JEUDI 24 septembre
Présentation au Duc des Lombards de leur saison 2009/2010. Responsable de la programmation du club, Jean-Michel Proust nous annonce des concerts alléchants. Lonnie Smith en trio, Diane Schuur, le trio de Stéphane Kerecki avec Tony Malaby, Antoine Hervé avec François et Louis Moutin, Lee Konitz et Curtis Stigers sont attendus en novembre. James Moody, Butch Warren, Mark Murphy, Curtis Fuller, le Charlie Haden Quartet West, Yaron Herman, Enrico Pieranunzi, Jean Michel Pilc avec Billy Hart doivent se produire au Duc les prochains mois. Le concert qui suivit le cocktail de presse m’incita à rester. Le Jean Toussaint – Sangoma Everett Quartet réunit quatre personnalités indéniables qui s’investissent profondément dans leur musique, du bop moderne, hard ou lyrique selon l’humeur des musiciens et le répertoire abordé. Méconnu, Jean Toussaint est un des géants du saxophone, l’un des rares ténors à posséder un son et qui raconte une histoire sur son instrument. L’homme a fait ses classes au sein des Jazz Messengers d’Art Blakey. Il joue excellemment de suaves lignes mélodiques, connaît parfaitement l’histoire de cette musique et la trempe dans le blues de manière tout à fait naturelle. S’il sort des notes chaudes et colorées, souffle des attaques profondes et utilise tout le registre de son instrument, Jean Toussaint n’est pas seul à assurer le leadership de ce quartette. Au piano, Kirk Lightsey place de judicieux accords avec une grâce toute féline. Loin de se laisser déborder, il assure un piano funky, joue des rythmes que n’aurait pas désavoué Horace Silver. Le drumming très physique de Sangoma Everett et la solide contrebasse de Riccardo Del Fra assurent un tempo sans faille. Portés par nos quatre mousquetaires, le splendide Vera Cruz de Milton Nascimento et deux compositions de Wayne Shorter aux harmonies flottantes, Mahjong et Pinocchio firent l’objet de versions mémorables. Jean Toussaint sort un magnifique recueil de concerts (“Paris & London Live Sessions“) le 5 novembre sur Space Time Records. Prêtez-y deux oreilles attentives.
VENDREDI 2 octobre
Daniel Humair fête ses cinquante ans de carrière au Théâtre du Châtelet. L’événement attendu combla nos espérances, et malgré l’absence de musiciens dont l’emploi du temps rendait impossible leur présence, le concert souvent enthousiasmant enchanta un public exigeant. Divisé en deux parties, il commença confus, la contrebasse puissante de Jean-Paul Celea couvrant le piano de François Couturier. Les responsables de la sonorisation firent vite le nécessaire et la musique de Benjamin Britten devint audible, tout comme celle, fort belle, de l’Adagietto de la 5ème symphonie de Gustav Mahler, pièce superbement jazzifiée par les trois hommes, les thèmes partiellement empruntés au répertoire classique, servant une musique raffinée. Après Canticle, une composition de John Surman introduite habilement par la contrebasse, le trio devint quartette avec Louis Sclavis, pour jouer une musique plus abstraite, le clarinettiste lui apportant un flux de notes sauvages et agressives. La tempête se dissipa pour accueillir l’Allegretto de la 7ème symphonie de Beethoven et une jolie ballade dans laquelle François Couturier glissa un chorus de piano aux notes tendres et romantiques. Daniel accueillit son Baby Boom après l’entracte, plantant ses tambours de guerre dans une musique aventureuse, véritable laboratoire musical plein de fantaisie. Avec Christophe Monniot et Matthieu Donarier aux saxophones, Manu Codjia à la guitare et Sébastien Boisseau à la contrebasse, Daniel s’amuse à se surprendre. Le batteur aime jouer avec eux des compositions ouvertes, tissu de propositions en gestation constante et ne se répétant jamais. Improvisations free, volcaniques ou d’un grand lyrisme, les timbres deviennent couleurs et les bruits se font notes pour chanter Mood Indigo de Duke Ellington, l’un des grands moments de la soirée. Après une version décoiffante d’Akagera, jungle sonore nous ramenant à la grande époque du trio Humair, Jeanneau, Texier, le batteur rappela Jean-Paul Celea pour quelques morceaux en trio avec John Scofield. Ce dernier possède un son et un phrasé bien à lui. Sa guitare parle le langage du blues et du gospel. Lonely Woman et un traditionnel dont le titre m’échappe témoignèrent de l’opportunité de cette rencontre qui s’acheva comme le veut la tradition par une jam session finale. Sur scène, trois saxophones, deux guitares, deux contrebasses et un piano chantèrent le blues, firent danser des tourbillons de notes multicolores. J’allais oublier Daniel jubilant et heureux derrière ses caisses. Un sacré jubilé !
VENDREDI 9 octobre
Elise Caron et Lucas Gillet au Triton. Bien que d’accès facile en métro, Les Lilas n’est pas tout près du Paris d’où je viens, mais pour Elise, on traverserait la Manche à la nage. J’avais très envie d’entendre live “A Thin Sea of Flesh“, magnifique recueil de poèmes de Dylan Thomas mis en musique par Lucas Gillet. Publié au printemps dernier, l’album distille un charme irrésistible. Sur la scène du Triton, les couleurs superbes de l’album furent parfaitement restituées par Elise, Lucas (au piano et aux synthétiseurs) et cinq autres musiciens (David Aubaile, claviers et flûte ; Fernando Rodriguez, guitare ; Jean Gillet, basse électrique ; Pascal Riou, batterie ; Thomas Ostrowiecki, batterie), Phil Reptile à la guitare rejoignant le groupe à la fin du concert. Cette “mise en mélodie“ commence par un long prélude instrumental installant une ambiance, la musique bénéficiant d’arrangements étudiés. In the Beginning : percussions et batterie installent un rythme qui prend chair avec la voix qui chante et déclame une poésie très musicale. Les morceaux exigent une grande précision tant instrumentale que vocale et font beaucoup penser à la pop anglaise des années 70. On entend Henry Cow, John Greaves, Caravan, National Health, mais aussi Genesis (The Tombstone Told When She Died) dans les orchestrations colorées de Lucas Gillet, étranges comptines aux textes obscures et hermétiques. Elise envoûte par une voix chaude et sensuelle. Sa tessiture lui permet de chanter sur plusieurs octaves, d’exprimer une large palette d’émotions. Elle peut aussi chanter du jazz et ceux qui la découvriront dans "Un soir au Club", un film de Jean Achache dont elle est l'actrice principale (sortie le 18 novembre) risquent d’être surpris par le phrasé qu’elle adopte et maîtrise. Sa voix répond à la flûte de David Aubaile dans The Force that Through the Green Fuse, et au piano de Lucas Gillet dans le très beau The Hunchback in the Park, un souvenir d’enfance de Dylan Thomas. Deux pièces sont particulièrement réussies : Paper and Sticks, seul texte réaliste de Thomas qui, de ce fait, voulait l’exclure de ses œuvres complètes, et And Death Shall Have No Dominion (le morceau préféré d’Elise). Introduit par un hang, sphère de métal sonnant comme un steeldrum, les instruments entrent progressivement habiller un thème magnifique. Les accords rêveurs d’une guitare enveloppent délicatement une voix très pure qui fait battre le cœur.Photos © Pierre de Chocqueuse