Michel GRAILLIER : “Live au Petit Opportun”
(Ex-tension/Harmonia Mundi)
Déjà dix ans que Michel Graillier nous a quitté. Il ne jouait pas seulement du piano, il créait de la musique. Ses notes ruisselantes de couleurs étaient des poèmes déclamés avec rythme et silence. Ce piano aussi tendre que lyrique, Mickey le mit souvent au service de Chet Baker qu’il accompagna. Il enregistra peu d’albums sous son nom. Dans “Dream Drops” produit par Jean-Jacques Pussiau en 1981, il convie Chet à improviser avec lui et s’offre un duo avec Michel Petrucciani. Enregistré en solo en octobre 1991, “Fairly” est un autre fleuron d'une trop mince discographie. Elle comprend aussi “Soft Talk” (juin 2000) co-signé avec Riccardo Del Fra à la contrebasse, un album produit par Philippe Ghielmetti. Dix ans après sa mort, nous tombe du ciel « une musique de braise et de brume » pour citer Pascal Anquetil, auteur du texte du livret d’un inédit inespéré enregistré entre 1996 et 1999 au Petit Opportun, club naguère installé dans une cave de la rue des Lavandières Ste Opportune, lieu apprécié par les amateurs et les musiciens de jazz, les noctambules impénitents. Grâce à Bernard Rabaud qui officiait derrière le bar, Michel pouvait y jouer un lundi par mois la musique qu’il aimait, des standards le plus souvent. Il avait autorisé Ludwig Laisné, un ami, à l’enregistrer d’où l’existence de ces faces tombant à point pour nous faire oublier notre hiver grisonnant. Compte tenu de l’exigüité du lieu, on aurait put craindre une prise de son étouffé, une sonorité de boîte à chaussures. Il n’en est rien. Le son est même bon pour un piano droit. Il restitue fidèlement le toucher, le phrasé élégant d’un musicien inspiré. Porté par un balancement exquis, l’âme du poète s’évade, s’envole vers un monde plus beau et plus bleu. Les notes coulent, se font légères et tendres. Avec elles, l’émotion s’infiltre, pénètre sous la peau et gagne le cœur. Ce disque renferme onze standards que Michel affectionnait. Milestones, Autumn Leaves, témoignent du raffinement de ses longues phrases mélodiques, de sa vivacité expressive. Les ballades nombreuses expriment l’intériorité du pianiste qui s’appuie sur de beaux thèmes, mais possède une façon bien à lui d’en faire chanter les mélodies. Seul au piano, Mickey éclaire la nuit profonde, annonce l’aube par ses notes lumineuses, lumières de petit matin dans laquelle baigne sa musique heureuse.