La discographie d’Eric Watson - et plus particulièrement ses albums en solo - reste étroitement liée aux activités du producteur Jean-Jacques Pussiau. Diplômé du Conservatoire d’Oberlin (Ohio), Watson est déjà un pianiste accompli lorsqu’il s’installe à Paris en 1978. Il joue tout aussi bien Brahms, Scriabine et Ives que ses propres compositions. Il a étudié le jazz et l’improvisation avec le pianiste John Mahegan dont il a été l’assistant en 1972 et a écrit plusieurs oeuvres pour la compagnie de la chorégraphe Wendy Shankin, "The Calck Hook Dance Theater". Certaines d’entre-elles se trouvent dans “Bull’s Blood” (1981), le premier disque qu’il enregistre en solo pour Owl Records, le label de Pussiau. Je me revois déjeunant avec Eric (barbu et exalté) et Jean-Jacques dans un troquet proche de la rue Liancourt où se trouvait le bureau de ce dernier. Nous parlions beaucoup de Charles Ives, de ses deux sonates pour piano (Eric a enregistré la première), de la bouleversante modernité de la musique d’un compositeur ignoré de son vivant. Outre “Bull’s Blood”, Pussiau produisit deux autres albums de Watson en solo. “Child in the Sky“ (1985) et “Sketches of Solitude” (2001), comptent parmi les plus beaux opus du pianiste. Il faut désormais ajouter ce “Memories of Paris” récemment paru sur Out Note, label dont s’occupe activement Jean-Jacques et au sein duquel il a récemment créé la série Jazz and the City qui associe un pianiste à la ville de son choix. Après un “New York-Love Songs” confié à Kenny Werner, Eric Watson rêve ses souvenirs de Paris et son Steinway nous en traduit les émotions intimes. Le pianiste évoque non sans gravité la rue des Martyrs, la rue de Beaujolais et la rue des Trois Frères. Ses basses lourdes et profondes donnent du poids à sa musique lyrique et tourmentée. Car l’inquiétude est perceptible dans ce piano dynamique qui sonne superbement. Watson questionne, interroge et doute sans jamais trébucher. Il martèle de sombres accords, fait tourner des thèmes obsédants qu’il révèle tardivement. S’il se plaît à dessiner les contours de l’ombre, à imaginer la musique en noir et blanc de nos nuits blanches, il ne refuse pas de nous montrer la lumière du jour. Dans Clairières, une pièce abstraite et onirique, les rayons d’un soleil matinal éclairent un Paris encore endormi et Cité des Fleurs fait entendre un piano plus paisible, à l’image de ce coin tranquille qu’il évoque, un vestige d’un autre temps au cœur d’un quartier excentré de la capitale. Le pianiste fougueux et virtuose s’exprime dans New York Moxie (qui en argot signifie vigueur) et Drop of Gold, morceau dans lequel il accélère le tempo, rythme au plus près sa pensée musicale. L’instrument gronde, emporte l’auditeur dans un maelström, un tourbillon de notes, les lumières de nos nuits.
Photo Eric Watson © Jean-Jacques Pussiau