Le trompettiste Nicolas Folmer retrouve le saxophoniste Bob Mintzer au Duc des Lombards. Les deux hommes fêtent la sortie de “Off the Beaten Tracks Vol.1“ (Cristal/Harmonia Mundi), un vrai disque de bop moderne enregistré au même endroit en juillet. J’ai rendu compte dans ce blog de ces deux concerts, le second avec les musiciens de Mintzer. Ceux de Nicolas, Antonio Faraò au piano, Jérôme Regard à la contrebasse et Benjamin Henocq à la batterie secondent brillamment le trompettiste dans cette nouvelle rencontre. Fréquemment exposés par les deux souffleurs à l’unisson, les thèmes servent de support à des improvisations inventives. La section rythmique pousse et stimule les solistes, met la pression aux bons moments. Le jeu souvent mélodique de Jérôme Regard en fait un soliste à part entière dans Let’s Rendez-vous! et Fun Blues, titres dans lesquels il étonne par la pertinence de ses chorus. Le groupe semble encore plus soudé qu’en juillet, et les morceaux bénéficient d’une mise en place irréprochable. Mintzer souffle des notes aussi puissantes que lyriques. Celles acrobatiques de Nicolas s’envolent, saxophone et trompette croisant le fer dans Off the Beaten Tracks, morceau très rapide reposant sur un riff. Il donne son titre au nouvel album et exige une grande précision d’exécution. Bien que très enrhumé, Antonio Faraò joua son meilleur piano. Tendre et romantique dans Soothing Spirit, il étonne par son jeu vigoureux, sa facilité à enchaîner avec fluidité des accords du bop, à trouver des idées harmoniques. Offert en rappel, Black Inside, une de ses compositions, déchaîna l‘enthousiasme.
SAMEDI 9 janvier
Avec son quartette sans piano comprenant David El-Malek au saxophone ténor, Alexandre Tassel au bugle et Franck Agulhon à la batterie, le contrebassiste Diego Imbert interprète au Sunset les morceaux de “A l’ombre du saule pleureur“, premier album d’une grande richesse d’écriture, chroniqué dans ce blog le 12 octobre dernier. Ce travail sur la forme, on le retrouve sur scène, les compositions très soignées de Diego étant toutefois développées par les improvisations de ses musiciens. Des chorus plus longs étoffent sensiblement la musique, lui font prendre des tournures harmoniques inattendues. David El-Malek explore jusqu’au cri la matière sonore. Lave brûlante, ses notes croisent la douceur crémeuse de celles du bugle, les deux instruments se retrouvant fréquemment pour chanter les thèmes à l’unisson, mêler les couleurs de leur timbre. Fil conducteur de la musique, la contrebasse l’organise avec une batterie visiblement complice. Franck Agulhon peut aussi bien marteler puissamment ses tambours que caresser ses peaux comme on caresse une jolie femme. Les dents qui poussent bénéficie de cette tendresse. Un solo de batterie explosif introduit Leo. Le ténor s’en empare, souffle des notes fiévreuses. Carthagène au thème décidemment magnifique, calme le jeu. Bénéficiant d’une assise rythmique aussi souple qu’inventive, les deux souffleurs s’entendent pour jouer les phrases lyriques qui mettent du baume au coeur.
LUNDI 11 janvier
Stéphane Guillaume est un homme heureux. Le Prix Django Reinhardt 2009 de l’Académie du Jazz a également reçu le Prix du Disque Français (meilleur disque de jazz enregistré par un musicien français) pour l’album “Windmills Chronicles“ récompense décernée par cette même Académie du Jazz. La veille de cette remise de Prix, Stéphane, les membres de son quartette et les sept cuivres sur lesquels repose la musique de ce dernier projet donnaient un concert au Café de la Danse. La scène donne sa vraie dimension à la sonorité ample et raffinée du mélange des divers instruments en présence. Si la musique accorde beaucoup de place aux solistes et à leurs improvisations, l’écriture rigoureuse met en valeur les cuivres, et exige une mise en place très précise. Ces derniers relancent les solistes dans Fields of Nothing, accompagnent leurs chorus par des riffs dans Vent sur le Reg, enveloppent les mélodies de La légende de l’Uirapuru et d’Urban Trek (première plage de l’album “Soul Role“) ou déploient seuls leurs timbres dans la coda de l’Amphi en Fard, écrite sous forme chorale. Superbement arrangée, la Ballade irlandaise d’Emil Stern fait aussi la part belle aux cuivres, Stéphane exposant et déclinant le thème au ténor. Selon les compositions, il improvise également au soprano, à la flûte ou à la clarinette basse. Les autres solistes brillent par leur excellence. Je ne vais pas les citer tous, mais Pierre Drevet fait merveille dans The Man With the Skullcap, un hommage à Joe Zawinul. A la guitare, Frédéric Favarel s’offre un chorus hendrixien dans Vent sur le Reg et Denis Leloup éblouit au trombone dans La légende de l’Uirapuru.
