Juillet - Certains artistes heureusement peu nombreux pensent que tout leur est dû. Ils râlent lorsque l’on ne parle pas de leurs disques, de leurs concerts, mais ne remercient jamais pour les chroniques qui servent leur carrière. Le journaliste doit s’abstenir de tout jugement négatif et passer constamment la brosse à reluire. Exclusif, jaloux, capricieux, l’ego ne tolère aucune critique, aucune concurrence. Il y a quelques années, Y un jazzman célèbre m’assura très sérieusement que lui seul incarnait le jazz, que ses collègues étaient tous nuls. Cela me rappelle Z sauvagement agressé en plein air par l’odeur nauséabonde de mes gitanes. Je fumais en ce temps-là et bien que placé à bonne distance de ses prodigieuses narines, un mistral impitoyable soufflait vers lui ma coupable et éphémère fumée. Z poussa des cris d’orfraie et menaça d’annuler son concert. Il fallut quelques douches glacées pour le calmer. L’ego peut rendre fou. Le mien me reproche mon manque de sérieux, n’aime pas mon côté blagueur de choc. Il faut pourtant savoir rire de la petitesse de sa propre personne, avoir l’humilité de se faire petit pour grandir. Ce pauvre Z vend beaucoup de disques, gagne beaucoup d’argent, mais n’a pas créé depuis des années la moindre mélodie. Est-il seulement capable de faire le vide dans sa tête pour les recevoir, d’écouter ces mystérieuses voix intérieures qui les lui offrent ? Trop souvent bâillonnées par l’ego, elles surgissent parfois dans des disques inattendus au sein d’une production jazzistique pour le moins pléthorique. Le patient travail d’écoute du critique se voit récompensé. Emerveillé, il découvre un jazz inspiré que l’intelligence organise et met en forme. Ces musiques comblent, nourrissent mais se font rares. Leur découverte compense largement les cacas nerveux d’une poignée de musiciens qui s’admirent et se croient des idoles. Vous les croiserez peut-être cet été sur les routes des festivals. N’oubliez surtout pas de les applaudir. Ces gros rassemblements ne me tentent guère. Je préfère consacrer du temps à la lecture et m’accorder une pause musicale. Ce blog sera mis en sommeil dès la mi-juillet et réactivé à la fin du mois d’août. Le programme du festival Jazz à la Villette en septembre me tente davantage que les autres années : Paul Bley, Chick Corea en trio avec Roy Haynes et Miroslav Vitous, Chucho Valdes & Archie Shepp, Gonzalo Rubalcaba… , comptez sur moi pour en parler.
-Fly au Sunside les 8, 9 et 10 juillet. Mark Turnerau saxophone ténor, Larry Grenadierà la contrebasse et Jeff Ballardà la batterie défrichent et explorent de nouveaux territoires sonores, rendent parfaitement lisibles des compositions abstraites aux harmonies et aux rythmes complexes. Le discours est intimiste, la musique une conversation amicale entre trois instruments qui combinent leurs timbres et obtiennent une sonorité de groupe facilement identifiable.
-Kurt Elling au New Morning le 10. Sa prestation s’inscrit dans le cadre d’un Festival All Stars qui dure jusqu’au 4 août. Digne successeur de Mark Murphy dont il est probablement le plus proche disciple, le chanteur, est l‘un des plus importants que la scène du jazz a révélé ces dernières années. Avec lui Laurence Hobgood son complice depuis toujours. John McLean (guitare), Harish Raghavan (contrebasse) et Ulysses Owens (batterie) complètent la formation d’un poète dont les mots, allongés, modulés et rythmés sont des notes de musique.
-Deux concerts intéressants le 12. Le trio du pianiste Edward Simon comprenant Joe Martin à la contrebasse et Adam Cruz à la batterie occupe le Sunside. Né au Venezuela, new-yorkais depuis 1989 et membre du SF Jazz Collective (all stars que l’on a pu écouter récemment au New Morning), Simon est l’auteur de deux albums sur Cam Jazz enregistrés avec John Patitucci et Brian Blade. “Unicity“ (2006) est particulièrement remarquable.
- Le trio qui se produit au New Morning le même soir est à ne pas manquer. Il réunit la guitare de Russell Malone et le piano de Mulgrew Miller autour de la contrebasse de Ron Carter. Ces trois-là savent improviser et magnifier une mélodie, la tremper dans le swing. Mulgrew Miller est un géant méconnu. Ecoutez son dernier album en solo sur Space Time Records. Du vrai jazz à mille lieues des musiques improvisées stériles et sèches dont certains sont friands.
