LUNDI 16 novembre
La Tectonique des Nuages proposée dans une
version concert pour voix et trois instruments. En partenariat avec le théâtre du Rond Point, l’Association Beaumarchais-SACD l’accueille salle Jean Tardieu et refuse du monde. Normal, l’opéra
jazz de Laurent Cugny n’a été joué à Paris que deux fois en avril 2007. C’est peu compte tenu de sa qualité. Je l’ai vu cette année à Nantes (chronique
dans ce blog à la date du 10 mai), découvrant un livret relevant du fantastique servi par une musique enthousiasmante qui fait appel à l’imaginaire du spectateur. J’en découvre une nouvelle adaptation pour trois
instruments. Laurent Cugny au piano, Joachim Govin à la contrebasse et Frédéric
Chapperon à la batterie accompagnent les voix de David Linx, Laïka Fatien et Yann-Gaël Poncet, et commentent l’action de cette histoire, véritable conte de fées imaginé par José Rivera. Difficile
de pallier l’absence des cuivres et des anches (la version concert réunit habituellement dix musiciens), et pourtant, aidé par une section rythmique d’une rigueur admirable, le piano y parvient.
L’instrument fait entendre la partition dans son horizontalité et révèle la beauté mélodique des thèmes, la musique, réduite à elle-même, apparaissant en pleine lumière. Laurent lui donne des
couleurs et bien qu’elle soit écrite, pensée dans ses moindres détails, il parvient à improviser quelques lignes de blues, s’offre quelques notes bleues, préludes entre des scènes confiées à des
chanteurs qui se parlent comme le font de vrais acteurs, passent constamment de la parole au chant et s’investissent dans le jeu scénique. Pour nous permettre de mieux rentrer dans l’histoire, un
narrateur (Gaël Lescot) nous prend par la main, nous guide dans cet étrange récit qui doit faire l’objet d’un double CD très attendu en
2010.
LUNDI 23 novembre
Chargé de cours à l’amphithéâtre St Germain, le professeur Hervé trouve enfin le temps de poser ses deux mains sur le piano du Duc des Lombards. On ne peut que s’en réjouir. Antoine Hervé, entraîne dans l’aventure ses vieux complices les Moutin Brothers, François à la contrebasse et Louis à la batterie. Difficile de les reconnaître avant qu’ils ne saisissent leurs instruments (Bien que dans le cas de Louis il est difficile de “saisir“ une batterie). Les jumeaux sont comme les Dalton : inséparables. Ils fournissent d’ailleurs un accompagnement personnalisé, “moutinisé“ devrait-on dire, à l’oncle Antoine. Jouant la musique de Monk,Ellington, Mingus à longueur d’année, ce dernier finit par la connaître par cœur. En phase avec sa rythmique, il le prouve avec Think of One de Papa Thelonious. Longs voicings chargés de single notes, accords plaqués, dissonances subtilement introduites au sein d’un discours musical “à la Monk“, le pianiste éprouve visiblement beaucoup de plaisir à réinventer une musique libertaire dont il a parfaitement assimilé les mécanismes. Suivent quelques standards, occasions d’en proposer des relectures modernes, de les faire autrement respirer. Ecrit par Eddie De Lange et Louis Alter en 1947 et interprété la même année par Louis Armstrong, Do You Know What It Means to Miss se prête bien à ce piano très mobile qui dialogue avec une contrebasse et questionne une batterie. L’oncle Antoine s’empare avec gourmandise des thèmes pour en explorer l’harmonie. Véloce, il se fait miel dans Seascape, un thème de Johnny Mandel qu’immortalisa Bill Evans. Très en doigts, il aborde avec beaucoup d’élégance My Romance, autre thème célèbre extrait de “Billy Rose’s Jumbo“, une comédie musicale de Richard Rodgers et Lorenz Hart (1935). Mais l’oncle fouille la salle du regard. Il a repéré un confrère musicien à l’étui de saxophone qu’il transporte et l’invite à monter sur scène. Paul Booth (un musicien Anglais) joue du soprano et s’intègre parfaitement au trio dans une belle reprise du Isn’t She Lovely de Stevie Wonder, Antoine Hervé n’hésitant jamais à proposer de nouveaux standards et à dépoussiérer les anciens. Jusqu’au rappel, le trio développe de bonnes idées et achève sa brillante prestation avec une reprise lyrique et émouvante de My Song, un thème aux harmonies superbes de Keith Jarrett que peu de pianistes pensent à jouer.
