Juillet : les grandes villes se vident pour se remplir de touristes en ce mois estival qui voit fleurir les autocars bondés, les plages de sables improvisées et les embouteillages. Hier encore, le rire jusqu’aux oreilles, le vacancier plongeait joyeusement dans les vagues de la grande bleue, chevauchait fièrement le canard plastifié de sa progéniture ou choisissait la campagne et les bains de rivière dans lesquelles, rouges de confusion, barbotaient des écrevisses. Les mollets léchés par le soleil, le visage visité par des mouches insolentes, notre promeneur de grands chemins goûtait l’air pur de paysages peu fréquentés par ses semblables, l’homo sapiens s’y faisant plus rare que le papillon virevoltant et la coccinelle porte bonheur, la rhyzobius forestieri aux pattes recouvertes de petits poils qui lui permettent de se protéger du froid en hiver. Hier donc, le citadin prenait ses vacances dans des verts pâturages, des montagnes, ou au bord des mers de nos terres nourricières. Il les passe aujourd’hui dans d’énormes festivals, rassemblements de vedettes qui remplissent arènes, chapiteaux et pinèdes. Appréciant le jazz qui ressemble à du jazz, Monsieur Michu déplore ces réunions bruyantes qui s’ouvrent aujourd’hui à des musiques faciles et populaires. Les jazzmen n’y ont leur place que s’ils vendent des disques, bons ou mauvais, la valeur de leur musique restant secondaire dans ces vastes rassemblements où, effrayés, les oiseaux peinent à chanter, les abeilles à butiner. Gourmand, Monsieur Michu préfère téter les mamelles du jazz dans des clubs, des salles de taille moyenne qui offrent leurs chances à de jeunes et talentueux musiciens moins médiatisés. « Nous n’irons pas à New York » clament les Michu, car les jazzmen américains visitent Paris, s’installent en juillet au Duc des Lombards. Au même moment, le New Morning organise un festival « All Stars » et le Sunside propose son American Jazz Festiv’Halles, puis en août, pour la septième année consécutive, son festival Pianissimo. Occasion d’entendre Pierre de Bethmann, René Urtreger, Tony Tixier, Laurent de Wilde, Alain Jean-Marie, Antoine Hervé, Manuel Rocheman, nos meilleurs pianistes. Les Michu ne quitteront donc pas la capitale, préférant attendre octobre pour se rendre au Festival Jazz en Tête de Clermont-Ferrand qui, du 23 au 27, fêtera ses 25 ans d’existence, un festival que fréquentent Jean-Paul, Bajoues Profondes, Jacques des Lombards et tous les mélomanes qui souhaitent écouter du jazz dans un festival de jazz. Les Michu ont également promis à Jacquot de l’emmener à Provins les 28 et 29 septembre assister à la première édition du Provins Duke Festival, premier festival européen dédié à Duke Ellington. C’est l’été, les étoiles du ciel fusent comme des balles de tennis les jours de grands tournois, le bitume ramollit sous les pieds des touristes accablés de chaleur et le parisien disparaît. Ce blog fera de même autour du 20 juillet pour renaître en septembre, s’accorder avec la douceur de l’automne et la rentrée des classes.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Carte blanche à Dan Tepfer au Sunside les 2 et 3 juillet. En trio avec Stéphane Kerecki à la contrebasse et Anne Paceo à la batterie le premier soir, en duo avec le saxophoniste Ben Wendel (Kneebody) le second. Dan a enregistré avec lui un nouvel album qui doit sortir à la rentrée sur Sunnyside. Quant à Stéphane Kerecki, son disque avec le pianiste John Taylor est l’une des réussites de l’an passé. Dan Tepfer aime les rencontres. Excellent accompagnateur – il fait merveille dans l'album qu’il a enregistré avec Lee Konitz - , il s’est forgé son propre vocabulaire harmonique et aime bousculer les tempos trop rigides, truffer ses phrases de dissonances, de notes inattendues. Les standards qu’il reprend provoquent émotion et surprise. Dan est aussi un amoureux de Bach dont il interprète librement les “Variations Goldberg qu’il découvrit jouées par Glenn Gould à l’âge de onze ans.
