6 février 2010
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Admiré par ses
confrères – Brad Mehldau reconnaît son influence sur son propre piano -, mais mal-aimé du grand public, Fred Hersch reste l’un des plus grands pianistes de jazz que possède
l’Amérique. Sa venue au Duc des Lombards en juillet n’a pas attiré grand monde et pourtant ses apparitions sont d’autant plus précieuses qu’elles se font rares. Séropositif depuis 1986, il se
ménage après une grave évolution de sa maladie en 1998. Le virus du sida attaquant son cerveau, il reste deux mois dans le coma, son état nécessitant une trachéotomie. Il s’en sort, mais ne peut
plus bouger ses doigts, ni tenir un stylo. Hersch s’est pourtant vite remis au piano, se montrant plus fort que jamais sur le plan créatif malgré un handicap technique qu’il s’est empressé de
gérer. Deux disques de lui sont sortis l’an dernier sur l’excellent label Sunnyside de François Zalacain. On peut sans trop de difficulté se procurer en import dans les (rares) bons magasins
de la capitale le très inventif “Live at Jazz Standard“, un concert de mai 2008 de son Pocket Orchestra, formation réunissant trompette, piano et percussions autour de la voix et des
vocalises de la chanteuse Jo Lawry. Distribué par Naïve, “Plays Jobim“, en solo, est régulièrement disponible depuis novembre. Probablement enregistré en 2001, il devait à l’origine faire
partie de “Songs Without Words“, coffret Nonesuch de trois CD qui obtint cette année-là le Grand Prix de l’Académie du Jazz. Parvenant à donner de nouvelles couleurs harmoniques à des chansons
souvent reprises, recourant au contrepoint pour développer plusieurs lignes mélodiques au sein d’un même morceau (O Grande Amor), Fred Hersch excelle surtout dans les pièces lentes
de ce disque. Il faut se laisser imprégner par la magnifique version de Por Toda Minha Vida, son ouverture, et se laisser doucement bercer par les harmonies chantantes de
Luiza, Corcovado, Modinha, pièce couplée avec Olha Maria dans lesquelles il s’abandonne à des variations inattendues. Ses improvisations sont si intimes et
profondes que plusieurs écoutes sont nécessaires pour en goûter toute la poésie. “Plays Jobim“ comporte quelques faiblesses. La présence d’un percussionniste dans Briga Nunca Mais ne
s’impose pas, et dans Meditaçao le pianiste un peu raide adopte un jeu heurté et sec qui ne pas en valeur la mélodie. Ailleurs, Hersch se montre en complète affinité avec les musiques du
compositeur brésilien. Se les réappropriant, il les joue comme s’il n’allait plus jamais toucher un piano, sa maladie le poussant à s’immerger complètement dans sa musique. Qu’il consacre un disque
entier à Thelonious Monk, à Billy Strayhorn ou comme ici à Antonio Carlos Jobim, Hersch impose son propre univers pianistique, sa fabuleuse technique et sa grande connaissance
de l’histoire du jazz lui permettant de créer une musique profondément sensible et personnelle.