Juin : coup d’envoi des festivals de l’été avec le Paris Jazz Festival qui démarre le samedi 11 au Parc Floral avec le trio du pianiste Thomas Enhco. Malgré certains concerts alléchants, près de la moitié de sa programmation ne me tente pas davantage qu’un match de football. Jean-Paul qui la découvre avec moi crie au scandale, ce qui est très exagéré. Cultivé, connaissant parfaitement l’histoire du jazz, il ne supporte pas que ce dernier puisse absorber de nouveaux rythmes, d’autres musiques. La visière du casque qu’il s’est posé sur la tête l’empêche de regarder autour de lui. Il n’ouvre ses oreilles que pour écouter du hard bop préférant les originaux d’hier aux copies d’aujourd’hui, et les Jazz à FIP animés par Philippe Etheldrède*. Pourtant, malgré la crise, les bons musiciens ne manquent pas. On souhaiterait d’ailleurs les entendre plus souvent dans certains festivals qui ouvrent sans discernement leurs portes à toutes sortes de musiques fantaisistes. Il y en a pour tous les goûts, surtout pour ceux qui n’en ont pas, de loin les plus nombreux. Le goût se cultive, s’éduque, s’affine avec le temps et l’expérience. On prétend que le Français n’a pas l’oreille musicale, mais contrairement aux autres pays, la musique n’est pas ou peu enseignée dans les écoles. Sa découverte passe trop souvent par l’écoute de radios commerciales qui diffuse un caca sonore nauséabond présenté comme éminemment culturel. Pas étonnant que la musique classique (j’y englobe la musique contemporaine qui malgré un déchet conséquent révèle des compositeurs intéressants) et le jazz concernent si peu de monde. Ce maelström de médiocrité impose l’éducation d’un public mélomane. Comment Monsieur et Madame Michu et leurs enfants peuvent-ils comprendre un jazz moderne plus cérébral que sensible alors que le be-bop parkérien leur reste complètement hermétique et qu’ils peinent à reconnaître les instruments d’un orchestre ? Les conservatoires donnent une grande technique aux apprentis musiciens, mais forment mal à l’histoire des musiques qu’ils pratiquent. Edouard Marcel peut slaper les cordes de sa contrebasse avec ses pieds, mais n’a jamais entendu parler de John Kirby et Jimmy Blanton. Il ne joue que des compositions originales qui n’ont ni queue ni tête et son refus d'interpréter des standards dissimule son incapacité à les réinventer. On comprend l’angoisse des Michu lorsque venus écouter du jazz comestible dans un festival (haricot rouge et artichaut), ils tombent sur la musique froide et oppressante d’un Edouard Marcel. Madame risque l’infarctus et Monsieur de se pendre au réverbère le plus proche après avoir assassiné le reste de sa famille. Loin d’adoucir les mœurs, la musique sans âme et sans mémoire n’est pas exempte de danger. Puisse-t-elle se relier au passé pour éviter ces drôles de drames.
*Que vous retrouverez sur FIP le samedi 4 et le dimanche 12 juin à 19h00.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Eddy Louiss à Roland Garros le 3 juin. Avec lui, Xavier Cobo au saxophone et à la flûte, Jean-Michel Charbonnel à la contrebasse, François Arnaud à la batterie et un pupitre de violoncelles (Laurent Gardeux, Lucille Gambini, Bastien Mercier, Pablo Tognan et Arthur Lamarre). Des ennuis de santé l’ont tenu à l’écart ces dernières années. Depuis, il est remonté sur scène en mars 2010 et a donné un concert historique à l’Olympia pour fêter ses cinquante ans de carrière. Dans “Taurorque”, son dernier album, on retrouve cette sonorité d’orgue inimitable qui associée à d’autres claviers a beaucoup contribué aux réussites que sont “Sang mêlé” et “Wébé”. Eddy n’a jamais cessé d’élargir son univers musical, de l’ouvrir à d’autres cultures. Les cordes qu’il invite aujourd’hui contribuent à l’enrichir.
