Février : dans les magasins de disques, les prix varient comme les cours de la bourse. Il faut guetter le bon moment pour acquérir à prix réduit et ne jamais se précipiter. Si les opérations spéciales du genre trois CD pour le prix d’un sont légions tout au long de l’année, les soldes sont plus intéressants encore. Les boutiques déstockent alors à très bas prix quantité de disques dont certains excellents. Pour cinq euros on peut même prendre des risques. Modérément, car quoiqu’en disent ceux qui prétendent que tout est subjectif, que le beau et le laid ne relèvent que du goût de chacun, les mauvais disques sont beaucoup plus nombreux. Bons ou mauvais, ces rondelles de plastique que personne ne veut s’empilent dans les arrières boutiques des magasins qui soldent désespérément faute de toujours pouvoir les retourner aux éditeurs. Peu d’albums sont mis sur le marché entre la mi-décembre et la mi-février. Tant mieux. On peut ainsi prendre le temps de réécouter quelques enregistrements de sa discothèque. C’est avec une joie non dissimulée que la musique de Thelonious Monk a récemment titillée mes oreilles (“Criss-Cross”), que j’ai replongé dans Duke Ellington (“Blues in Orbit”), Bill Evans (“Explorations”) et Stan Getz (“Anniversary” et “Serenity”). Federico Mompou, Georges Enesco et Charles Koechlin ont parfait mon bonheur, mais aussi Michael Brecker dont le recueil de ballades “Nearness of You” me touche particulièrement. Ecoutant le ténor de ce dernier, j’ai reconnu quantité de saxophonistes qui ont préféré emprunté sa sonorité plutôt que de forger la leur. Aujourd’hui tout le monde sonne pareil, comme Brecker qui reste un des modèles incontournables d’un jazz qui se dit créatif, mais ne fait que tourner en rond. Les pianistes n’ont pas ce problème, leur instrument étant censé être accordé. Leur handicap vient de leur nombre, plus élevé que les harpistes ou les harmonicistes. Quelques-uns sortent du rang, inventent, bousculent nos habitudes d’écoute. Pas toujours les plus médiatiques. La vigilance reste de mise. Les oreilles doivent rester grandes ouvertes. Même en hiver, il faut sortir, juger un musicien sur ses concerts, pas seulement sur ses disques, et lui donner une seconde chance. Philippe Etheldrède ne fréquente pas beaucoup les clubs. Il n’en a cure, la plupart des musiciens qu’il programme dans ses Jazz à Fip sont depuis longtemps au paradis. Ses émissions accordent une large place à des jazzmen d’hier que l’on n’écoute pas assez. Philippe connaît parfaitement le jazz des années 50 et 60, et fait un travail d’utilité public. On peut comme Jean-Paul l’applaudir des deux mains. Février, un mois qui sommeille laisse des loisirs, mais apporte moins de concerts incontournables. J’en propose quelques-uns qui m’inspirent. Couvrez-vous chaudement pour sortir. Bonnet, écharpe et paire de gants semblent appropriés avec ce froid. On n’est jamais assez prudent.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Nouveau lieu de concert parisien, la galerie du musée de Roland Garros aménagée en club accueillera une fois par mois, de janvier à juin, un pianiste de jazz. Stéphane Portet (Sunset Sunside) s’occupe de la programmation. A tout seigneur, tout honneur, c’est Jacky Terrasson qui, en trio avec Thomas Bramerie à la contrebasse et Leon Parker à la batterie, essuiera les plâtres de ce premier Sunset hors les murs à Roland Garros le samedi 5 février. Yaron Herman, Giovanni Mirabassi et Eric Legnini assureront les futures soirées de ce nouveau temple du jazz.
-Pianiste à la carrière prestigieuse – il a notamment enregistré avec Stan Getz, Kenny Dorham, Art Farmer, Max Roach, Bob Brookmeyer, Gary McFarland, John Coltrane et la chanteuse Sheila Jordan - , Steve Kuhn donne quatre concerts au Duc des Lombards le 7 et le 8 (20h00 et 22h00), en trio avec Dean Johnson à la contrebasse et Joey Baron à la batterie. L’événement est de taille. Pianiste raffiné, Kuhn enchante par ses choix harmoniques. Auteur de superbes albums en solo – “Ecstasy” pour ECM, “Jazz’n (e)motion” pour BMG France - , il est l’auteur de l’un des meilleurs disques de jazz édité en 2009, “Mostly Coltrane” (ECM), un hommage au grand John dont il fut en 1960 le pianiste pendant trois mois.
-Egalement le 7, Christine Flowers occupe le Bœuf sur le Toit (34 rue du Colisée 75008 Paris) avec ses excellents musiciens habituels : Jobic Le Masson au piano, Peter Giron à la contrebasse et Jeff Boudreaux à la batterie. Au programme : les chansons du grand Oscar Brown, Jr. que Christine interprète avec brio et authenticité. Elle en a enregistré douze et cherche toujours à les commercialiser.
