Galette des rois chez les Michu le dimanche 8 janvier, jour de l’Epiphanie. Avec eux, Bajoues Profondes et Jean-Paul que mes lecteurs connaissent bien. Invité lui-aussi, Jacques des Lombards me présenta Circuit 24, un ancien pilote automobile amateur de jazz retombé en enfance. Héritant de la fève, Jean-Paul s’empara de la couronne. Il apportait “Bitches”, le nouveau disque de Nicholas Payton que Philippe Etheldrède également présent s’est empressé de diffuser dans Jazz à Fip. Surprise, le trompettiste de la Nouvelle-Orléans remplit sa musique de soul, chante, joue tous les instruments et offre à Esperanza Spalding et à Cassandra Wilson de belles parties vocales. « On dirait un disque de Stevie Wonder » s’exclama Madame Michu qui nous sortit d’un placard “Fulfillingness’ First Finale”, l’un des grands opus de Stevie. Circuit 24 qui s’était jusque-là contenté de reproduire des bruits de moteur avec sa bouche exhiba alors de son blouson d’aviateur “Black Radio”, nouvel opus du pianiste Robert Glasper qui mêle allègrement soul, hip hop, et même rap, dans un festival de couleurs et de rythmes. Ces deux disques, Frédéric Goaty les chronique dans le nouveau Jazz Magazine / Jazzman. Bien vu Fred ! Ragaillardi par cette soul music festive, le couple Michu accompagné de Jean-Paul s’est finalement déplacé au concert privé que donnait Herbie Hancock à l’UNESCO le 30 janvier, pour lancer les célébrations du quarantième anniversaire de la Convention du patrimoine mondial. Le pianiste en profita pour confirmer la date de la première Journée Internationale du Jazz, le 27 avril, sous l’égide de cette institution. Accompagné par la craquante Esperanza Spalding à la contrebasse, une vraie musicienne, Herbie joua How Deep is the Ocean, River de Joni Mitchell, Maiden Voyage et Cantaloupe Island. Une prestation un peu gâchée par un batteur people qui, incapable de bien jouer cette musique, de tenir les bons rythmes, la surchargea de coups de baguettes inutiles.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Mark Murphy au New Morning le 2 avec un trio, piano / contrebasse / batterie pour l’accompagner. Je ne peux vous communiquer leurs noms, le site du New Morning ne donnant pas d’autres indications sur ce concert. Plus très jeune, il aura 80 ans le 14 mars prochain et, malgré une voix moins assurée, reste l’un des grands chanteurs de jazz des années 60. Développant une technique d’improvisation très personnelle, il se montra le digne héritier de King Pleasure et d’Eddie Jefferson. Pour vous convaincre, écoutez “Rah” (1961) arrangé par Ernie Wilkins et “Midnight Mood” (1967) superbement arrangé par Francy Boland, deux de ses meilleurs opus.
-Musicien sincère et attachant, Thomas Enhco prend le temps de peaufiner son art pianistique. Le Sunside l’accueille le 2 et le 3 avec son trio, Chris Jennings à la basse et Nicolas Charlier à la batterie. Merci à Stéphane Portet qui nous permet de l’entendre souvent. Bientôt, de grandes salles plébisciteront un pianiste reconnu à sa juste valeur. Son prochain disque risque de surprendre. Normal, Thomas n’a-t-il pas surpris le jury du dernier Concours de Piano Jazz Martial Solal qui, enthousiaste, l’a gratifié du troisième prix ?
-Nourrie aux sources du gospel et du blues, Sylvia Howard, excellente chanteuse d’Indianapolis installée à Paris depuis plusieurs années, a rejoint il y a quelques mois le Black Label Swingtet qu’anime Christian Bonnet au saxophone ténor. Avec lui Georges Dersy à la trompette, Jean- Sylvain Bourgenot au trombone, Antoine Chaudron également au ténor, Jacques Carquillat au piano, Jean de Parseval à la basse électrique et Alain Chaudron à la batterie. La formation se produira le 3 au Petit Journal Montparnasse. Au programme, des standards, du swing, une musique généreuse et audible que le couple Michu applaudit des deux mains.
-Les pianistes Vijay Iyer et Craig Taborn en duo le 4 dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Saint-Mandé (16 heures) dans le cadre du Festival Sons d’Hiver. L’un comme l’autre a un remarquable album solo à son actif. Vijay Iyer aime les notes tumultueuses, les accords dissonants. L’univers sonore de Craig Taborn est également abstrait, mais ses improvisations peuvent se faire rêveuses et romantiques. Pas évident pour deux pianistes de jouer ensemble, de faire naître une seule musique lorsqu’on ne pratique pas le même piano. Les deux hommes ont joué dans l’orchestre de Roscoe Mitchell et leur duo laisse espérer tous les possibles.
