 12 à 20h00 au Collège des Bernardins avec des standards, de la musique sacrée, des inédits, des chansons arrangées par Duke Ellington pour le film “Paris Blues” et son album “Midnight in Paris” (Columbia 1962). Ce concert de Noël affichant déjà complet, le Duke Orchestra vous invite à l’écouter le mardi 27 au conservatoire de Clamart (2 séances gratuites à 17h30 et 21h00). La formation en profitera pour enregistrer live son deuxième album qui s’intitulera “Ellington French Touch”. Réservations : info@jazzaclamart.fr
-Nuit TSF Jazz à l’Olympia le 12. “You & the Night & the Music” réunit douze formations dont celles de Gretchen Parlato,Mario Canonge, Stéphane Belmondo (avec Kirk Lightsey et Gregory Porter), Stefano di Battista (en duo avec Yaron Herman). A la tête du Nice Jazz Orchestra, le saxophoniste Pierre Bertrand se voit confier l’orchestre de cérémonie et André Ceccarelli est l’invité d’honneur de la manifestation.
-Toujours le 12, Bill Carrothers retrouve le Duc des Lombards pour deux concerts (20h00 et 22h00). Avec Nicolas Thys (contrebasse) et Dré Pallemaerts (batterie), musiciens qui l’accompagnent dans le double CD “A Night at the Village Vanguard” publié cette année. Imprévisible, changeant de répertoire au gré de sa fantaisie, le pianiste peut tout aussi bien se pencher sur les thèmes que jouait Clifford Brown que sur les musiques de l’histoire de l’Amérique, ses hymnes qu’il affectionne. Bill peut aussi regarder son passé, se remémorer Excelsior, la petite ville de sa jeunesse. L’album qu’il lui a récemment consacré sur le label Out Note est l’un des plus émouvants de l’année.
-Gretchen Parlato au Duc le 13 avec une formation comprenant le talentueux pianiste Taylor Eigsti, le guitariste Alan Hampton, le bassiste Derrick Hodge et le batteur Justin Browne. La chanteuse possède une voix singulière qui psalmodie et étale avec nonchalance d’étranges vocalises. Elle soigne aussi les orchestrations de ses musiques, des morceaux de ses musiciens, mais aussi de Miles Davis (Blue in Green), Wayne Shorter (Juju), Ambrose Akinmusire (Henya) et Robert Glasper qui a co-produit son dernier album. Leurs arrangements minimalistes renforcent son aspect hypnotique.
-Découvert par Xavier « big ears » Felgeyrolles, le saxophoniste Baptiste Herbin impressionne par la maîtrise de son instrument, le saxophone alto qu’il étudia avec Jean-Jacques Rulhmann et Julien Lourau. Installé à Paris depuis 2005, cet habitué de la rue des Lombards est de toutes les jam-sessions. Il connaît le vocabulaire du bop, joue des lignes de blues qui sortent les plus sourds de leur sommeil, mais aussi de la salsa, de la musique malgache (avec l’Ouranos Quartet que dirige le guitariste Dimitri Dourantonis) et pratique un éclectisme musical réjouissant. Le Duc des Lombards l’accueille le 19 avec un septet comprenant Yoann Loustalot à la trompette, Michael Cheret au saxophone ténor, Fred Couderc au saxophone baryton, Alain Jean-Marie au piano, Gilles Naturel à la contrebasse et Romain Sarron à la batterie. Au programme : la musique d’Oliver Nelson (1932-1975), saxophoniste, compositeur et arrangeur dont le disque le plus célèbre “The Blues and the Abstract Truth” (un enregistrement en septet) réunit Eric Dolphy, Freddie Hubbard et Bill Evans. Nul doute que Baptiste et ses complices reprendront Stolen Moments la plus célèbre composition de Nelson, un cadeau de Noël à ne pas manquer.
-S’il invite des amis musiciens pour donner des couleurs chatoyantes à ses musiques - Irving Acao, Manu Codjia participent à “Mitan” son dernier album, le quinzième qu’il enregistre sous son nom - , le pianiste antillais Mario Canonge joue en trio des musiques créoles et métissées, mais aussi du jazz qu’il aime rythmé et mélodique. Le Sunside lui en offre la possibilité pendant trois soirs, les 19, 20 et 21 décembre. Avec lui Felipe Cabrera, le bassiste d’Harold López-Nussa, un musicien cubain à même de comprendre la tonalité caraïbe de sa musique. Egalement d’origine cubaine (il est né à La Havane en 1970), Lukmil Perez Herrera son batteur vit et travaille à Paris depuis 1999. Nul doute que dynamisée par une telle rythmique, sa musique donne envie d’embrasser le soleil.
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Maison de Radio France : www.radiofrance.fr
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
-Collège des Bernardins : www.collegedesbernardins.fr
-Olympia : www.olympiahall.com
PHOTOS : Aaron Goldberg, Mauro Gargano, Nicolas Folmer, Daniel Humair, Dave Liebman, Marc Copland, Antonio Faraò, Antoine Hervé, Bill Carrothers © Pierre de Chocqueuse - Laurent Mignard © Pascal Bouclier – Gretchen Parlato, Baptiste Herbin © Philippe Etheldrède - Mario Canonge © Enzo Productions.