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6 novembre 2009 5 06 /11 /novembre /2009 11:15

JEUDI 15 octobre

Carte blanche à Kirk Lightsey au Duc des Lombards. Le pianiste choisit d’inviter Ricky Ford qui, dans une forme inhabituelle, crée la surprise. Chapka turque vissée sur la tête, le saxophoniste sculpte des notes brûlantes, les étrangle. La phrase est emportée jusqu’au bout du souffle, avec tendresse et violence. Le son dense, volumineux de son ténor couvre une large tessiture avec une égale puissance. Imperturbable et le blues dans les doigts, Lightsey trempe la musique dans un grand bain de swing et caresse ses notes pour mieux les faire danser. Elles prennent aux tripes, au cœur et font rêver, mais Ford déploie une énergie titanesque dans des improvisations intenses et accapare l’attention. L’homme se donne à fond, vide son grand sac de notes et quitte la scène ses chorus achevés, après avoir soufflé le contenu entier de ses gigantesques poumons. Kirk Lightsey doit conclure les morceaux en trio. Sangoma Everett semble toujours autant s’amuser derrière sa batterie. Très demandé pour la grande précision de ses lignes de contrebasse, Darryl Hall assure avec lui une assise rythmique solide, mais propose aussi ses propres commentaires mélodiques. Une soirée coup de poing pour le moins inattendue.

LUNDI 19 octobre

Harold López-Nussa trio au New Morning dans le cadre du Carefusion Jazz Festival de Paris. Lauréat de la prestigieuse “Montreux Jazz Solo Piano Competition“ en 2005, ce jeune pianiste de 25 ans résidant à La Havane est l’accompagnateur régulier de la chanteuse cubaine Omara Portuondo, la diva du Buena Vista Social Club. Felipe Cabrera, le contrebassiste de son trio, joue également avec elle. Ruy Adrian López-Nussa, le frère d’Harold, complète le groupe à la batterie. Un concert largement consacré à “Herencia“ (Planète Aurora/Harmonia Mundi), premier disque de cette jeune formation enregistré en mars dernier au Studio Recall près de Nîmes par Philippe Gaillot. Harold López-Nussa en a composé la plupart des morceaux. Celui qui lui donne son titre, Herencia (Héritage) est une ballade aux notes très pures. Johann Sebastian Bach se rappelle à notre souvenir dans Los Tres Golpes qui n’en reste pas moins une fantaisie afro-cubaine. Une douzaine d’années passées à étudier le piano classique laisse des traces. Harold se consacre totalement au jazz depuis cinq ans. Danses d’origine africaine, rumba, son, guaguanco (rumba lente propre aux Provinces de La Havane et de Matanzas) font partie de sa culture. Leurs rythmes et leurs couleurs nourrissent son piano et ses compositions. San Leopoldo demande une mise en place très précise. Les solos de batterie de Ruy Adrian, le « petit frère » soulèvent l’enthousiasme. Le trompettiste Mayquel Gonzalez se joint au trio dans  Saudade, une ballade lumineuse, et Pa’Philippe, une danse solaire aux arômes épicés. On suivra de près Harold López-Nussa digne héritier des Chucho Valdes et Gonzalo Rubalcaba, capable d’émouvoir en solo (Mama dédié à sa mère), un véritable espoir du piano cubain.

La photo de groupe a été prise dans la loge du New Morning. De gauche à droite : Harold López-Nussa, Ruy Adrian López-Nussa, Philippe Gaillot et Felipe Cabrera.

MARDI 20 octobre

Le CareFusion Jazz Festival se déplace au Duc. Le pianiste Vijay Iyer s’y produit pour la première fois avec les fidèles musiciens de son trio, Stephan Crump à la contrebasse et Marcus Gilmore à la batterie. Leur précédent concert parisien remonte au 13 février. J’ai en rendu compte dans ce blog, ne ménageant pas mes louanges à leur musique particulièrement inventive, à un pianiste qui n’a pas peur de ne pas jouer comme les autres. Je m’attendais à un concert volcanique comme celui du Sunside, il n’en fut rien. Les trois hommes choisirent d’organiser le foisonnement de notes qui naissaient sous leurs doigts, de sculpter la pâte sonore épaisse de leur musique pour mieux en souligner les aspects mélodiques. Vijay Iyer hypnotise toujours par ses accords répétitifs, longs ostinato qui permettent à la contrebasse et à la batterie d'installer un tissu rythmique très dense. Vijay Iyer montra ce soir-là un autre visage, joua un piano moins percussif après un premier concert plus tumultueux à 20 heures. Invité inattendu, Steve Coleman monta sur scène dès le troisième morceau pour y mettre le feu, son saxophone apportant à la musique un poids de notes sauvages et agressives, le trio enivrant par ses cadences inhabituelles, ses mélodies fugitives, abstraites et dissonantes. En duo avec Coleman, Iyer aborda Round Midnight de façon très lyrique, son piano souvent sage surprenant un public guettant l’inattendu, la musique de ce concert ressemblant davantage aux belles pages lentes de “Tragicomic“ le superbe avant-dernier album du pianiste, que de celles du tonique “Historicity“, manifeste d’un jazz neuf et vraiment différent.

MERCREDI 21 octobre

Denise King au Duc. Je connais mal cette chanteuse de Philadelphie que les parisiens ont pu écouter naguère à La Villa rue Jacob. Rencontré il y a quelques jours, Olivier Hutman m’a vivement conseillé d’assister à son concert. Il a été son pianiste, lorsqu’elle s’est produite dans le défunt club de la rue Jacob et me vante ses qualités vocales impressionnantes. Dotée d'une voix puissante et chaude, Denise King chante le blues comme nulle autre. Elle aborde avec un bonheur égal le jazz et la soul dans un répertoire éclectique qui semble lui avoir été taillé sur mesure. Song for My Father d'Horace Silver séduit par son découpage rythmique funky ; abordé sur tempo médium, Take the A Train bénéficie d’une mise en place impeccable ; lent et majestueux, Summertime donne le frisson. Servie par le piano magique d’Olivier Hutman qui apporte une grande gamme de couleurs, trouve toujours les accords et les notes qui conviennent le mieux au miel de sa voix, Denise King chante aussi At Last immortalisé naguère par Ella Fitzgerald et Etta James. Swing, phrasé et diction impeccable, feeling gros comme une montagne, on souhaiterait des disques de la dame sur le marché français. Il n’y en a pas. “Fever“, son dernier enregistrement (2007) est même introuvable.

Avec Dany Michel qui naguère programma Denise King à La Villa, nous marchons jusqu’au New Morning afin d’écouter Jeff “Tain“ Watts. Le batteur, un des meilleurs de la planète jazz, rassemble autour de lui Jean Toussaint au saxophone ténor, David Kikoski au piano et James Genus à la contrebasse. Ne composant pas, il emprunte son répertoire aux autres, joue un jazz moderne trempé dans le blues. Malheureusement il en fait trop : ses bras puissants martèlent ses tambours, mitraillent ses cymbales et la musique ressemble à une exhibition de savoir faire. Couverte par la batterie, la contrebasse n’est pas toujours audible. David Kikoski joue bien des notes inutiles. Dommage, car Jean Toussaint, excellent, prend de bien beaux chorus. Je garde en mémoire un thème de Thelonious Monk très enlevé, joué avec une passion et une musicalité que l’on aurait aimées plus présentes au long de cette soirée.
Photos © Pierre de Chocqueuse

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