-Nouvelle venue dans le jazz vocal, Cécile McLorin Salvant a remporté le 4 octobre dernier la prestigieuse Thelonious Monk Competition devant un jury de professionnels qui comprenait Patti Austin, Dee Dee Bridgewater, Kurt Elling, Al Jarreau et Dianne Reeves. Elle est attendue au Duc des Lombards le 11 et le 12 pour quatre concerts (20h00 et 22h00). Avec elle, le saxophoniste Jean-François Bonnel qui depuis trois ans lui fait travailler le jazz vocal à Aix-en-Provence, et les musiciens du CD autoproduit par ce dernier : Jacques Schneck au piano, Enzo Mucci à la guitare, Pierre Maingourd à la contrebasse et Sylvain Glevarec à la batterie. Les arrangements de l’album datent un peu, mais Cécile possède une voix admirable qu’il faut absolument écouter.
-Ceux qui ont manqué le mythique quintette italien de Paolo Fresu au Sunside les 10 et 11 décembre peuvent se rattraper en se rendant au New Morning le 11 février. Le trompettiste sarde s’y produit avec son Devil Quartet – Bebo Ferra (guitare), Paolino Dalla Porta (contrebasse) et Stefano Bagnoli (batterie) – , et propose un jazz métissé de rock, de pop et de world qui fait la part belles aux ballades.
-Toujours le 11, le trompettiste Eric Le Lann se produit en quartet au Sunside avec Laurent de Wilde au piano, Jérôme Regard à la contrebasse et Laurent Robin à la batterie. La trompette de Le Lann ajoute du lyrisme à un combo très performant qui peut se suffire à lui-même. On le constatera le 12, Wilde, Regard et Robin poursuivant au Sunside leurs agapes musicales en trio.
-Le 14 à 19h30, on retrouve Antoine Hervé à l’Auditorium Saint-Germain qui est aussi la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs. On ne se lasse pas de ce rendez-vous mensuel avec Oncle Antoine, conteur et pianiste émérite. Sa belle histoire de février portera sur Pat Metheny. Rassurez-vous, l’Oncle Antoine ne s’est pas mis à la guitare. Il laisse à son invité, Manu Codjia, le soin de tenir l’instrument. Véronique Wilmart sera également présente sur scène aux claviers. Une belle leçon de jazz en perspective !
-Elise Caron retrouve Lucas Gillet le 16 au Studio de l’Ermitage (20h30) pour une reprise de “A Thin Sea of Flesh”, adaptation musicale très réussie de quelques poèmes du grand Dylan Thomas. Ce n’est certes pas du jazz, mais la musique est belle et la voix d’Elise, sensuelle et caressante, sert idéalement la langue immortelle du poète dont chaque parole, brûlante et liquide, est comme une lave qui ne refroidit jamais.
-Le 17, le Nagual Orchestra poursuit sa résidence à l’Age d’Or, 26 rue du Docteur Magnan 75013 Paris. Constitué de Florent Hubert au saxophone ténor et à la clarinette, Olivier Laisney à la trompette, Alexis Pivot au piano, Mathieu Bloch à la contrebasse et David Georgelet batterie, ce quintette de jazz moderne inventif et inspiré s’y produit les troisième jeudi de chaque mois à 20h30 (entrée gratuite).
-Le 18 février, je serai à Nantes. Le Grand T (84 rue du Général Buat) accueille à 20h30 le Tord Gustavsen Ensemble. Trois disques en trio pour ECM ont suffi à imposer le pianiste comme l’un des jazzmen européens les plus prometteurs et “Restored, Returned” son dernier album, Choc Jazz Magazine / Jazzman en février 2010, est une vraie splendeur. Tord puise son inspiration dans le blues, le gospel et les vieux hymnes d’église. Privilégiant la mélodie, il joue peu de notes, les choisit avec soin et s’investit dans chacune d’elles, créant un jazz intimiste dans lequel la respiration et le silence ont beaucoup d’importance. Si le trio reste pour lui une vraie passion - Mats Eilertsen à la contrebasse et Jarle Vespestad à la batterie en sont les musiciens - c’est en quartette qu’il se produit à Nantes, l’excellent saxophoniste Tore Brunborg ajoutant de nouvelles couleurs à sa musique. Ne manquez surtout pas ce concert événement, seule date française de sa tournée.
-Jean-Loup Longnon est un grand musicien, un ami de ce blog qu’il anime par ses facéties avec beaucoup de gentillesse (les photos de la récente remise des prix de l’Académie du Jazz). Avec lui, tout est grand, volumineux. Il possède une voix puissante et les tutti de sa trompette brisent les verres un peu fins. Une fois par mois, il occupe le Duc des Lombards avec son enormous big band, dix-sept musiciens qui envahissent non seulement la scène, mais une partie de la salle. A proximité du bar dont il peut à loisir contempler les dives bouteilles, sans porte-voix (il n’en a nullement besoin), il dirige ses hommes, fait résonner trompettes, saxophones et trombones dans un maelström de swing puissant qui charme nos oreilles. Le 22 février au Duc pour deux concerts inoubliables (20h00 et 22h00).
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : http://www.ducdeslombards.com
-Bœuf sur le Toit : www.boeufsurletoit.com
-New Morning : www.newmorning.com
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
-Studio de l’Ermitage :www.studio-ermitage.com
-L’Âge d’Or : www.lagedorparis.com
-Grand T : www.legrandT.fr
Photos : Jacky Terrasson, Paolo Fresu & Bebo Ferra, Laurent de Wilde, Antoine Hervé, Nagual Orchestra, Jean-Loup Longnon © Pierre de Chocqueuse - Steve Kuhn © ECM Records - Cécile McLorin Salvant © Bruno Denis - Tord Gustavsen Ensemble © Hans-Fredrik Asbjørnsen / ECM Records.