Janvier : un mois froid, un calme difficile à supporter après les lumières des fêtes. La ville repose, fatiguée par ses nuits de veille. Très pieux, Jean-Paul tenait le rôle de Saint Joseph dans la crèche vivante de la paroisse des Saints Innocents. L’un des trois Rois Mages, son ami l’embaumeur, matait curieusement l’Enfant Jésus emmailloté de ses langes. Le lendemain de Noël, Jean-Paul a pris un vol pour le Japon d’où il vient de me faire parvenir ses voeux. Un yakusa richissime a accepté de lui vendre quelques vinyles qui manquent à sa collection. Il profite pleinement de son séjour et passe ses nuits dans les clubs de Tokyo. Paris n’est pas si remuante en janvier. Les disques se font rares et les concerts évènements sont moins nombreux que d’habitude. Celui que donne Patrick Favre au Sunside est pourtant une rare occasion d’entendre le pianiste dans une salle parisienne et, du 4 au 31 janvier, le Duc des Lombards invite à se produire quelques-uns de nos meilleurs jazzmen français. A l’est de la capitale, dans le Val-de-Marne, Sons d’hiver fête 20 ans de concerts. Entre free, afro-beat, rap et musiques improvisées, le festival a la bonne idée de faire venir les pianistes Marilyn Crispell et Geri Allen. Je viens d’apprendre en écoutant la radio que Michel P. 66 ans est l’heureux papa d’un divin enfant né dans une baignoire d’eau chaude. Jean-Paul l’aurait bien remplie de whisky, mais je ne vais pas vous révéler ici ses petits travers. Se geler plusieurs heures dans une crèche vivante mérite le respect.
Thomas de Pourquery également. Emu par l’état de son père qui depuis cinq ans développe une maladie neurodégénérative, le saxophoniste organise entre janvier et avril 2011 le premier Brain Festival dont le but est de réunir des fonds pour l’association Neuroligue qui effectue des recherches pour guérir ces maladies dont on ignore les causes. Parrainé par Louis Sclavis, Henri Texier, Andy Emler, Médéric Collignon, François Morel et beaucoup d'autres, le festival démarre le 6 janvier 2011 au Studio de l'Ermitage avec Elise Caron & Denis Chouillet et le MegaOctet d’Andy Emler. Le concert de clôture est un bal qu’offre le 2 avril le Surnatural Orchestra. Tous les musiciens et orchestres participants reverseront à l’association le montant du cachet d'un concert de leur choix. Programmation complète sur www.thebrainfestival.com
P.-S./ Est-il besoin de préciser que Michel P. l’heureux papa est Michel Polnareff.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Outre Elise Caron et le MegaOctet au studio de l’Ermitage le 6, Laurent de Wilde s’installe au Sunside les 6 et 7 janvier avec Matthias Allamane à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie. Laurent délaisse parfois le jazz pour explorer de nouveaux sons, confronter son piano à un ordinateur, à un « ordibroyeur » comme il le rappelle avec malice dans les notes de pochette de son dernier disque réalisé avec Otisto. C’est toutefois lorsqu’il joue du jazz acoustique en trio que Laurent impressionne le plus. Il possède un goût très sûr et sa riche palette harmonique comble tout amateur de beau piano.
-J’ai déjà noté la date du 7 janvier dans mon nouvel agenda. Ping Machine se produit ce soir-là au Studio de l’Ermitage. Confié au guitariste Frédéric Maurin, ce big band fait des étincelles. Il comprend de bons solistes et une sonorité d’ensemble dont bénéficient les compositions du leader. Il a souvent occupé la scène de l’Olympic Café l’an dernier et entreprend une tournée dans l’hexagone avant l’enregistrement en Allemagne d’un second album. Le pianiste Benjamin Moussay et son trio - Arnaud Cuisinier à la contrebasse et Eric Echampard à la batterie - complètent la soirée. - Toujours le 7, mais aussi le 8, le Duc des Lombards accueille le trio du contrebassiste Jean-Philippe Viret avec Edouard Ferlet au piano et Fabrice Moreau à la batterie. Leur dernier album s’intitule “Pour”. Sa finesse, l’élégance des compositions nous le fait totalement approuver.
-Le 10 au Sunside, Alexandre Saada présente son dernier album, un enregistrement de pièces en solo délicatement ciselées qui ouvrent des portes sur des paysages oniriques. Avec “Present”, le pianiste revient à un jazz acoustique au sein duquel se révèle sa sensibilité, son goût pour l’harmonie et l’improvisation. Il possède un solide bagage technique acquis auprès du pianiste et compositeur argentin Carlos Roque Alsina. Philippe Baden Powell le rejoindra pour un second set plus brésilien, Fender Rhodes et piano se voyant conviés à la fête.
