La crise : même le Père Noël fait les poubelles. Le 24 décembre, comme l’an dernier, Jean-Paul tenait le rôle de Saint Joseph dans la crèche vivante de la paroisse parisienne des Saints Innocents. Le lascar avait postulé pour tenir celui de l’Enfant Jésus, ce qui, vu sa taille, lui fut refusé. Souffrant d’une sciatique qui le courbait en deux, Bajoues Profondes n’eut aucun mal à faire un bœuf plus vrai que nature. Edouard Marcel avait cru bon composer une œuvre religieuse contemporaine pour la circonstance, mais ses immenses rouleaux de partitions mirent la puce à l’oreille des bons pères qui, méfiants, demandèrent à l’entendre. Deux d’entre eux sont toujours à hôpital. Sorti du sien, Monsieur Michu a pu assister à la messe de minuit, à l’issue de laquelle Jean-Paul invitait chez lui autour d’un chocolat chaud que servait Bernard, fauché après les concerts désastreux de son Tarzan et Jane Jungle Electro Jazz Band. Pour achever de le ruiner, Edouard Marcel vient de lui passer commande d’un nouveau répertoire spécifiquement conçu pour un groupe jouant au sein d’un tambour gigantesque. Il est malheureusement trop tard pour que le festival Sons d’hiver le programme dans le Val-de-Marne. Sa nouvelle édition aura lieu du 27 janvier au 18 février. Quelques concerts interpellent - Stéphan Oliva fin janvier, Craig Taborn en duo avec Vijay Iyer, le sextette de Benoît Delbecq relisant Duke Ellington en février. Le free Jazz y reste toutefois largement privilégié ainsi que l’afro-punk, le hip-hop, le rap, les tensions électriques, les bâillements acoustiques... L’objectif du festival semble être de réveiller nos conduits auditifs endormis et, je cite ici le dossier de presse, de « retransmettre au mieux les palpitations chatoyantes et sonores de la vie. » Celles qu’éprouve Monsieur Michu à la lecture du programme inquiètent son épouse. Quant à Jean-Paul, il en a déjà des sueurs froides et des claquements de dents. Amateurs de jazz qui ressemble à du jazz avec des mélodies et des rythmes qui swinguent, les Michu se tiendront prudemment à l’écart de ces frissons d’hiver.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Le Nagual Orchestra au Sunset le 7. On a pu écouter la formation l’an dernier à l’Âge d’Or, Paris 13ème, où elle tint résidence. Son personnel n’est plus tout à fait le même depuis l’enregistrement en 2007 de l’album “La boîte à desseins”, qui la fit remarquer. Olivier Laisney à la trompette et Alexis Pivot au piano ont rejoint Florent Hubert (saxophone ténor et à la clarinette), Matthieu Bloch (contrebasse) et David Georgelet (batterie), mais leur jazz acoustique aux fortes racines n’a fait que s’affiner. Vainqueur des Trophées du Sunside en 2009 et parfaitement cimenté par la contrebasse de Mathieu, le groupe séduit par ses couleurs, sa sonorité spécifique, ses compositions originales et mélodiques qui séduisent l’auteur de ces lignes. Le groupe qui en possède de nouvelles prévoit de les enregistrer en février pour une sortie d’album en automne.
-Claude Carrière poursuit son cycle de conférences sur les suites de Duke Ellington le 9 à 19h00 au Collège des Bernardins. Au programme, les années 1951 à 1956 avec la Controversial Suite, les trois mouvements de Night Creature qui firent l’objet d’un ballet et la Newport Jazz Festival Suite. 1956 est l’année de l’enregistrement de “Such Sweet Thunder”, chef-d’œuvre ellingtonien qui peut faire l’objet d’une conférence à elle seule.
-Prysm au Duc des Lombards le 12 et le 13 dans le cadre du French Quarter Festival (du 3 au 31 janvier). Le groupe s’y est produit en avril 2011 sans Pierre de Bethmann handicapé par une double fracture de l’épaule. La guitare de Manu Codjia suppléa son absence sans nous la faire tout à fait oublier. Tout semble aujourd’hui rentré dans l’ordre pour une formation longtemps mise en sommeil. Pierre de Bethmann (piano et fender rhodes), Christophe Wallemme (contrebasse) et Benjamin Henocq (batterie) se sont à nouveau réunis pour des relectures inventives des grands titres de leur répertoire. “Five” Le disque live qu’ils ont fait paraître l’an passé est entièrement constitué d’anciens morceaux. Le trio joue aujourd’hui un jazz moderne et énergique qui témoigne de la parfaite entente de ses membres, l’échange, le partage étant ainsi privilégiés.