-Ne manquez surtout pas le quartette de Tord Gustavsen au Sunside les 4 et 5 février. Son piano trempé dans le blues, Tord publie un 5ème enregistrement sur ECM, “The Well”, un florilège de mélodies simples influencées par les vieux hymnes protestants des pays scandinaves. A son trio habituel, Mats Eilertsen (contrebasse) et Jarle Vespestad (batterie) s’ajoute Tore Brunberg dont le saxophone ténor sonne un peu comme celui de Jan Garbarek, Tore ayant comme lui une approche mélodique de l’instrument. On lira la chronique de l’album dans le Jazz Magazine / Jazzman de février qui vient de paraître, un Choc assurément.
-Seconde partie de la conférence de Philippe Baudoin consacrée aux mystères des compositions ellingtoniennes au Collège des Bernardins le 6 à 19h00. En date du 7 février 2011, la précédente s’était révélée passionnante. Sérieux, érudit, mais surtout clair dans ses explications, Philippe connaît à fond son sujet. On se précipitera
-Mark Turner, le saxophoniste de Fly dont on attend le nouvel album en avril, au Duc des Lombards le 6 et le 7 à la tête d’un quartette inédit. Outre Joe Martin à la contrebasse (il accueille Brad Mehldau et Chris Potter dans son dernier disque “Not By Chance”) et Marcus Gilmore le batteur du trio de Vijay Iyer, le saxophoniste a choisi de dialoguer avec Avishaï Cohen, un trompettiste de haute volée membre du fameux S.F. Jazz Collective. N’hésitez pas à vous déplacer pour découvrir le jazz moderne et inventif de ces quatre musiciens qui excellent dans l’échange.
-Ahmad Jamal au Théâtre du Châtelet le 9. Avec Reginald Veal (contrebasse), Herlin Riley (batterie) et Manolo Badrena (percussions), le pianiste vient jouer “Blue Moon” (Jazz Village), son nouvel album paru deux jours plus tôt. On ne présente plus cette légende vivante qui en 1951 fonda le trio qui le rendit célèbre. Aujourd’hui âgé de 81 ans, Ahmad reste un sage dont la modernité de la musique ne cesse d’étonner. Très réussi, son nouvel opus renferme quelques standards qu’il interprète à sa manière sur une trame harmonique et rythmique qui est sa marque de fabrique, mais aussi des compositions nouvelles au sein desquelles le funk est plus marqué que d’habitude. Le grand changement reste toutefois le départ de James Cammack remplacé par Reginald Veal après vingt-sept ans de bons et loyaux services. Enrichie par une tension, un mouvement permanent, la musique d’Ahmad Jamal conserve intacte sa fraîcheur.
-Alexis Tcholakian au Sunside le 15 avec Felipe Cabrera à la contrebasse et Lukmil Perez à la batterie dans un programme consacré aux compositions de Michel Petrucciani. Pianiste secret aux harmonies raffinées et élégantes, Alexis s’inspire beaucoup de Bill Evans dont la musique transparaît dans son jeu de piano. Michel appréciait beaucoup Bill. Dédié à ce dernier, son disque “Oracle’s Destiny” en témoigne plus spécialement. Reprendre le répertoire de Petrucciani c’est se rapprocher d’Evans, relier entre-elles des musiques qui se suivent et se nourrissent mutuellement.
-Après s’être produit au Duc en février 2011, Steve Kuhn nous rend à nouveau visite, le New Morning l’accueillant le 14 en quartette. Il retrouve David Finck son bassiste habituel – Dean Johnson le remplaçait l’an dernier – , conserve Joey Baron son batteur et s’adjoint Donny McCaslin au saxophone. Influencé par Bud Powell et Bill Evans, Kuhn peut aussi bien jouer un piano aux harmonies ancrées dans la tradition du bop que du jazz modal. Son jeu lyrique ressemble alors à celui de McCoy Tyner. Il rend d’ailleurs hommage à John Coltrane dont il fut quelques mois le pianiste dans son dernier enregistrement pour ECM (“Mostly Coltrane”, 2009). CONCERT ANNULÉ
-Jim McNeely ne vient pas non plus très souvent. La dernière fois c’était en mars 2009 au Sunside, club qu’il retrouve le 15 au sein d’un trio comprenant Ariel Tessier à la batterie et son complice Riccardo Del Fra à la contrebasse. Ce dernier l’avait alors invité à animer une master class au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (cnsmdp) qu’il dirige. Remarquable pianiste privilégiant les lignes mélodiques qu’il aime fluides et aérées, McNeely est aussi un arrangeur qui travaille depuis quelques années avec de grands orchestres européens. Il fut le pianiste du Thad Jones / Mel Lewis big band, de Stan Getz et de Phil Woods. Autant de bonnes raisons de venir l’écouter.