-Personnage incontournable de la scène musicale néo-orléanaise, Dr John et ses musiciens se produiront à La Cigale le 4, faisant ainsi l’ouverture de la seconde édition du festival « Nous n’irons pas à New York » organisé par le Duc des Lombards. Pianiste, guitariste, chanteur à la voix inimitable, Malcolm John « Mac » Rebennack Jr. fut longtemps un musicien de studio avant de se lancer en 1968 dans une fructueuse carrière solo sous le nom de Dr. John The Night Tripper. Inspiré par l’Afrique, le vaudou, le funk, le rythm’n’ blues, le rock psychédélique “Gris-Gris” fut le premier d’une série d’albums flamboyants enregistrés pour Atlantic. Publié en 1973, produit et arrangé par Allen Toussaint et bénéficiant du soutien instrumental des Meters, l’album “In the Right Place” qui renferme le tube Right Place, Wrong Time, mélange de funk et de dixieland néo-orléanais, le plaça définitivement sur orbite. Après “City that Care Forgot”, disque dans lequel il s’insurge contre l’incurie de l’administration Bush qui n’a rien fait pour aider les victimes de l’ouragan Katrina qui dévasta sa ville en 2008, il sort aujourd’hui un nouvel opus, “Locked Down”, sur Nonesuch Records.
-Après avoir tourné en quartette l’été dernier avec le pianiste Mulgrew Miller, John Scofield a choisi de s’entourer d’un second guitariste, formule qu’il pratiquait naguère avec Mike Stern au sein du groupe de Miles Davis. Nul doute que ses échanges seront fructueux au New Morning le 5 avec Kurt Rosenwinkel. Possédant une sonorité de guitare spécifique, ce dernier fait entendre des intervalles inhabituels et innove sur un plan harmonique. Scofield fait partie des musiciens qui lui ont ouvert les portes du jazz. Il le rejoint au sein d’un nouveau groupe baptisé Hollowbody dont le bassiste n’est autre que son vieux complice Ben Street. Souvent associé à Scofield qu’il assiste dans ses disques, Bill Stewart complète la formation à la batterie.
-Le Fellowship Band du batteur Brian Blade existe depuis une quinzaine d’années, mais ses membres n’ont guère l’occasion de se produire sur scène, de se rassembler pour faire des disques. Très sollicités, Jon Cowherd (piano, claviers électriques, orgue à pompe), Myron Walden (saxophone alto, clarinette basse), Melvin Butler (saxophone ténor), Chris Thomas (contrebasse) et Brian Blade (batterie) ont peu de temps à consacrer à leur groupe. “Season of Changes” date de 2008 et un nouvel album, “Landmarks”, est prévu pour la rentrée. Même sans son guitariste, Kurt Rosenwinkel, on ne manquera donc pas le passage du Fellowship Band au Sunside le 12 et le 13. Sa musique : un habile mélange de jazz, de folk et de soul, Blade appréciant tout autant le jazz improvisé de Wayne Shorter dont il est le batteur que la musique de Joni Mitchell. Cette dernière chante d’ailleurs sur un titre de “Perceptual”, le deuxième album de la formation.
-Carte blanche à Aaron Goldberg au Duc des Lombards du 12 au 14. Le premier soir, le pianiste jouera sa musique avec Matt Penman à la contrebasse et Greg Hutchinson à la batterie. Le 13, le trio deviendra un quartette, Mark Turner le rejoignant au saxophone ténor et à clarinette. Enfin le 14 Guillermo Klein apportera au quatre musiciens les couleurs de ses pianos électriques. Klein et Goldberg ont récemment enregistré ensemble. Leur album s’intitule “Bienestan”. On peut préférer les albums en trio de Goldberg, notamment “Yes ! ” enregistré avec Omer Avital (contrebasse) et Ali Jackson (batterie), un disque dans lequel le pianiste en grande forme privilégie le blues et la tradition, fait chanter ses notes tout en n’oubliant pas d’émouvoir.