-Enrico Rava au Sunside les 13, 14 et 15 janvier pour jouer “Tribe”, son dernier disque ECM, un de mes 13 Chocs de l ‘année 2011. Avec lui Gianluca Petrella au trombone pour tenir de véritables discours mélodiques, mais aussi Giovanni Guidi, pianiste subtil qui apporte des couleurs tamisées à une musique délicieusement paresseuse. Cette dernière regorge de soleil et sa chaleur méditerranéenne pousse au farniente. Gabriele Evangelista à la contrebasse et Fabrizio Sferra à la batterie complètent cette formation transalpine avec laquelle le trompettiste signe l’un des albums les plus lyriques de sa discographie.
-Empruntant son nom au train qui assure chaque jour la liaison entre Paris et Rome, Palatino réunit Paolo Fresu au bugle et à la trompette, Glenn Ferris au trombone, Michel Benita à la contrebasse et le grand Aldo Romano à la batterie. On pensait le groupe disparu après l’enregistrement de son troisième album en 2001. Un nouvel opus live en novembre dernier (Naïve) vient démentir sa dissolution. Il est même attendu au Duc des Lombards le 16 et le 17 pour régaler son public d’une musique chantante qui réchauffe en ces temps hivernaux. On ne manquera pas les dialogues probables entre Fresu et Ferris, le jeu rugueux du trombone donnant du nerf à la musique. Chaque musicien apporte ses compositions, des mélodies solaires et enivrantes comme le vin de Toscane. Elles agissent comme de puissants remèdes contre la morosité et bien d’autres fléaux. On se précipitera.
-Pas évident de réunir un piano et une guitare. Associer les deux instruments reste délicat sur le plan harmonique. Pour le guitariste, il faut redéfinir l’attaque de ses notes, repenser ses voicings pour que le pianiste trouve sa place et puisse se faire entendre dans un autre registre. La réussite d’une telle association se trouve dans la retenue, la qualité d’une écoute réciproque. Brad Mehldau et Pat Metheny, Jim Hall et Geoffrey Keezer (leur disque date de 2005, je me le suis procuré récemment) ont parfaitement compris comment optimiser leurs rencontres. S’ils jouent rarement ensemble, Marc Copland et John Abercrombie se connaissent depuis longtemps. Leur dernier disque est quelque peu monotone, mais la magie peut à tout moment renaître et opérer. On ne se privera pas d’écouter ces deux grands musiciens au Sunside le 18.
-Laurent de Wilde joue un merveilleux piano. Habitué des clubs de la rue des Lombards, directeur artistique de la première édition de "Sorano Jazz" à l’Espace Daniel Sorano de Vincennes, Laurent multiplie les rencontres. On a pu l’entendre avec Géraldine Laurent, Eric Le Lann, Glenn Ferris, Elise Caron et les rythmiques qu’il affectionne, Yoni Zelnik et Jérôme Regard à la contrebasse, Laurent Robin et Donald Kontomanou à la batterie, sans parler des concerts qu’il donne avec son vieux complice Otisto. Les amateurs de jazz et de beau piano lui réclamaient depuis longtemps un nouveau disque. Initialement prévu à New York, son enregistrement se fera dans quelques jours à Paris, en trio avec Ira Coleman à la contrebasse et Clarence Penn à la batterie. Auparavant, les trois hommes peaufineront les détails de leur musique au Duc des Lombards les 18 et 19. Laurent l’annonce « très rythmique, louchant sur l’afro-beat comme sur l’électro, sans oublier les blues et les ballades. »
-Jacky Terrasson au piano, Philip Catherine à la guitare et Stéphane Belmondo à la trompette et au bugle le 19 au Sunside. On ne manquera pas ce trio inédit, rencontre de trois musiciens émérites qui ont déjà une longue carrière derrière eux. On a entendu Stéphane l’an passé avec le pianiste Kirk Lightsey, mais aussi avec Roy Hargrove et Tom Harrell dont les trompettes s’accordent à la sienne. Jacky a invité Malia à rejoindre son trio lors de la dernière édition du festival Jazz en Tête et s’apprête à enregistrer un nouvel album. Quant à Philip, son dernier disque “Plays Cole Porter” (Challenge) met constamment en valeur les inoubliables mélodies qu’il contient. Stéphane indisponible le 20, c’est un duo qu’abritera le Sunside ce soir-là, mais même privé de sa trompette le piano de Jacky et la guitare de Philip feront pleuvoir des notes aussi lumineuses que des feux de Bengale.
