Enregistré au Vanguard de New York en décembre 2010, ce concert de Fred Hersch ne possède pas l’intensité de celui qu’il donna en solo au Sunside en octobre dernier devant un public clairsemé, un moment de grâce comme les musiciens sont capables d’offrir lorsqu’ils sentent le public en osmose avec eux. Hersch joue pourtant un piano inspiré, une musique si fluide que l’on ne perçoit pas l’immense technique qu’elle nécessite. Son disque est le dernier set d’un engagement d’une semaine dans le club new-yorkais. Le pianiste y exprime ses sentiments, habille de superbes couleurs harmoniques les standards qu’il reprend et transforme. Le son est malheureusement un peu écrasé ce qui ne facilite pas son écoute. Il faut passer outre et se laisser porter par une musique qui ne dévoile pas d’emblée sa richesse. Fred commence son set par une version romantique d’In the Wee Small Hours of the Morning que des notes perlées enveloppent d’un baume apaisant. Il flatte la belle ligne mélodique de Memories of You d’Eubie Blake par des fioritures exquises, et nous fait tourner la tête avec Echoes qui ruisselle de tendresse. Rythmiquement, le pianiste fascine par son sens du tempo, sa conception très souple du rythme qui lui permet de passer du stride au boogie dans Down Home et Lee’s Dream, ou de jouer une bossa (Doce de Coco) avec un brio sans pareil. Héritant de nouvelles harmonies et d’une cadence inhabituelle, Work de Thelonious Monk devient un morceau presque neuf, et l’on peine à reconnaître Doxy de Sonny Rollins dans une progression d’accords labyrinthiques qui s’achèvent sur un blues. Certaines compositions furent interprétées à Paris : Work dans une version plus monkienne que celle proposée ici, et Pastorale, pièce contrapuntique dédiée à Robert Schumann dans laquelle cohabitent plusieurs lignes mélodiques, morceau aux accords de rêve et au feeling miraculeux.