L'introduction de Moonfleck qui ouvre l’album est inoubliable. Au souffle de la clarinette basse succède le violoncelle exposant un bref motif mélodique. Le piano y répond par des harmonies délicates aux couleurs de la nuit. Enfermés dans un studio de Minneapolis par une journée d’hiver froide et belle, Jean-Marc Foltz, Matt Turner et Bill Carrothers ont enregistré dans une obscurité complète une musique entièrement improvisée. « What are we going to play ? » ont demandé Bill et Matt. « Let’s find some music, somewhere… over the rainbow » leur a répondu Jean-Marc. En route pour la lune, les trois hommes ont gravé ce jour-là, une page musicale d’une grande richesse poétique, une musique de chambre inclassable relevant autant du jazz que de la musique contemporaine. Dialogue inspiré entre le violoncelle et la clarinette qu’arbitre un piano obsédant, Gallows Song est une pièce si bien structurée qu’on la croirait écrite. Clarinette (basse ou en si bémol selon les plages), violoncelle et piano inventent constamment d’éphémères mélodies qui servent de point de départ au discours musical. Elles peuvent aussi naître spontanément au sein des improvisations et se greffer sur des motifs rythmiques. Dans Black Butterflies, le piano impose ainsi une cadence sur laquelle la clarinette basse improvise, Foltz esquissant les pas de danse d’une mélopée lyrique. Il en va autrement dans To Colombine où la clarinette basse commence par introduire la mélodie en solo. Le piano reste toutefois au cœur du dispositif orchestral. Comme Philippe Ghielmetti se plait à le dire, Bill Carrothers aime les tempos « lents, plus lents, et encore plus lents ». Il assoit la tonalité, donne une réelle assise harmonique et rythmique à la musique et imagine des mélodies ou des semblants de thèmes, la musique étant enrichie collectivement par les membres du trio. A Pale Washerwoman, Crosses ou Moondrunk sont construits sur les accords du piano. Jean-Marc Foltz reprend les notes de Moondrunk à la clarinette basse et improvise des phrases constamment mélodiques. Dans Old Pantomines, les cordes du piano font vibrer le timbre de la caisse claire qui est posée dessus. Carrothers utilise aussi les cordes métalliques de son piano pour rythmer l’inquiétant Knitting Needles, pièce abstraite dans laquelle l’archet du violoncelle émet des glissandos fascinants. Bien qu’austère, cette musique n’en reste pas moins prenante et admirable. Le disque s’achève sur Prayer, une improvisation de plus de huit minutes confiée à la clarinette et que le piano accompagne sobrement. La clarinette possède une grande tessiture et Foltz souffle l’extase, trouve les notes les plus hautes d’un moment irréel précieusement conservé.
Dernière chronique avant une rentrée qui s’annonce riche en nouveautés (nouveaux albums de Fred Hersch, Norma Winstone, David Linx, Vijay Iyer, Manuel Rocheman, Ralph Alessi, Laurent Cugny, Denny Zeitlin, Charles Lloyd, Quest, Aldo Romano, Géraldine Laurent pour n’en citer que quelques-uns), “To the Moon“ s’écoute de préférence dans l’obscurité et dans un complet silence. Je l’emmène avec moi en vacances pour donner du son à mes nuits estivales.