-Le 24, toujours à la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs (auditorium St. Germain, 4 rue Félibien 75006 Paris), Antoine Hervé consacrera sa leçon de jazz à Antonio Carlos Jobim et la bossa nova avec comme invité le chanteur Rolando Faria, chanteur survivant des Etoiles qui enregistrèrent leur premier disque en France en 1976. Ceux qui manqueront le cours de l’Oncle Antoine pourront s’en procurer le polycopié en DVD (R.V. Productions / distribution Harmonia Mundi). Outre le concert commenté non sans humour et divers bonus, on se réjouira du contenu musical du CD que contient cette édition, quatorze classiques du grand Jobim joliment interprétés par Antoine et Rolando parmi lesquels Desafinado, Samba de Uma nota so, Corcovado et Agua de Beber. Prochaines sorties : “Wayne Shorter, jazzman extra-terrestre” le 21 février et “Oscar Peterson, maître du swing” en mars.
-Les 26 et 27, le Duc des Lombards accueille Pierrick Pedron, magnifique altiste parkérien (si, si, ouvrez vos oreilles, on peut entendre le chant de l’Oiseau), non pour nous interpréter son dernier album que je suis loin d’apprécier, mais pour jouer la musique de Thelonious Monk en compagnie de Laurent de Wilde au piano, Sylvain Romano à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie.
-Toujours le 27, Leïla Olivesi jouera au Sunside son nouvel disque. Épouse d’Amenothep III et grande reine d'Egypte, Tiy prête son nom au troisième opus de la pianiste franco-mauritanienne. Elle nous livre ses mélodies colorées, son piano délicat et sensible, et rend aussi hommage à Néfertiti et à Balkis, la reine de Saba, des femmes de pouvoir aux destins exceptionnels. Avec elle les musiciens qui l’accompagnent dans son album : Emile Parisien aux saxophone soprano, Manu Codjia à la guitare, Yoni Zelnik à la contrebasse et Donald Kontomanouà la batterie. “Tiy” est disponible dans les FNAC de la capitale et dans plusieurs magasins de province. On peut aussi le commander sur le site de Leïla : www.leilaolivesi.com
-Au sein d’une programmation hétéroclite privilégiant free jazz et bizarreries, le festival Sons d’hiver accueille le 31 janvier à Arcueil (20h30 espace Jean Vilar, 1 rue Paul Signac) le pianiste Stéphan Oliva dans son programme consacré aux films noirs. Avec lui, Philippe Truffaut pour « recréer un dialogue entre le son et le visuel et répondre en images ». Choc 2011 de ce blog, “Film Noir” le dernier disque de Stéphan, compte parmi les plus beaux de l‘année qui s’achève. Très prisé par les cinéastes dans les années 40 et 50, le genre eut ses compositeurs : David Raskin, Miklós Rózsa, Dimitri Tiomkin et même John Lewis que les amateurs de jazz connaissent bien. Stéphan a relevé les thèmes ou les séquences musicales illustratives des films auxquels ils participèrent. Son piano improvise, prend des libertés, se fait tendre et mélodique ou accentue l'aspect dramatique de leurs musiques, les graves de l’instrument, ses notes lourdes et obsédantes traduisant leur noirceur. En deuxième partie, le saxophoniste Sonny Simmons, 78 ans - il composa Music Matador qu'il enregistra avec Eric Dolphy en 1963 - , peut provoquer la surprise.
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Collège des Bernardins : www.collegedesbernardins.fr
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
-Festival Sons d’hiver : www.sonsdhiver.org
CREDITS PHOTOS : Nagual Orchestra, Claude Carrière, Prysm, Enrico Rava (montage), Laurent de Wilde, Jacky Terrasson, Stéphane Belmondo, Antoine Hervé, Rolando Faria, Pierrick Pedron, Stéphan Oliva © Pierre de Chocqueuse - Palatino © Stéphane Barthod - Marc Copland & John Abercrombie © Konstantin Kern / Pirouet Records - Philip Catherine © Jos L Knaepen - Père Noël : photo X/D.R.