Trois ans après “River, The Joni Letters“, disque consacré à Joni Mitchell pour lequel il obtint le Grammy Award du meilleur album de l’année 2007, Herbie Hancock, 70 ans, est de retour avec un projet très tendance dont je doute qu’il fera l’unanimité de la critique. Produit par Larry Klein qui joue de la basse ou des claviers dans de nombreux morceaux, “The Imagine Project“ a été enregistré aux quatre coins de la planète, et ce pendant plus d’un an avec des musiciens de cultures très différentes. Les improvisations d’Herbie au piano acoustique assurent le lien, mais n’ancrent pas pour autant dans le jazz les musiques des pays visités. Comme “Possibilities“ en 2005 (dix chansons et autant de vocalistes), l’album accorde beaucoup de place aux voix et rassemble des vedettes qui ne sont pas des chanteurs et des chanteuses de jazz. Herbie ne signe aucune composition nouvelle, mais reprend des chansons engagées ou parlantes de John Lennon (le fameux Imagine qui donne son nom à l’album), Peter Gabriel, Bob Dylan,Bob Marley, Sam Cooke et les confie à des stars du rock et de la soul pour la plupart impliquées dans des œuvres humanitaires. A travers elles, le pianiste a un message de paix à faire passer et tend la main à l’autre.
Imagine ouvre l’album et débute par une très belle introduction en solo, mais très vite, la mélodie hérite de rythmes chaloupés et perd de sa fraîcheur initiale. Konono N°1, un célèbre orchestre de Kinshasa, l’africanise. La malienne Oumou Sangaré et la chanteuse américaine de néo-soul India.Arie assurent les voix. Lionel Loueke et Jeff Beck se partagent les guitares. On peut ne pas adhérer à ce grand déballage de rythmes et de couleurs que l’on trouve aussi dans Tamatant Tilay/Exodus, un medley au beat très solide qui réunit le chanteur canadien d’origine malienne K’naan, le groupe Tex-Mex américain Los Lobos et les musiciens touaregs de Tinariwen pour un résultat quelque peu mitigé. C’est d’ailleurs un des rares morceaux dans lequel Herbie Hancock délaisse son piano acoustique. L’autre est Tomorrow Never Knows, un des titres de “Revolver“, célébrissime album des Beatles. La magie de l’original y a complètement disparu.
Joliment chanté par Céu, Tempo de Amor fonctionne mieux, de même que La Tierra enregistré avec le chanteur colombien Juanes très populaire en Amérique Latine. Don’t Give Up est également de bonne facture. Alecia Beth Moore alias Pink, chanteuse de pop rock qui a vendu 35 millions d’albums, et John Legend dont la musique mêle habituellement gospel, hip-hop et rhythm’n’blues se chargent des parties vocales. Leur version ne nous fait toutefois pas oublier celle que Kate Bush et Peter Gabriel enregistrèrent en 1986. Dans un tout autre genre, Space Captain vaut surtout pour le duo piano guitare (celle de Derek Trucks) qu’il contient. Enregistré en Inde, tentative de fusion entre la musique indienne et le jazz, The Song Goes On accorde trop de place aux voix (K.S. Chithra et Chaka Khan) au détriment des improvisations qu’on aurait souhaitées plus longues. Menées tablas et tambours battant, ces dernières réservent des dialogues étonnants entre Wayne Shorter au soprano et Anoushka Shankar (une des filles de Ravi) au sitar, Herbie sublime, arbitrant au piano.
Enregistré à Dublin, The Times, They Are A Changin’ est une des grandes réussites de cet album. On y découvre une chanteuse émouvante Lisa Hannigan. L’instrumentation fournit par les Chieftains donne à cette ballade un aspect irlandais, mais la kora de Toumani Diabete introduit d’autres sonorités, ouvre les portes d’un monde sonore dans lequel se glisse la guitare si personnelle de Lionel Loueke pour répondre au piano et provoquer l’échange. Autre relecture à marquer d’une pierre blanche, celle de A Change Is Gonna Come de Sam Cooke confiée au chanteur britannique James Morrison. Sa voix grave et puissante ne laisse pas insensible - celles que l’on entend brièvement à la reprise sont également les siennes. Autour de lui un orchestre réduit : Dean Parks à la guitare, Tal Wilkenfeld à la basse, Vinnie Colaiuta à la batterie (il joue dans la plupart des morceaux)... Herbie Hancock réserve à ce grand moment de soul ses plus belles harmonies dans une improvisation de plus de cinq minutes. Du jazz enfin me direz-vous. Certes, mais comment ne pas se laisser séduire par les nombreux bons moments que réserve cet album, la haute tenue de ses parties instrumentales ? A défaut de mettre tout le monde d’accord, un merveilleux piano chante constamment et fait entendre une petite voix intérieure qui le rend plus beau et plus précieux que beaucoup d’autres.
Accompagné par Lionel Loueke (guitare), Greg Phillinganes (claviers), Tal Wilkenfeld (basse) et Vinnie Colaiuta (batterie), Herbie Hancock sera au Festival de Jazz à Sète le 12 juillet, à Montreux (Suisse) le 16 juillet, et au Nice Jazz Festival le 21 juillet.
Photos © Douglas Kirkland / Sony Music