-Wilton Felder (saxophone ténor), Wayne Anderson (trombone) et Joe Sample (piano) constituèrent les Jazz Crusadersau début des années 60 avec Jimmy Bond et Stix Hooper, et enregistrèrent sous ce nom leurs meilleurs albums pour le label Pacific Jazz. En 1972, la formation devint les Crusaders, sa musique, un mélange de soul-jazz et de funk, se faisant plus commerciale. Réduit à un trio, le groupe se dissout en 1980 pour ressusciter dix ans plus tard. Aujourd’hui l’aventure continue et passe même par Paris rarement visité. Les Jazz Crusaders seront en effet au New Morning les 16 et 17 juillet pour deux concerts. En quintette, Nick Sample (basse) et Joël Taylor (batterie) complètent une formation que l’on voit peu souvent sur scène.
-Ambose Akinmusire au Sunside le 18 et le 19. Avec lui les membres de son quintette habituel : Walter Smith III au ténor, Sam Harris au piano, Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown à la batterie. Produit par Jason Moran et publié l’an dernier, son album “When The Heart Emerges Glistening” (Blue Note) a obtenu le Grand Prix de l’Académie du Jazz. Depuis longtemps à ses côtés, ses musiciens jouent sans peine une musique présentant de nombreuses difficultés techniques, un jazz moderne imprégné de tradition et de musiques de son temps. Ouvert au hip hop qui nourrit les rythmes de ses compositions et leur donne un groove appréciable, Akinmusire a aussi baigné dans le gospel dès son plus jeune âge. Lauréat en 2007 de la Thelonious Monk Jazz Competition, il fascine par la tendresse de ses ballades, par les délicates phrases mélodiques qu’il cisèle tel un orfèvre. Avec lui le jazz prend des risques, mais se revêt aussi d’habits précieux.
-Wynton Marsalis et le Lincoln Center Orchestra à l’Olympia le 19. Le trompettiste en est le directeur artistique, le dirige et écrit pour lui des partitions. Créé en 1988, l’orchestre a toutefois pour vocation d’interpréter les compositions et arrangements des géants du jazz. Les musiciens du groupe de Marsalis en sont membres et leurs noms nous sont familiers. On retrouve ainsi Walter Blanding aux saxophones ténor et soprano, Dan Nimmer au piano, Carlos Henriquez à la contrebasse et Ali Jackson Jr. à la batterie. Le big band comprend aussi les trompettistes Ryan Kisor et Marcus Printup, le tromboniste Vincent Gardner, les saxophonistes Ted Nash et Victor Goines. Pour cette tournée, le Lincoln Center Orchestra s’offre un chanteur et pas n’importe lequel puisque Grégory Porter partagera la scène avec Wynton et ses musiciens. Un grand concert en perspective.
-Christian Scott au New Morning le 21 avec Matthew Stevens (guitare), Kris Funn (contrebasse), Jamire Williams (batterie), tous trois membres de son quintette. Le pianiste de cette tournée est Fabian Almazan, musicien d’origine cubaine, un ancien élève de Kenny Barron à la Manhattan School of Music. Quant au trompettiste, il vient de sortir “Christian aTunde Adjuah” , un copieux double CD, tant par sa durée que par son contenu, dans lequel il mêle tradition et innovations, explore de nouveaux territoires avec fougue et lyrisme. Son instrument y occupe une place importante. Tuttis acrobatiques, longues phrases tranquilles et mélancoliques évoquant le Miles Davis des années 60, Scott étonne par sa puissance imaginative, son habileté à élargir le jazz en l’ouvrant à d’autres musiques.
-Les occasions d’écouter le pianiste Harold Mabern dans un club parisien se font plus fréquentes depuis 2009. Cette année-là, en juillet, le pianiste se produisit au Duc des Lombards avec le saxophoniste Eric Alexander. Il revint deux ans plus tard, en novembre 2011, mais au Sunside, avec John Weber à la contrebasse et Joe Farnsworth à la batterie qui seront avec lui au Duc le 22. Influencé par Phineas Newbornson mentor auquel il dédia une de ses compositions Blues for Phineas, et par Horace Silver, Mabern, né en 1936, reste une des légendes du piano. Il joue un bop puissant et mélodique, sa main gauche assurant les basses, la droite, fluide, plaquant quantité de notes perlées. Ne dédaignant pas jouer en accords, Mabern tire une grande dynamique d’un instrument avec lequel il forgea sa réputation dans les années hard bop, travaillant avec Miles Davis, Lee Morgan, Freddie Hubbard, Sonny Rollins et d’autres grands du jazz.
