Avril : le poisson se montre toujours espiègle, le froid persiste et change nos habitudes, la neige recouvre les pommiers de Coutances et les banlieues ne sont plus bleues. Monsieur Michu s’en désole. Son oncle Raoul dont la famille habite Clichy-sous-Bois depuis plusieurs générations vient de lui apprendre que l’ancien fief du Fermier Général Louis-Dominique-François Le Bas de Courmont, convie les rappeurs Rocé et Soweto Kinch à offrir la sérénade à ses habitants. Les grands-parents de l'oncle Raoul ont vu les prussiens détruire la ville encore village en 1870. Traumatisé par un récent concert des Pygmées de l’Île de Pâques au musée de l’Homme, Monsieur Michu craint que des musiques barbares saccagent ses oreilles ellingtoniennes et se tiendra prudemment à l’écart. Natif du taureau, il rumine de sombres pensées. Par bonheur Jean-Paul vient de lui faire savoir que le Duke Orchestra fête ses dix ans d’existence en avril et son moral remonte. Il vient de lui offrir la nouvelle édition de “Jazz de France”, le guide-annuaire édité par l’Irma : 3.000 musiciens ou collectifs, 160 labels, 170 agents et producteurs, 580 festivals, 800 clubs ou salles, 110 journalistes etc. y sont recensés. Une enquête inédite sur le public ou les publics du jazz avec un texte inédit du sociologue Olivier Roueff complète l’ouvrage. Monsieur Michu mémorise les adresses des chanteuses qu’il admire pour leur écrire. Pouvoir envoyer une lettre à la belle Virginie Teychené lui met du baume au cœur.
C’est en avril que l’homme inventa le phonographe. Entre deux rideaux de pluie, les anciens y fêtaient Cybèle. Déesse de la Terre, cette dernière est aussi l’inventeur des cymbales que l’on actionne par une pédale depuis qu’existe la batterie. Celles que fait chanter Gerald Cleaver dans “Wislawa”, le nouveau double CD du trompettiste Tomasz Stanko, me mettent en joie. Vous trouverez la chronique détaillée de l'album dans le nouveau Jazz Magazine / Jazzman et si vous souhaitez l'acheter chez Joseph Gibert, sachez que le jazz s'est transporté au 32 boulevard Saint-Michel, naguère le rayon beaux-arts de l'enseigne. En avril, le jazz fait aussi son cinéma. Du 12 au 14, une soixantaine de films vont être projetés dans les salles du réseau MK2. Monsieur Michu ne manquera pas ceux que l’Ina présente au MK2 Grand-Palais, des films de Jean-Christophe Averty dont beaucoup n’ont plus jamais été montrés depuis leur diffusion. Des concerts de légende qui permettent de retrouver Ray Charles, Ella Fitzgerald, Sidney Bechet, Dizzy Gillespie, Stan Getz, le Modern Jazz Quartet, Art Blakey, Max Roach, Cannonball Adderley et d’autres jazzmen que nous aimons. Les clubs de la rue des Lombards et la péniche l’Improviste s’associent à cette manifestation dont les parrains sont Bertrand Tavernier, Quincy Jones et bizarrement Ibrahim Maalouf. Au Sunside le 11, Riccardo Del Fra jouera en quintette les musiques qu’il a composées pour les films de Lucas Belvaux. Sur l’Improviste le 12, Stephan Oliva improvisera sur Bernard Herrmann, les films noirs et les bandes-son de Jean-Luc Godard. Enfin, depuis le 19 mars et jusqu’au 18 août, le musée de la Cité de la Musique organise une exposition sur le thème Musique et Cinéma. Les images sont aussi la mémoire du jazz. Quant on l’aime, on va aussi au cinéma.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Avec Thomas Bramerie à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie, Pierrick Pedron joue Thelonious Monk au Sunset les 5 et 6 avril, mais aussi le 6 au studio Charles Trenet de Radio France (17h30), dans le cadre de l’émission Jazz sur le Vif de Xavier Prévost. “Omry” et “Cheerleaders” sont des disques qui ne me parlent pas. Je préfère le musicien à sa musique, le saxophoniste parkérien qui s’envole dans ses chorus et fait chanter ses notes. Pierrick joue Monk en trio, recrée son univers sans piano, sans fil et en toute liberté. Publié l’an dernier et primé par l’Académie du Jazz, l’album qu’il lui consacre, “Kubic’s Monk”, est une belle prise de risques.
