Fred Hersch apprécie le Village Vanguard. L’ambiance, l’intimité, les qualités acoustiques du club agissent sur sa musique. Son nouveau disque y a été enregistré. S’il fait bon s’y trouver et y jouer, l’exiguïté du lieu oblige les instruments à être près les uns des autres, ce qui rend délicate la prise de son. Ce léger handicap sonore n’empêche pas d’apprécier la réelle sensibilité musicale de Hersch qui, miraculeusement sorti d’un coma profond en 2008, ne cesse depuis de jouer son meilleur piano. “Alive at the Vanguard” – on aura compris le jeu de mot – se révèle d’une musicalité exceptionnelle. John Hébert et Eric McPherson ont gravé “Whirl” en 2010 en sa compagnie. Plusieurs tournées leur ont permis de mieux se connaître et constituer un vrai trio. Le batteur marque le tempo d’une frappe légère, construit ses solos avec une grande rigueur ; la contrebasse n’hésite pas à placer ses propres lignes mélodiques tout en instaurant une conversation quasi permanente avec le piano. John Hébert se réserve un I Fall In Love Too Easily pour faire chanter son instrument. L’album mêle standards et compositions originales. Fred Hersch a l’habitude de les dédier à ses amis, à des artistes qu’il admire. Les dédicataires sont ici Paul Motian qui lui inspire le mélancolique Tristesse, une des plus belles pages de ces concerts, Ornette Coleman dont il reprend Lonely Woman, mais auquel il offre Sartorial, magnifique composition abstraite prétexte à une improvisation pétillante d’intelligence, et Eric McPherson pour lequel il a écrit Opener habillant un solo de batterie. L’usage du contrepoint lui permet de développer plusieurs lignes mélodiques au sein d’un même morceau, ce qui n’a pas manqué d’interpeller Brad Mehldau qui le cite comme une de ses principales influences. Le pianiste excelle autant dans les pièces lentes que sur tempo rapide, et joue une musique si fluide que l’on ne perçoit pas l’immense technique qu’elle exige. Il fascine aussi par sa conception très souple du rythme, ses progressions d’accords labyrinthiques (Rising, Falling), les couleurs dont il recouvre les standards qu’il reprend, vaste répertoire qu’il réactualise, repense avec un souci permanent de la forme. Capable de jouer un bebop acrobatique et enthousiasmant (Segment de Charlie Parker), il séduit par la douceur de son phrasé, les caresses dont profitent ses notes dans les ballades, Song is You abordé sur un rythme lent, The Wind de Russ Freeman habilement couplé avec Moon and Sand d’Alec Wilder, pièces délicatement ciselées dans lesquelles se révèle la profonde intimité qu’il partage avec son piano.