Portée par les rythmes de deux complices qui ont grande habitude de les marquer ensemble, de les rendre souples et musicaux, la musique de cet album, le premier qu’enregistre sous son nom le contrebassiste Diego Imbert, concilie parfaitement écriture et improvisation au sein de compositions dans lesquelles ressort pleinement le jeu ouvert des musiciens. Ecrits avec soin, habilement agencés sur le plan de la forme, les morceaux réservent de grands espaces de liberté aux membres du quartette. Diego improvise, s’autorise deux courtes pièces en solo, mais préfère soutenir, entretenir un dialogue actif avec les autres instruments, donner et tenir le rythme tout en jouant de belles lignes mélodiques (Les fils). Les cadences de sa contrebasse n’ont pourtant rien de forcé. Autour de l’instrument, véritable pivot d’un quartette qui ne souffre nullement de l’absence d’un piano, rythmes, mélodies et improvisations s’articulent souplement. Diego Imbert peut compter sur Franck Agulhon, batteur puissant qui distribue les temps sur les toms et les cymbales et commente avec beaucoup d’à propos le discours des solistes. David El-Malek au saxophone ténor et Alexandre Tassel au bugle s’entendent on ne peut mieux. Les deux hommes chantent les thèmes à l’unisson, dialoguent, improvisent des histoires brèves, courts motifs musicaux qui leur servent d’échanges (Léo). Les instruments s’unissent, se séparent pour mieux écouter et répondre, fournir de subtils contre-chants (Le garde Fou, Les dents qui poussent). La forme chorale de certaines pièces (Mr. OC) évoque certains arrangements de Gerry Mulligan, mais la diversité des combinaisons rythmiques et l’intelligence harmonique dont fait preuve les souffleurs ancrent la musique dans une perspective contemporaine. L’introduction flottante et onirique de La tournerie des drogueurs évoque Red, composition de Tony Williams qui figure sur son premier album Blue Note. De nombreux changements de tempo en modifient constamment la respiration. Carthagène qui lui succède est une des plus belles plages du disque. Les vents soufflent les couleurs d’un thème lyrique se développant crescendo. Le bugle lui apporte la douceur de son timbre et le saxophone adopte toujours un langage mesuré, loin des notes brûlantes, des phrases paroxystiques auxquelles il nous a habitué. Agencé comme une suite, “A l’ombre du saule pleureur“ apporte la preuve que tout est possible lorsqu’une vraie complicité existe au sein d’un groupe et qu’une section rythmique fonctionne et inspire les solistes.