-À l’occasion des vingt ans de carrière de Jacky Terrasson, c’est un double plateau exceptionnel que nous propose le lundi 8 Sunset Hors les Murs au Trianon, 80 bld Rochechouart 75018 Paris (19h30). Outre la plupart des musiciens de “Gouache”, son dernier album – Cécile McLorin Salvant (chant), Stéphane Belmondo (bugle et trompette), Burniss Earl Travis II (contrebasse), Justin Faulkner (batterie), Minino Garay (percussions) – , Jacky invite le guitariste Biréli Lagrène à le rejoindre sur scène. On retrouve Stéphane Belmondo à la tête de son propre groupe pour fêter la sortie de “Ever After”, album largement consacré à la musique de Donny Hathaway. Outre son quartette régulier comprenant Kirk Lightsey au piano, Thomas Bramerie à la contrebasse et Jonathan Blake à la batterie, il réunit plusieurs invités prestigieux. Parmi ces derniers, Jacky et la chanteuse Sandra Nkaké seront de la fête, Dré Pallemaerts remplaçant Blake à la batterie. Une grande soirée en perspective.
-Après avoir consacré plusieurs disques au répertoire de Jaki Byard, son maître, le pianiste Pierre Christophe, Prix Django Reinhardt 2007 de l’Académie du Jazz, rendra hommage à un autre grand disparu du piano, Erroll Garner. Avec lui le 10 avril au Jazz Club Étoile de l’Hôtel Méridien (trois sets : 22h15, 23h30 et 1h00) un quartette quelque peu inhabituel. Raphaël Dever le bassiste de son trio héritant de Laurent Bataille à la batterie et de Julie Saury elle-même batteuse, aux percussions. Que Pierre s’attaque à l’œuvre pianistique de Garner n’est pas vraiment une surprise. Ce dernier est présent dans son jeu de piano qui réunit avec bonheur styles et époques, passe allègrement du bop au stride et met constamment en joie.
-Toujours au Jazz Club Étoile de l’Hôtel Méridien, ne manquez pas le 11 le premier concert parisien de l’Anachronic Jazz Band, orchestre conjointement dirigé par Philippe Baudoin (piano) et Marc Richard (saxophone alto et clarinette) qui en sont aussi les arrangeurs. Son existence fut brève, quatre ans d’existence (1976 -1980), le temps de publier deux opus dans lesquels ils reprennent des standards du bop pour les jouer tout feu tout swing dans le style des années 20 et 30. L’Anachronic Jazz Band s’est donc miraculeusement reformé et Patrick Artero (trompette), André Villéger (saxophones et clarinette), Daniel Huck (scat et saxophone alto) rempilent dans cette aventure qui fait déjà grand bruit, le groupe étant considéré comme l’un des temps forts du prochain Jazz à Vienne.
-Stephan Oliva en piano solo sur la péniche l’Improviste le 12. Cette dernière s’associe au Festival International du Jazz au Cinéma et à cette occasion s’amarre sur le canal de la Villette, côté quai de Loire. Après deux opus sur le compositeur Bernard Herrmann (un live et un studio), un disque remarquable consacré aux films noirs (un de mes 13 Chocs de 2011), Stephan vient d’enregistrer au studio La Buissonne un nouvel album autours des musiques des films de Jean-Luc Godard. Il les a relevé pour les remonter à sa manière, mettant parfois en perspective des thèmes secondaires, développant des passages illustratifs, allégeant leurs orchestrations pour ajourer leurs mélodies. Ces trois programmes, Stephan les entremêlera, passant d’un piano adamantin aux notes obsédantes à des tonalités plus chaudes, les ombres du noir et blanc rencontrant la couleur.