MERCREDI 25 novembre
Enrico Pieranunzi et Laurent Cugny tous deux au piano, une sympathique rencontre arbitrée par le jeune, mais déjà expérimenté Joachim Govin à la contrebasse. Un concert donné à l’occasion de la soutenance de thèse de doctorat en Sorbonne, le matin même, de Ludovic Florin dont on peut lire d’excellentes chroniques dans Jazz Magazine/Jazzman. Sa thèse portant sur la musique d’Enrico Pieranunzi , le maestro s’était déplacé pour marquer l’événement. Laurent faisait partie du jury, d’où l’idée de ce duo avec Enrico au Sunside. A cet effet, le club s’était fait livrer un second instrument. Enrico à gauche, Laurent à droite, Joachim au centre, sa contrebasse en partie dissimulée par les deux tables d’harmonie des instruments placées tête-bêche. D’un commun accord, les deux pianistes ont décidé de ne pas chercher l’affrontement, mais de privilégier la musique. Enrico Pieranunzi, l’un des meilleurs pianistes européens, n’a nul besoin d’exhiber sa technique. La plus belle musique se fait souvent avec peu de notes, une respiration intérieure que reflète une approche harmonique réussie. C’est pourtant une petite pluie de notes perlées que propose d’emblée le Maestro, une mise en doigts qui fait progressivement apparaître une mélodie aux accords presque irréels. Laurent ajoute de la couleur. Soutenu par la contrebasse, le rythme semble naître tout naturellement. Il va et vient, respire, se transforme, se pose le temps de quelques mesures pour mieux se dissoudre et renaître autrement. Les trois hommes improvisent à présent sur la ligne mélodique de Someday My Prince Will Come. Le morceau s’enrichit de dialogues, courtes phrases chantantes se répondant les unes aux autres, chaque pianiste peaufinant le discours de l’autre. Laurent Cugny fait magnifiquement sonner ses accords, leur donne une ampleur orchestrale et assure un rythme sans faille dans Whispering. Pleine de notes bleues, une ballade extraite de “La Tectonique des Nuages“ séduit par ses accords, la délicatesse de ses harmonies rêveuses. Dans All the things we are, nos deux pianistes s’amusent aussi à se surprendre et portés par la contrebasse improvisent une musique vive et sensible qui met du baume au coeur.
LUNDI 30 novembre
Réunion de la commission livres de l’Académie du Jazz chez André Francis (de gauche à droite sur la photo : le blogueur de Choc, André Francis, Isabelle Marquis, Alain Tomas, Philippe Baudoin et Gilles Coquempot). Cette commission décerne chaque année fin novembre un "prix du Livre de jazz". L’ouvrage primé doit être rédigé ou traduit en français. Il peut s’agir d’une étude, d’une monographie, d’un livre d'art, d’un recueil de photographies, d’un dictionnaire, d’un ouvrage musicologique ou d’une oeuvre de fiction accordant une place centrale au jazz. Une bonne dizaine d’ouvrages intéressants ont ainsi été édités en 2009. En voici la liste. Vous pouvez vous les offrir ou en faire cadeau à vos amis. Parmi eux se cache le Prix du Livre 2009. Il vous faudra patienter jusqu’à la mi-janvier et la remise officielle du Prix au théâtre du Châtelet pour connaître le vainqueur.
-“Analyser le jazz“ / Laurent Cugny / Outre Mesure (Passionnant ouvrage d’analyse musicologique)
-“Blues“ / Alain Gerber / Fayard (Le roman de la naissance du blues)
-“Celui qui aimait le jazz“ / Frank Ténot / Fondation Frank Ténot - Editions du Layeur (L’autobiographie de Frank Ténot. Réédition)
-“Le Jazz, des origines à nos jours“ / Lewis Porter, Michael Ullman, Edward Hazell / Outre Mesure
-“Jazz et société sous l’Occupation“ / Gérard Régnier / L’Harmattan (L’indéniable succès du jazz sous l’Occupation)
-“Kind of Blue, le Making Of du chef d’œuvre de Miles Davis“ / Ashley Kahn / Le Mot et le Reste
-“Miles Davis“ / Franck Médioni / Actes Sud (80 musiciens parlent du trompettiste. Un recueil d’interviews souvent passionnants)
-“Reaching into the Unknown 1964-2009“ / 141 poèmes de Steve Dalachinsky, 178 photos de Jacques Bisceglia / RogueArt (Les travaux de Bisceglia, photographe des années free)
-“Rendez-vous au P’tit Op’“ / Emilie Lucas-Lapoirie, photos d’Hervé Hascoët / Editions Publibook (Un joli livre de souvenirs sur le club parisien disparu)
-“Satchmo, les carnets de collages de Louis Armstrong“ / Steven Brower / La Martinière (Les collages du trompettiste, carnets enrichis de lettres, photos et documents d’archives)
-“Le Siècle du Jazz“ / sous la direction de Daniel Soutif / Musée du Quai Branly - Skira – Flammarion (Somptueux et passionnant catalogue de l’exposition jazz 2009)
-“Visiting Jazz, Quand les jazzmen américains ouvrent leur porte“ / Thierry Pérémarti / Le Mot et le Reste (Pour Jazzman, Thierry Pérémarti rencontra chez eux nombre de jazzmen qui firent l’histoire du jazz. Des entretiens intimistes)
-“We Want Miles“ / Vincent Bessières, Franck
Bergerot / Textuel - Cité de la Musique / (Le catalogue d’une exposition visible jusqu’au 17 janvier 2010. Un livre rempli de documents exceptionnels)
Hors compétition, deux livres en anglais :
-“Traveling Blues, The Life and Music of Tommy Ladnier“ / Bo Lindström & Dan Vernhettes / Jazz’edit, Paris (Un travail de fourmis. Iconographie et impression impressionnantes!)
-“Jade Visions, The Life and Music of Scott LaFaro“ / Helene LaFaro-Fernández (with Chuck Ralston, Jeff Campbell & Phil Palombi / University of North Texas Press (Une biographie détaillée du contrebassiste qui changea le rôle que tenait l’instrument dans le jazz)
Bonne lecture.Photos © Pierre de Chocqueuse