-Deux big bands sur la scène du Collège des Bernardins le 6 à partir de 20h30 : celui du CNSM (Conservatoire Nationale Supérieur de Musique et de Danse de Paris) dirigé par François Théberge en première partie, le Duke Orchestra de Laurent Mignard assurant la seconde. Au programme : Early Ellington, du Cotton Club aux années 40.
-Denise King et Olivier Hutman au Duc des Lombards les 6 et 7 juin. Le remède infaillible contre le cafard, la morosité, l’angoisse existentielle qu’apporte le monde moderne. A la source de toutes musiques, la voix qui charme ou fait pleurer. Celle de Denise King envoûte et transporte aux pays des rêves. Une voix chaude, puissante, capable de jongler avec les paroles des chansons qu’elle interprète, d’en allonger les syllabes, de leur donner une autre vie. Avec elle, Olivier Hutman, le plus afro-américain de nos pianistes, un musicien chez qui parler le langage du blues est parfaitement naturel. Ses notes bleues coulent, ruissèlent et fertilisent sa propre musique. Viana son épouse écrit des textes qui se marient idéalement aux mélodies qu’il compose avec son cœur sans pour autant perdre la tête. Olivier Temime au saxophone ténor, Michel Rosciglioneà la contrebasse et Charles Benarroch à la batterie complètent une formation qui met du baume au coeur.
-Le 7 à 20h30 au cinéma Le Balzac (1, rue Balzac 75008 Paris), l’Orchestre National de Jazz au grand complet improvisera une nouvelle bande-son sur “Vampyr” (“L’étrange aventure de David Gray”), film réalisé par Carl Th. Dreyer en 1932. « Avec “Vampyr”, je voulais créer sur l’écran un rêve éveillé et montrer que l’effroyable ne se trouve pas dans les choses autour de nous, mais dans notre propre subconscient. » Le film n’est pas muet, mais ses dialogues sont très réduits. Suite à des problèmes d’éclairage, la photo se révéla grisâtre. Dreyer qui souhaitait un noir et blanc contrasté la conserva afin d’amplifier l’atmosphère mystérieuse de son film.
-Quasiment inconnue en France, la danoise Sinne Eeg est une chanteuse très appréciée dans les pays scandinaves. Influencée par Nancy Wilson, Betty Carter et Sarah Vaughan, elle possède un phrasé élégant et de bonnes chansons, mais séduit surtout par le voile mélancolique qui recouvre sa voix. Distribué par Integral, “Don’t Be So Blue” son nouvel album, le cinquième qu’elle enregistre sous son nom, contient d’excellentes compositions originales - la ballade qui prête son nom à l’album est interprétée avec une émotion intense. Une magnifique version de Goodbye de Gordon Jenkins que Chet Baker aimait reprendre et quelques pièces de Rodgers et Hammerstein que tout le monde connaît (The Sound of Music, My Favorite Things) complètent le disque. Accompagnée par Jacob Christoffsen au piano, Morten Toftgard Ramsbøl à la contrebasse et Morten Lund (le batteur du trio danois de Stefano Bollani), Sinne Eeg en chantera de larges extraits le 9 sur la scène du Sunside.
-Le 10 au Triton, 11 bis rue du Coq Français, Les Lilas (concert à 21h00), la pianiste Sophia Domancich présente “Snakes and Ladders” son surprenant dernier album construit autour de chansons. John Greaves et Himiko Paganotti prêtent leurs voix à d’inclassables miniatures sonores proches du rock et de la pop anglaise des années soixante et soixante-dix. Les claviers de Sophia et les guitares de Jef Morin entrecroisent les notes d’une musique aussi envoûtante qu’intimiste.
-Le géant de la contrebasse Christian McBride au Duc des Lombards les 10 et 11 juin. Dans “Kind of Brown”, son dernier album sur Mack Avenue Records, il joue en quintette ses compositions, mélange explosif de hard bop et de blues. Au Duc, il les interprétera en trio avec Christian Sands au piano et Ulysses Owen à la batterie.
