Amphibiens urodèles qui peuplent les lacs du Mexique depuis cinq cent millions d’années, les axolotls me fascinent depuis longtemps. J’ai fait leur connaissance dans “Les armes secrètes”, un recueil de nouvelles de Julio Cortázar. L’une d’entre-elles s’intitule Axolotl. C’est la plus courte du livre, sept pages qu’il m’a été impossible d’oublier. Une amie connaissait ces batraciens translucides d’une quinzaine de centimètres aux yeux grands comme des têtes d’épingle et les appréciait énormément. L’aquarium du Trocadéro en renfermait des spécimens. Elle m’amena les voir. Nous collions nos visages contre la vitre, tout en nous gardant bien de nous transformer en axolotl comme le narrateur de la nouvelle. Le petit animal ressurgit dans ma vie en 2006. Pour Jazzman, Alex Dutilh m’avait confié la chronique d’“Intense”, un disque de Patrick Favre labellisé AxolOtljazz. Jean-Louis Wiart, le producteur de l'album, les avait lui aussi rencontrés dans la nouvelle homonyme de Cortázar. Nous étions fait pour nous entendre. Grand lecteur, cinéphile impénitent, amateur de jazz et de musique classique, cet homme cultivé et érudit est aussi une grande plume. Ses articles dans Les Allumés du Jazz m’enchantent. Il vient de publier De l’axolotl dans La Revue Littéraire (n°52, février-mars 2012), une vingtaine de pages pour tâcher de faire connaître l’Ambystoma mexicanum que Cortázar découvrit au Jardin des Plantes.
Comme Jean-Louis Wiart le précise, le mot axolotl est lui-même musical. On comprend mieux l’attrait qu’exerce sa sonorité sur certains mélomanes. Sa prononciation impose un placement singulier de la langue, et à la faire claquer derrière les dents. Comme peyotl, le mot provient du nahuatl, la langue des Aztèques, et signifie « chien d’eau ». Le second chapitre de cette monographie romancée – son auteur la décrit ainsi – nous l’apprend. Le troisième aborde la symbolique de l’animal, pauvre si on la compare à celle d’un autre reptile amphibien, la Salamandra maculata dont l’espèce est commune en Europe. Bien que l’ancienne symbolique chrétienne en fait l’antithèse du griffon, la salamandre n’est pas bien vue au Moyen-Âge. Dans son “Bestiaire Divin”, Guillaume de Normandie accuse l’animal d’empoisonner l’eau des puits et des fontaines dans lesquels il plonge, de corrompre les arbres sur lesquels il grimpe. Ses propriétés merveilleuses ont été beaucoup exagérées depuis l’Antiquité. Dans le livre X de son “Histoire Naturelle”, Pline prétend que la salamandre « est tellement froide qu’elle éteint le feu par son contact, comme ferait la glace. »
L’Axolotl n’a pas ces vertus. On lui en prête d’autres, notamment la faculté de se transformer. Selon la légende, le dieu Xolotl serait devenu axolotl par métamorphoses successives. Plus réservés, voire sceptiques, les scientifiques n’ont pu empêcher les écrivains d’en faire des animaux magiques. André Breton les dit porteurs de souliers bleus. Il les a examinés de près, les pêchant au Mexique avec Trotsky. Le cinéaste suisse amphibien Alain Tanner a intitulé un de ses films “La Salamandre”. L’action se passe à Genève, en Suisse « pays de lacs » rappelle l’auteur. De Tanner également, mais tourné à Lisbonne « ville de Fernando Pessoa, de fait axolotl lui-même puisque grand spécialiste des identités multiples » indique Wiart, “Dans la ville blanche” contient des allusions directes à l’animal qui nous préoccupe. Trouve-t-on des axolotls chez les jazzmen ? Si l’on tient compte des nombreuses transformations de sa musique, Miles Davis faisait partie de la famille bien que les photos faites par Irving Penn pour la pochette de “Tutu” montrent davantage un vieux crocodile que notre cher batracien. Les utilisateurs d’instruments à vent seront heureux d’apprendre qu’il existe un sirop d’axolotl réputé soigner les affections pulmonaires. Jean-Louis Wiart serait aussi apothicaire. Je vous conseille vivement de lire ses pages, de suivre ses conseils. On n'est jamais assez prudent !
La Revue Littéraire n°52, février-mars 2012, Éditions Léo Scheer.
André Breton et Trotsky à la pêche aux axolotls (1938) © Fritz Bach