-Au croisement du jazz et d’autres musiques, Benoît Delbecq est un des rares pianistes à posséder un langage original. Adepte du piano préparé, créateur de sons et d’univers sonores, il ne joue quasiment jamais de standards, préférant improviser une musique neuve dont les points d’ancrage avec l’Afrique sont nettement perceptibles. Enregistré en sextette “Crescendo in Duke” son nouveau disque est pourtant entièrement consacré à Duke Ellington. Il en jouera la musique le 16 au Théâtre Antoine Vitez d’Ivry dans le cadre du Festival Sons d’Hiver. Avec lui, les musiciens de l’album, trois souffleurs Tony Coe, Tony Malaby et Antonin Tri-Hoang (saxophones et clarinettes basse) auxquels s’ajoutent deux compagnons de longue date, Jean-Jacques Avenel (contrebasse) et Steve Argüelles (batterie et électroniques).
-Thelonious Monk nous a quitté il y a 30 ans, le 17 février 1982. Du 17 au 22, le Sunside le fête en invitant des pianistes à jouer sa musique. Bobby Few l’a connu, comme Steve Lacy également disparu dont il fut le pianiste. En trio avec Harry Schwift (contrebasse) et Ichiro Inoe (batterie), il ouvre le 17 cette nouvelle série de concerts. Le 18, c’est au tour de Laurent de Wilde de jouer Monk avec Bruno Rousselet (contrebasse) et Philippe Garcia (batterie). Laurent Coq leur succède le 21, Yoni Zelnik (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie) complétant son trio. Alain Jean-Marie prend la suite en quartette avec Pierrick Pedron (saxophone alto), Gilles Naturel (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie).
-Saxophoniste, Bennie Maupin joue du ténor et du soprano, mais aussi de la flûte, de la clarinette et de la clarinette basse. C’est sur ce dernier instrument que l’on peut l’entendre dans “Bitches Brew”, l’un des disques phares de Miles Davis. Rejoignant Herbie Hancock au début des années 70, il participa à son sextet électrique puis à ses Headhunters avec lesquels le pianiste connut un grand succès. Ce dernier joue des claviers dans “The Jewel in the Lotus” (1974), un des rares disques que Maupin publia sous son nom. Il sera au Duc des Lombards les 24 et 25 avec Hanka Rybka (chant), Michal Tokaj (piano), Michal Baranski (contrebasse) et Lukasz Zyta (batterie et percussions).
- Membre du groupe de Miguel Zenón qu’il accompagne dans son récent “Alma Adentro : the Puerto Rican Songbook”, Luis Perdomo est aussi le pianiste de Ravi Coltrane qui vient de produire “Universal Mind” son quatrième disque, en trio avec Drew Gress et Jack DeJohnette, musiciens très stimulants. Perdomo sera au Sunside le 28 pour jouer ce nouvel opus. Avec lui les membres de son trio habituel, Hans Glawischnig à la contrebasse et Jonathan Blake à la batterie, ce qui n’est presque pas plus mal.
-New Morning : www.newmorning.com
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Le Petit Journal Montparnasse : www.petitjournalmontparnasse.com
-Sons d’hiver : www.sonsdhiver.org
-Collège des Bernardins : www.collegedesbernardins.fr
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com
CREDIT PHOTOS : Bandeau : "Intimacy", peinture de Thomas Blackshear - Mark Murphy © Mitja Arzensek - Tord Gustavsen Quartet © Hans Fredrik Asbjørnsen - Ahmad Jamal © Jacques Beneich - Benoît Delbecq Sextet © Igor Juget - Bobby Few © Juan Carlos Hernandez - Bennie Maupin © Philippe Etheldrède - Thomas Enhco, Mark Turner, Steve Kuhn, Jim McNeely, Riccardo Del Fra © Pierre de Chocqueuse - Vijay Iyer & Craig Taborn, Duke Ellington, Alexis Tcholakian, Luis Perdromo © X/D.R.