-Stéphane Belmondo au Café de la Danse le 16, avec son nouveau groupe, véritable all star comprenant Kirk Lightsey au piano, Sylvain Romano à la contrebasse et Billy Hart à la batterie. Au programme, les compositions de son nouvel album “The Same As It Never Was Before” récemment paru sur le prestigieux label Verve, disque dont vous trouverez la chronique enthousiaste dans le numéro de mai de Jazz Magazine / Jazzman.
-Paul Abirached mérite d’être connu et le concert qu’il donnera au Sunside le 17 sera pour beaucoup une découverte. “Dream Steps” son premier disque, dix histoires brèves que sa guitare partage avec le piano d’Alain Jean-Marie, la contrebasse de Gilles Naturel et la batterie d’Andrea Michelutti, chante constamment. Paul ne se limite pas au jazz. Dédiée à Jim Hall, au cinéaste Pedro Almodovar, inspirée par une nouvelle de Pasolini ou l’architecture d’Antoni Gaudí (la Sagrada Familia), sa musique relève du folk et du blues. Ses improvisations ne perdent jamais de vue les lignes mélodiques qui structurent ses compositions. Elles n’en sont que plus attachantes.
-Tangora au Sunset également le 17 juin. « Jazz vocal d’outre-mer », une phrase qui résume bien la musique de cette chanteuse née près de Marseille mais dont le cœur tangue du côté de l’Espagne, de l’Amérique latine et vibre auprès du jazz que son oncle, grand navigateur, lui fit découvrir. Les musiques orientales, africaines et indiennes l’interpellent également. Elle s’exprime aussi bien en français, qu’en espagnol, anglais, portugais et italien et ses onomatopées rythmiques sont très inventives. La batterie de Tony Rabeson et la basse électrique d’Eric Vinceno lui fournissent des tempos métissés de samba, bossa-nova, biguine, rumba afro-cubaine et cumbia colombienne. Le beau piano de Mario Canonge et le steel pan de Duvone Stewart ajoutent des couleurs et le plein soleil. Tangora sort un DVD live et prépare un nouvel album. Nous l’attendons impatiemment.
-Bruno Angelini (piano) et Giovanni Falzone (trompette) en concert le 17 juin au « Deux Pièces Cuisine », espace de création situé au Blanc-Mesnil, 42 avenue Paul Vaillant Couturier, à 10 minutes de Paris. Les deux hommes ont enregistré en 2007 pour le label Syntonie “Songs 1”, un album entièrement consacré à des thèmes du trompettiste. On attendait désespérément la suite. Elle arrive. Le concert du Blanc-Mesnil sera enregistré. Conçu et écrit par le pianiste qui y achève une résidence de deux ans, “Songs 2” comprendra uniquement ses compositions. Le disque sortira fin 2011 sur le label Abalone.
-Consacrée à l’histoire du trombone dans le jazz, la leçon de jazz que donne tous les mois le professeur Antoine Hervé aura lieu le 20 à 19h30, comme d’habitude à la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs, Auditorium St. Germain, 4 rue Félibien 75006 Paris. Pour s’époumoner au trombone, un expert de l’instrument, Glenn Ferris. On ne pouvait rêver meilleurs pédagogues.
-Stéphane Kerecki et John Taylor au Duc des Lombards le 22 pour un duo contrebasse piano très attendu. Vous savez tout le bien que je pense de “Patience” leur récent album chroniqué dans ce blog le 16 mai. Les deux hommes peignent des paysages, privilégient l’harmonie, la couleur, mais aussi les échanges rythmiques dans des compositions écrites par Kerecki. Contrebasse et piano laissent constamment ouvert le discours musical, se racontent des histoires intimistes, expriment le langage poétique qu’ils portent en eux pour le bonheur de nos oreilles.