-Le big band de Jean-Loup Longnon c’est un peu le soleil de juillet qui rend visite au cœur de l’hiver. On ne sait trop comment les dix-sept musiciens pourront tous tenir sur la scène du Duc des Lombards le 10, mais Jean-Loup est capable de diriger sa formation derrière le bar, de mettre le swing à ébullition à distance. Pas besoin de micro pour sa voix puissante, presque un porte-voix Attention aux verres lorsqu’il soufflera dans sa trompette ! Trompettes, trombones, anches croisent leurs lignes mélodiques, jouent une musique festive et mettent les solistes en valeur.
-Thomas Enhco au Duc des Lombards le 12 avec Chris Jennings à la contrebasse et Nicolas Charlier à la batterie. Troisième lauréat du récent concours Martial Solal, le jeune pianiste défend un jazz mélodique qui reste ancré dans la tradition des maîtres du genre. Il possède un impressionnant bagage technique et étonne par sa connaissance du bop, sa capacité à faire chanter ses phrases, à peindre de délicats paysages harmoniques. En attendant un nouvel enregistrement en fin d’année (son précédent, “Someday My Prince Will Come” date de janvier 2009), on ne manquera pas d’aller écouter son piano prometteur en concert.
-Auteur de trois disques magnifiques en trio, l’avignonnais Patrick Favre joue trop rarement à Paris. Le Sunside l’accueille avec son trio le 20 janvier. On s’y précipitera pour découvrir et écouter la musique intimiste et profonde d’un pianiste exigeant et sensible. Patrick place le son, la mélodie, l'harmonie au coeur de son travail, de ses préoccupations esthétiques. Ses musiciens, Gildas Boclé à la contrebasse et Karl Jannuska la batterie, approfondissent avec lui sa quête mélodique, offrent un contrepoint pertinent et fluide à ses improvisations modales. Patrick organise ainsi les notes du rêve, joue peu d’accords, mais en explore toute la richesse.
-Nicolas Folmer se produit régulièrement au Duc des Lombards avec son orchestre. Après y avoir enregistré en 2009 un album avec le saxophoniste Bob Mintzer, le trompettiste convie Daniel Humair à ses agapes jazzistiques le 21. Le batteur aime rencontrer des musiciens qui le stimulent et la grande technique que possède Folmer lui permet de jouer un bop moderne et virtuose au sein duquel l’imprévu tient une large place. Alfio Origlio au piano et Jérôme Regard à la contrebasse complètent la section rythmique.
- Le même soir, mais aussi le 22, Manuel Rocheman occupe le Sunside avec Mathias Allamane à la contrebasse et Matthieu Chazarenc à la batterie. Ceux d’entre-vous qui ont assisté au concert que le pianiste donna récemment Salle Gaveau ne doutent pas de sa grande forme. Ce grand technicien du piano n’hésite pas à improviser, à raconter de longues histoires dans lesquelles se manifestent son souci de la forme et une sensibilité qu’il n’hésite plus à exprimer.
-Après un concert triomphal au Sunside en novembre, Edouard Bineau investit le Duc le 24. Le dernier disque du pianiste séduit un large public et accumule les récompenses. Choc Jazz Magazine / Jazzman de l’année 2010, “Wared” Quartet est aussi l’un des douze albums primés dans ce blog. Plus musclée et binaire que celle qu’il joue d’habitude en trio, la musique du pianiste bénéficie de l’énergie que Daniel Erdmann lui apporte. Saxophoniste puissant, ce dernier souffle des notes brûlantes avec une sonorité aussi énorme que personnelle. Certains morceaux bénéficient de l’alto de Sébastien Texier et autorisent de passionnants dialogues de saxophones. Le contrebassiste Gildas Boclé assure d’admirables chorus à l’archet et Arnaud Lechantre rythme avec à propos une musique lyrique inspirée par le blues.
-Ceux qui auront manqué le Nagual Orchestra à l’Âge d’Or le jeudi 19 (le quintette s’y produit les troisième jeudi de chaque mois à 20h30), pourront les écouter au Sunside le 26. Vainqueur des Trophées du Sunside en 2009, la formation de Mathieu Bloch prépare un nouvel album que nos oreilles impatientes réclament déjà. Florent Hubert (saxophone ténor et clarinette), Olivier Laisney (trompette), Alexis Pivot (piano) et David Georgelet (batterie) entourent la contrebasse de Mathieu, qui organise, cimente et rythme les inventions du groupe.
-Parmi les concerts que programme le festival Sons d’Hiver, relevons celui que donnera en solo le 25 à Arcueil (espace Jean Vilar) Marilyn Crispell. Grâce à son grand sens de la forme, la pianiste parvient à rendre lyriques ses phrases souvent abstraites, à faire chanter et respirer un piano tumultueux, une musique ancrée dans une esthétique free que tempère le silence. - L’ONJ au théâtre du Châtelet le même soir (20h30) dans deux programmes : “Shut Up and Dance” avec une chorégraphie de Blanca Li et “Broadway in Satin” consacré à Billie Holiday avec Sandra Nkaké et John Greaves en invités.