-Mike Stern au New Morning le 19. Le guitariste joue souvent à Paris et c’est tant mieux. Il n’est jamais aussi bon que sur une scène. Au contact de son public, il ne s’économise pas, donne le meilleur de lui-même. On retrouvera avec plaisir le drumming puissant de Dave Weckl associé à la frappe d’un second batteur, Jérôme Spieldenner. Chris Minh Doky assure la basse. Mike Stern se plait à rencontrer des musiciens avec lesquels livrer bataille. Après Richard Bona présent à ses côtés en mai dernier dans ce même New Morning, il invite le trompettiste Randy Brecker à répondre à ses chorus de guitare ancrés dans le blues, le bop et le rock qui portent la fièvre au cœur de ces musiques.
-Tony Malaby aime jouer dangereusement. Il est de toutes les aventures, même les plus arides. Il peut adopter un jeu lyrique et mélodique ou tordre le cou à ses notes, les faire crier jusqu’à perte de souffle. Ce colosse du saxophone rebute, mais impressionne par sa puissance. Certains musiciens stimulent son appétit de notes gargantuesques, d’autres tempèrent son ardeur, lui font chanter des thèmes plus raisonnables. Le Sunside l’accueille le 20 juillet avec la formation qui l’accompagne dans l’album “Paloma Recio“ (New World Records 2009), Eivind Opsvik (contrebasse), Nasheet Waits (batterie) et Ben Monder. Ce dernier assure la guitare dans le prochain album du saxophoniste Jérôme Sabbagh. Récemment associé à Tony Malaby, (l’album “Pas de dense“ avec Bruno Chevillon à la contrebasse), Daniel Humair en est le batteur.
-Le même soir, le groupe Contact donne un concert aux arènes de Montmartre dans le cadre de la sixième édition du festival Les Arènes du Jazz. Dave Liebman(saxophones soprano et ténor), John Abercrombie (guitare), Marc Copland (piano), Drew Gress (contrebasse) et Billy Hart (batterie) sont des célébrités de leurs instruments respectifs. Mal préparé, “Five on One“ (Pirouet), leur premier disque, est largement en dessous de leurs possibilités. C’est donc sur scène que le quintette peut montrer sa vraie valeur, donner des concerts mémorables. Tout est possible avec de tels musiciens, même faire danser la lune. Laissez-vous donc tenter.
-Retour aux arènes de Montmartre le 22. Norma Winstone s’y produit avec Glauco Venier (piano) et Klaus Gesing (clarinette basse, saxophone soprano), ses musiciens depuis plusieurs années. Sobrement arrangée, la musique intimiste qu’ils proposent convient bien à la voix libre et singulière de la chanteuse. Norma improvise avec ses propres onomatopées et possède un phrasé novateur et personnel. Prix Billie Holiday de l’Académie du Jazz en 2008 pour “Distances“ (ECM), la chanteuse sort le 30 août sur le même label un nouvel album “Stories Yet to Tell“. On ne manquera pas d’en écouter sur scène de larges extraits.
-Kenny Barron au Duc des Lombards les 23 et 24 (concerts à 20h et 22h) dans le cadre du Jazz Legends Festival 2010. Comme Hank Jones et Tommy Flanagan aujourd’hui disparus, le pianiste cultive la mémoire des grands anciens tout en absorbant des influences plus contemporaines. Attaché au swing, il n’hésite pas à tremper son piano dans la modernité, à prendre des risques lorsque les musiciens le provoquent. Véritable caméléon du piano, il s’adapte pour mettre en valeur tous ceux qu’il accompagne. En solo, il est avant tout lui-même. Son raffinement harmonique, son jeu délicat n’exclut pas un jeu physique et rythmique, le langage acrobatique du bop ne lui déplaisant point.
-Curtis Fuller au Duc des Lombards les 26 et 27. On l’attendait en janvier dernier, mais un problème de santé a quelque peu retardé sa venue. Agé de 76 ans, le tromboniste reste avec Jay Jay Johnson, l’un des grands trombonistes d’une histoire du jazz qu’il a parcourue avec John Coltrane (l’album “Blue Train“ enregistré en 1957) et Art Blakey (6 albums avec les Jazz Messengers) pour ne citer que deux des célèbres musiciens avec lesquels il a joué. Le batteur Joe Farnsworth (Benny Golson, Pharoah Sanders) a mis sur pied cette nouvelle tournée. Le pianiste/organiste Mike LeDonne, le contrebassiste John Webber et le saxophoniste Charles Davis (77 ans), compagnon de Kenny Dorham, mais aussi de Sun Ra, John Tchicai et Archie Shepp, complètent ce quintette de vétérans.