-Toujours au Duc des Lombards, on retrouve Harold Mabern et son trio les 24 et 25 au sein du quintette du saxophoniste Bobby Watson que complète l’excellent Jim Rotondi à la trompette. Étudiant théorie et composition à l’Université de Miami, Watson se lia d’amitié avec Pat Metheny et Jaco Pastorius avant de gagner New York et de devenir à 24 ans le directeur musical des Jazz Messengers d’Art Blakey. Très actif dans les années 80, plus discret ces dernières années, il demeure un altiste à la sonorité brûlante, un disciple inspiré de Cannonball Adderley et de Jackie McLean dont il possède la fougue, le fort tempérament.
-On l’a vainement attendu au New Morning en février. Steve Kuhn devait s’y produire en quartette avec le saxophoniste Donny McCaslin. Le Duc des lombards rattrape le coup les 26 et 27, invitant le pianiste avec Steve Swallow qui joue de la basse dans son nouvel album ECM, et Billy Drummond à la batterie. Choc Jazz Magazine / Jazzman en juin, “Wisteria” contient d’anciens morceaux de Kuhn précédemment enregistrés avec des cordes et une superbe composition de Carla Bley, Permanent Wave, que le trio reprendra certainement. Pianiste aux harmonies raffinées, Kuhn peut aussi bien jouer dans la tradition du bop que du jazz modal, Bud Powell et Bill Evans ayant tous deux influencé son piano. Il fut aussi pendant quelques mois le pianiste de John Coltrane auquel il rend hommage dans “Mostly Coltrane”, l’un de ses plus beaux opus.
-Ran Blake et Sara Serpa au Sunside le 27 pour une autre sorte de jazz, plus près du cœur que du swing. Blake fait depuis longtemps entendre un piano unique aux notes sombres et rêveuses. Ses accords parcimonieux, son approche minimaliste de la phrase envoûtent l’auditeur aussi sûrement qu’un hypnotiseur patenté. Certains d’entre-nous se souviennent d’un concert en solo inouï donné au Théâtre du Ranelagh lors de la parution de “Wende”, un de ses plus beaux disques. Ran Blake a toujours aimé travailler avec des chanteuses. Après Jeanne Lee dont il a magnifiquement servi la voix, il met en orbite celle étonnante de Sara Serpa, une portugaise native de Lisbonne qui fut une de ses élèves au New England Conservatory de Boston. Ils ont enregistré un disque ensemble en 2010, “Camera Obscura” . Le piano troue la pénombre et éclaire une voix unique que nous pourrons découvrir en toute intimité.
-Avec Rasul Siddik (trompette), Katy Roberts (piano), Dominique Lemerle (basse) et Ichiro Onoe (batterie), Hal Singer (saxophone ténor) donnera son dernier concert parisien au Sunside le 28. Né à Tulsa (Oklahoma) en 1919, il reste le seul survivant du grand orchestre de Roy Eldridge qu’il rejoignit en 1944. Don Byas, Lucky Millinder, Sir Charles Thompson et Duke Ellington (le temps d’une tournée en 1949) s’attachèrent ses services. Il accompagna aussi Ray Charles, Dinah Washington et Wilson Pickett. Installé en France depuis 1965, il y a publié ses mémoires, “Jazz Roads” (Edition n°1), bouquin passionnant écrit avec sa femme Arlette, livre publié en 1990 qu’il convient de lire et de relire, mais qui n’est plus édité. Al venait d’achever le tournage de “Taxi Blues”, film de Pavel Lounguine dans lequel il tient son propre rôle.
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-La Cigale : www.lacigale.fr
-New Morning : www.newmorning.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Olympia : www.olympiahall.com
Crédits Photos : Dan Tepfer, Harold Mabern, Steve Kuhn © Pierre de Chocqueuse – John Scofield © Mark Hess – Ambrose Akinmusire © Matt Marshall – Christian Scott © Kiel Adrian Scott / Concord Records – Bobby Watson © Lafiya Watson – Hal Singer © Martine Thomas – Dr. John, The Fellowship Band, Aaron Goldberg, The Jazz Crusaders, Wynton Marsalis & The Lincoln Center Orchestra, Ran Blake & Sara Serpa © Photos X/D.R.