-Al Foster au Sunside le 13 et le 14. L’ex batteur de Miles Davis, de McCoy Tyner et de Joe Henderson n’a rien perdu de sa technique, son drumming moins économe que naguère témoignant d’une vitalité intacte. Pour servir le hard bop qu’il apprécie, il aime les saxophonistes qui racontent des histoires, des ténors solides qui savent jouer le blues. Influencé par Gene Ammons et Sonny Stitt, Eric Alexander possède justement le son volumineux qui convient aux projets du batteur. Depuis longtemps complices de sa batterie, la contrebasse pneumatique du fidèle Doug Weiss, et le piano attentif et discret d’Adam Birnbaum complètent un quartette attendu.
-Une écoute attentive de “Kinematics” révèle que Stéphane Chausse (clarinettes et saxophones) et Bertrand Lajudie (claviers) ont eu bon goût de joindre leurs talents respectifs. Récemment publié (Assai Records, distribution Musea), réunissant un nombre stupéfiant de musiciens, leur premier opus, une grosse production studio très soignée, pleine de couleurs et d’idées, reste un coup de maître dans le genre world fusion. Difficile en effet de chercher à identifier ces musiques qui se mêlent, se chevauchent et qu’il faut écouter sans se poser trop de questions. Chausse et Lajudie sont parvenus à habiller des mélodies habiles et accrocheuses, des thèmes que l’on peut mémoriser facilement malgré la structure harmonique souvent complexe des improvisations qui en découlent. Avec eux au New Morning le 16, une équipe restreinte : Sylvain Gontard (bugle et trompette), Marc Bertaux (basse), Patrice Heral (batterie) et Ousman Danedjo (percussions, voix) et pas mal d‘électronique.
-Toujours associée à Olivier Hutman dont le piano suinte le blues, Denise King, chanteuse à la voix de velours, donnera deux concerts au Sunside le 17 et le 18 pour fêter la sortie de “Give Me the High Sign” le deuxième disque qu’ils enregistrent ensemble. Avec eux les musiciens de l’album : Stéphane Belmondo (trompette et bugle), Olivier Temime (sax ténor), Darryl Hall à la contrebasse, indisponible le batteur Steve Williams se voyant remplacé par Antoine Paganotti. Vous attendrez quelques jours pour lire dans ce blog la chronique de ce disque qui rend heureux, un feu d’artifice de swing et de tendresse qui rivalise sans peine avec les meilleures productions soul des années 70. Avec Viana sa délicieuse épouse, Olivier a conçu des musiques aux arrangements sur mesure pour la voix chaude de Denise qui co-signe avec lui plusieurs titres, et non des moindres, que vous vous empresserez d‘écouter.
-Saxophoniste (alto mais aussi ténor), Jaleel Shaw est membre du quartette de Roy Haynes et du Mingus Big Band. A New York il joue aussi avec le Colors of a Dream Band de Tom Harrell, et le EJ Strickland Quintet. Enregistré en quartette son troisième disque, “The Soundtrack of Things to Come”, vient de paraître sur le label Changu Records. Jaleel nous en jouera sûrement des extraits au Sunside le 19. Ne pouvant disposer de Lawrence Fields, son jeune et talentueux pianiste, il ne perdra pas au change avec Vincent Bourgeyx au piano (son album “HIP” à marquer d’une pierre blanche est l’un de mes 13 Chocs 2012), Darryl Hall à la contrebasse et Benjamin Henocq à la batterie assurant la rythmique.
-Laïka Fatien au Café de la Danse (5, passage Louis Philippe 75011 Paris) le 20 avec Airelle Besson (trompette), Eric Maria Couturier (violoncelle), Pierre-Alain Goualch (piano), Chris Thomas (contrebasse) et Anne Paceo (batterie). Dans “Come a Little Closer” publié l’an dernier, elle évoque son trouble amoureux, exprime ses sentiments avec les textes, les mélodies d’Abbey Lincoln, Carole King, Nina Simone, mais aussi les siens dans Divine, une de ses compositions, avec un seul piano pour souligner sa voix suave. Laïka chante aussi “Nebula”, un album arrangé par Meshell Ndegeocello dans lequel elle pose ses propres paroles sur des instrumentaux de Wayne Shorter, Joe Henderson, Tina Brooks et Jackie McLean. Elle préfère la justesse et la sincérité au maniérisme et aux effets de style, nous chuchote des mots intimes qui font battre le cœur.
