François Couturier a longtemps joué du jazz avec des musiciens cherchant comme lui à faire tomber les barrières cloisonnant les genres musicaux. Une longue collaboration avec Anouar Brahem l’a conduit à se rapprocher de la mélodie, du silence. Ouvert aux musiques de son temps, le pianiste s’intéresse moins au swing qu’à l’élaboration d’une musique ouverte dépassant le cadre du jazz. François a ainsi étudié et déchiffré de nombreuses partitions tant classiques que contemporaines, et a récemment enregistré un album entier d’œuvres du compositeur catalan Federico Mompou. Les trois albums ECM qu’il consacre à Andreï Tarkovsky, son cinéaste préféré, sont parfaitement représentatifs de sa démarche esthétique, le choix d’une musique acoustique qui privilégie la ligne mélodique, mais ne se refuse pas l’improvisation, l’atonalité, la modalité, et affirme haut et fort sa liberté. Comme les deux précédents opus de cette trilogie - “Nostalghia” et “Un jour si blanc” - , ce “Tarkovsky Quartet” aurait pu sortir sur le label ECM New Series qui rassemble de nombreuses œuvres contemporaines de qualité. S’il échappe à toute classification, il contient mélodie, harmonie, rythme et nous fait passer de l’autre côté du miroir où la musique se rêve et fait voir des images. S’inspirant de celles, inoubliables, de Tarkovsky, mais aussi de son journal, François Couturier a composé neuf pièces musicales illustratives et féeriques, s’autorisant quelques emprunts à Pergolèse, Bach, Chostakovitch, nourrissant sa musicalité auprès des maîtres. Trois improvisations collectives offrent des moments d’attente (San Galgano), d’abstraction suspendue (Sardor), les instruments déployant majestueusement leurs ailes entre ciel et terre (La main et l’oiseau). Bien que bénéficiant d’une instrumentation identique à celle de “Nostalghia”, la musique est plus orchestrale, davantage pensée pour les quatre instruments du quartette. Le violoncelle d’Anja Lechner, l’accordéon de Jean-Louis Matinier, le saxophone soprano de Jean-Marc Larché et le piano de François font chanter leurs timbres, déploient une large palette de couleurs. Portée par les magnifiques ostinato du piano (Tiapa, Mychkine), constamment enrichie de notes délicates, la ligne mélodique frémit d’aise et s’envole. Les yeux clôts, on la suit dans son voyage, périple peuplé de visions, de souvenirs qui se mêlent aux nôtres pour nous toucher profondément.