-N’oublions pas la leçon de jazz qu’Antoine Hervé donne une fois par mois à l’auditorium Saint-Germain aka (also known as) la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs. Le 28, Oncle Antoine nous raconte la belle histoire de Charlie Parker, l’étoile filante du be-bop. Au saxophone alto, Pierrick Pedron se glissera dans la peau de l’improvisateur virtuose qui renouvela le langage du jazz.
-Autre concert "Sons d’Hiver" à ne pas manquer, celui que donne Geri Allen et son groupe Timeline le 28 au théâtre Paul Eluard de Choisy-Le-Roi. Outre un magnifique album en solo chroniqué dans ce blog, la pianiste de Détroit a publié cette année un enregistrement live avec cette formation associant les rythmes d’un danseur de claquettes (Maurice Chestnut) aux musiciens de son trio, Kenny Davis à la contrebasse et Kassa Overall à la batterie. Débordant d’idées mélodiques Allen, lyrique, virtuose et impétueuse fait sonner son instrument comme les cloches de Notre-Dame.
-Le roi René Urtreger au Duc des Lombards les 28 et 29 pour une cure salvatrice d’un bop allègre et intemporel. Ecouter le pianiste fait du bien, réchauffe nos vieux os refroidis par l’hiver. Il est un peu chez lui au Duc, tout comme les musiciens qui l’entourent. Eric Dervieu rythme ses musiques depuis de longues années. Mauro Gargano joue une contrebasse très musicale et assure avec ce dernier des tempos très solides. Au saxophone alto et à la flûte, Hervé Meschinet introduit des couleurs au sein d’un discours musical constamment irrigué par le swing. Sylvain Gontard remplace Nicolas Folmer à la trompette, mais la musique n’en reste pas moins tout aussi vivante et recommandable.
- Marc Copland occupe le Sunside les mêmes soirs (28 et 29 janvier). Nuançant constamment sa musique par un jeu de pédales très sophistiqué, le pianiste donne de l’importance à la couleur et à la dynamique de ses notes et joue un piano qui ne ressemble pas aux autres. Il se produit souvent dans mon club préféré de la rue des Lombards et aime faire chanter son instrument avec divers trios. Billy Hart (batterie) et Riccardo Del Fra (contrebasse) comptent parmi les accompagnateurs qu’il apprécie. On a entendu Marc et Billy cet été aux arènes de Montmartre au sein du groupe Contact. Il y a un an, le pianiste et Riccardo jouaient en duo dans ce même club. L’union fait la force et celle des trois hommes ne peut que générer de l’excellente musique.
- Toujours le 28 et le 29, mais aussi le 30, Aldo Romano retrouve Henri Texier, Géraldine Laurent et Fabrizio Bosso au Sunset pour célébrer la musique de Don Cherry. Leur répertoire comprend également des compositions d’Ornette Coleman. Pour vous donner une idée de la musique brûlante et virevoltante que joue le quartette, écoutez “Complete Communion to Don Cherry”, album publié il y a quelques mois chez Dreyfus.
-Né à Clamart de parents camerounais, le saxophoniste Jean-Jacques Elangué joue souvent au Baiser Salé. Son quartette Shades of Ouïdah comprend Alain Jean-Marie au piano Daryl Hall à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie. Tom McClung est le pianiste d’Archie Shepp. Les deux hommes ont enregistré en décembre 2009 au studio de Meudon “This is You” (Blang Music), album dans lequel ils dialoguent avec lyrisme, créent un jazz particulièrement inventif, signent de bonnes compositions originales et nous offrent une poignante version de Fleurette Africaine d’Ellington. Ils se produisent en duo au Sunside le 31 janvier. On ne manquera pas leurs échanges musicaux, conversation amicale pesant son poids de notes.
-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : http://www.ducdeslombards.com
-L’Âge d’Or : www.lagedorparis.com
-Festival Sons d’hiver : www.sonsd’hiver.org
-Théâtre du Châtelet :www.chatelet-theatre.com
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
Photos : Laurent de Wilde, Alexandre Saada, Nicolas Folmer, Manuel Rocheman, Mathieu Bloch, Antoine Hervé, Marc Copland & Riccardo Del Fra © Pierre de Chocqueuse – Jean-Loup Longnon, Thomas Enhco, René Urtreger © Philippe Marchin - Patrick Favre © Ivan Da Silva - Edouard Bineau © Didier Gerardin - Marilyn Crispell © Roberto Masotti / ECM - Geri Allen © Motema Records - Tom McClung & Jean-Jacques Elangué © Sarah Leguern