-Roy Hargrove au New Morning les 27 et 28. Il poursuit depuis plus de vingt ans une carrière solo et nous offre régulièrement des albums réussis. Il dirige un big band dans “Emergence“, le dernier en date. Difficile de tourner avec une grosse machine. C’est donc accompagné par les musiciens de son quintette (dans lequel officie au saxophone alto et à la flûte le fidèle Justin Robinson) qu’il retrouve le club parisien. Le trompettiste possède aussi un ensemble de jazz funk, le RH Factor, mais aime aussi mettre en valeur une mélodie, improviser avec chaleur et porter le swing à ébullition dans un contexte plus jazz au sein de son quintette.
-On retourne au New Morning le 29 pour écouter Jacky Terrasson à la tête d’un très grand trio, l’un des plus enthousiasmant de sa longue carrière. Contrebassiste et batteur, Ben et Jamire Williams (aucun lien de parenté) le poussent à jouer son meilleur piano, à se surpasser à chaque concert. Les deux hommes lui permettent d’explorer davantage le funk, de donner une plus grande assise rythmique à sa musique. Avec souplesse, car loin d’exhiber sa technique, Jacky l’utilise à bon escient. Le pianiste fougueux contrôle la dynamique de son instrument, produit un swing sans faille au sein d’un discours harmonique d’une grande élégance. Il sait trouver les notes qui portent l’émotion.
-Roberta Gambarinichante souvent en Italie où réside sa famille, habite New York et a conquis le monde du jazz par sa technique éblouissante. “Easy to Love“ (2006) emballe Hank Jones qui voit en elle la digne héritière d’Ella Fitzgerald et de Sarah Vaughan. Les acrobaties du bop ne lui font pas peur. Roberta reprend des chorus de Dizzy Gillespie, Sonny Stitt et Sonny Rollins, chante le Great American Songbook et les standards du jazz. Elle a travaillé avec James Moody, Jimmy Heath, Roy Hargrove, Herbie Hancock et enregistré un album en duo avec Hank Jones. Publié en 2009, “So in Love“ obtint le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz. Eric Gunnison (piano), Neil Swainson (contrebasse) et Willie Jones III (batterie) accompagnent la chanteuse au New Morning le 30 juillet.
-Du 30 juillet au 31 août, le piano est en fête au Sunside. En duo (Pierre de Bethmann et David El Malek), trio ou quartette, dix-huit ténors de l’instrument se relayeront sur la scène de l’honorable club, chacun avec sa propre musique, son propre style, ses couleurs spécifiques. Il serait fastidieux de citer tous ces pianistes, mais si vous êtes parisien au mois d’août, ne manquez pas Pierre Christophe (en quartette le 30 juillet), Yaron Herman (et son nouveau trio les 31 juillet et 1 août), Enrico Pieranunzi (avec Darryl Hall et André Ceccarelli les 2 et 3 août), René Urtreger en quartette (les 6 et 7), Alain Jean-Marie (et ses saxywomen du 16 au 18 et avec Peter King le 19), Laurent de Wilde avec Bruno Rousselet et Minino Garay (les 23 et 24), Franck Avitabile avec Henri Texier et Aldo Romano (les 30 et 31). Consultez le site internet du Sunside pour tout savoir sur ces concerts Pianissimo et en obtenir le programme complet. Notez également qu'Enrico Pieranunzi donne aussi un concert Scarlatti le 1 août à 15 heures au Parc Floral, dans le cadre du Paris Jazz Festival.
Sunset - Sunside : http://www.sunset-sunside.com
New Morning : http://www.newmorning.com
Arènes du Jazz : http://www.paris-ateliers.org/pages/jazz/arenes1.htm
Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
Paris Jazz Festival : http://www.parisjazzfestival.fr
PHOTOS © Pierre de Chocqueuse, sauf Kurt Elling © John Abbott/Universal Music, Norma Winstone © Allan Titmuss/ECM, Curtis Fuller © Photo X/DR, Roy Hargrove © Ian Gittler/Universal Music.