-Le P.G. Project de Pierre Guicquéro au Duc le 23. Je n’ai malheureusement pas trouvé le temps de faire une chronique sur “Bleu Outre Mémoire” (Black & Blue), un album qu’il m’a fait parvenir en février et qui fait entendre un mélange irrésistible de jazz néo-orléanais et de modernité tempéré par le funk, le groove émanant de tous les instruments de l’orchestre, un septette qui enjolive et sert magnifiquement les joyeuses compositions du leader. Avec Pierre au trombone, Julien Silvand (trompette et bugle), Franck Pilandon (saxophones ténor, baryton et soprano), Davy Sladek (saxophone alto, soprano, flûte et clarinette), Bruno Martinez (piano, Fender Rhodes), Dominique Mollet (contrebasse) et Marc Verne (batterie).
-Toujours au Duc dont la programmation de juin est particulièrement réjouissante, ne manquez pas le trompettiste Ambrose Akinmusire qui s’y produit les 25, 26 et 27 juin avec son excellent quintette comprenant Walter Smith III au ténor, Sam Harris au piano, Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown à la batterie. Produit par Jason Moran, son dernier album fait entendre un groupe de musiciens remarquablement soudé. Akinmusire n’exhibe jamais gratuitement sa technique, mais met de l’amour dans ses notes et compose avec le cœur, faisant ainsi passer les difficultés techniques et métriques que présente sa musique, un jazz moderne imprégné de tradition qui emprunte aux musiques urbaines environnantes.
-Taylor Eigsti au Sunside le 28. Le pianiste sort un nouvel album sur Concord Jazz “Daylight at Midnight”. Il fait partie de ces jeunes musiciens qui recherchent de nouveaux standards au sein des compositeurs de leur génération et des musiques environnantes qui titillent leur curiosité. Taylor Eigsti écoute tout, assimile tout. Le répertoire de son disque est en partie constitué de mélodies empruntées à la pop, des thèmes de Nick Drake, Rufus Wainwright et quelques autres. Il a découvert les œuvres pianistiques du compositeur catalan Federico Mompou (désormais son compositeur préféré) et la chanteuse Becca Stevens. Elle chante sur cinq des onze morceaux de son disque, joue de l’ukulélé, du charango et sera présente pour ce concert parisien, Harish Raghavan (contrebasse) et Clarence Penn (batterie) complétant la formation.
-Terence Blanchard au Duc les 28 et 29. Le trompettiste n’a pas fait que des bons disques, mais parvient toujours à rebondir grâce à sa capacité à faire jouer avec lui de nouveaux talents. Ses nombreuses formations ont accueilli des musiciens aujourd’hui confirmés : Antonio Hart, Kenny Garrett, Edward Simon et plus récemment Lionel Loueke, Aaron Parks, Robert Glasper et Walter Smith III. Le quintette avec lequel il se produit au Duc comprend Brice Winston (Saxophone), Fabian Almazan (Piano), Joshua Crumbly (Contrebasse) et Kendrick Scott (Batterie).
-Paris Jazz Festival : www.parisjazzfestival.fr
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Collège des Bernardins : www.collegedesbernardins.fr
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Cinéma Le Balzac : www.cinemabalzac.com
-Le Triton : www.letriton.com
-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com
-Au “Deux Pièces Cuisines” www.deuxpiecescuisine.net
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
PHOTOS : Eddy Louiss © Jean-François Grossin - Laurent Mignard, Denise King & Olivier Hutman, Stéphane Belmondo, Antoine Hervé © Pierre de Chocqueuse - Sinne Eeg © Jesper Skoubølling - Sophia Domancich © Simon Goubert - Paul Abirached © Johanna Benaïnous - Tangora © Violette Fenwick - Bruno Angelini & Giovanni Falzone © Dario Villa - Stéphane Kerecki & John Taylor © Olivier Degen - Pierre Guicquéro © André Hébrard - Ambrose Akinmusire, Terence Blanchard © Philippe Etheldrède - Taylor Eigsti © Devin DeHaven - Christian McBride © photo X/DR.