-Le Duke Orchestra fêtera ses dix ans d'existence trois jours durant à l’Européen (5, rue Biot 75017 Paris). Le dimanche 21 verra la reprise du programme Ellington French Touch très apprécié par les Michu. Le lundi 22 Duke Ellington ambassadeur des peuples sera à l’honneur dans un Multicolored Duke. Quant aux femmes souvent présentes dans l’œuvre d'Ellington, Duke Ladies leur sera consacré le mardi 23. Toujours dirigé par Laurent Mignard, l’orchestre semble avoir quelque peu renouvelé son personnel avec la présence dans ses rangs de Carl Schlosser (saxophone ténor, flûte), Olivier Defays (saxophone ténor) et de Claude Egea (trompette). Victoria Abril, Jorge Pardo et Jean-Jacques Milteau participeront au second concert et le comédien Pierre Richard au premier. Enfin, outre l’épatante Nicolle Rochelle qui fait tourner la tête de Michel Contat, les autres chanteuses de Duke Ladies, le troisième plateau, seront Sylvia Howard, Rebecca Cavanaugh et Aurore Voilqué.
-Anthony Strong chante, compose, joue bien du piano et malgré son jeune âge (il est né en 1984) possède un sacré métier. Chic avec ça le bougre, comme les musiciens qui l’accompagnent sur scène, tous en cravate et costume deux pièces, la classe ! Après le Grand Rex et le Duc des Lombards il y a quelques mois, le New Morning l’accueille le 25 avec ses reprises de standards ancrées dans le groove et le swing et des compositions originales « vintage » qui sonnent comme des thèmes de vieilles comédies musicales, le chanteur rendant floue les frontières entre le jazz et la pop qui alimente aussi son répertoire. Pour son concert parisien, il sera entouré par Graeme Flowers (trompette), Jon Shenoy (saxophones) et la section rythmique qui officie sur la moitié de “Stepping Out”, son nouveau disque, le premier qui sort en France, Tom Farmer (contrebasse) et Seb De Krom (batterie).
-Après Paris en 2012, Istanbul sera la nouvelle capitale du jazz le 30 avril. Le Thelonious Monk Institute of Jazz, l’Association Paris Jazz Club et l'UNESCO organisent sa partie française dans les clubs de jazz de la rue des Lombards qui feront le plein de groupes et de musique jusqu’à 2 heures du matin. Nous n’avons pas la liste définitive des musiciens qui participent à cette manifestation. Parmi ceux qui ont confirmés leur présence, citons Gregory Porter, Taylor Eigsti, Avishai Cohen, Omer Avital, China Moses et Riccardo Del Fra. Renseignements auprès de Paris Jazz Club www.parisjazzclub.net
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Le Trianon : www.letrianon.fr
-Jazz Club Étoile : www.jazzclub-paris.com
-Péniche l’Improviste : www.improviste.fr
-New Morning : www.newmorning.com
-Le Café de la Danse : www.cafedeladanse.com
-l’Européen : www.leuropeen.info
-Festival du Jazz au Cinéma : www.mk2.com/evenement
-Musée de la Cité de la Musique : www.citedelamusique.fr
Crédits Photos : Pierrick
Pedron, Jacky Terrasson, Stéphane Belmondo, Raphaël Dever & Pierre Christophe, Stephan Oliva, Al Foster, Olivier Hutman & Denise King, Laïka
Fatien, Laurent Mignard (Duke Orchestra), Anthony Strong © Pierre de Chocqueuse – Anachronic Jazz Band © Michel Bonnet – Jaleel Shaw © photo X/DR.