MARDI 12 janvier
Journée chargée pour les membres de l’Académie du Jazz. Outre la remise des Prix au Châtelet, certains d’entre eux sont conviés dans les salons du Ministère de la Culture pour honorer leur éminent collègue Jean-Pierre Leloir, mais aussi le contrebassiste Ron Carter qui a fait l’amitié à François Lacharme d’être à Paris ce jour-là. En présence de leurs amis (Daniel Humair, Bertrand Tavernier, Chantal Koechlin), le premier reçut les insignes d’Officier et le second de Commandeur dans l’ordre des Arts et Lettres, distinctions remises par Frédéric Mitterand, ministre de la Culture et de la Communication.
Dans le discours qu’il prononça, ce dernier rendit hommage à « l’un des plus grands contrebassistes de l’histoire du jazz et l’un de nos meilleurs photographes, notamment pour ses portraits de musiciens, (…) le son et l’image de plus d’un demi-siècle de cette “musique en liberté“ qui ne cesse de nous émouvoir. » Il s’adressa à Ron Carter « non seulement en tant que ministre de la Culture et de la Communication, mais aussi – et c’est peut-être beaucoup plus important ! – en tant qu’amateur fervent et passionné de jazz ». Saluant le Président et les membres de l’Académie du Jazz présents à cette cérémonie émouvante, Frédéric Mitterand confia ensuite à Jean-Pierre Leloir qu’il avait « su saisir, d’un seul regard, les traits qui caractérisent chacun de ces artistes de génie (…) Dans chacune de vos œuvres, vous avez ce talent si rare de savoir capter et magnifier ce moment d’instantané, de mouvement et d’éternité, prélevé sur la fugacité des choses, et par là de donner à sentir les affinités secrètes entre la musique et l’image. » Frédéric Mitterand n’oublia pas non plus de saluer le jazz « l’un des plus phénomènes esthétiques du XXe siècle, et c’est un peu lui que nous célébrons aujourd’hui à travers deux de ses plus éminents acteurs que nous avons le plaisir et l’honneur d’avoir parmi nous. »
Au cours du cocktail qui suivit, j’eus la chance de pouvoir parler avec Bertrand Tavernier. Spécialiste du cinéma américain, il est tout aussi intarissable et passionnant sur le cinéma britannique (on lui doit la redécouverte du cinéaste Michael Powell dont il préfaça la biographie “Une vie dans le cinéma“ publié chez Actes Sud en coédition avec l’Institut Lumière qu’il préside à Lyon). Bonheur d’entendre de vive voix ce conteur passionné me parler de la phrase assassine de François Truffaut sur l’incompatibilité entre le mot cinéma et le mot Angleterre, remarque qui pour mieux imposer l’œuvre d’Alfred Hitchcock, fâcha longtemps le cinéma britannique auprès des cinéphiles. Plaisir de voir son regard pétiller à l’évocation des studios Ealing et de ses cinéastes Robert Hamer (“Noblesse oblige“), Alberto Cavalcanti (“Au coeur de la nuit“), Alexander Mackendrick (“Whisky à gogo“, “L’Homme au complet blanc“) qu’il s’emploie à réhabiliter. Bertrand Tavernier aime le jazz et affectionne les contrebassistes. Outre “Autour de Minuit“ avec Dexter Gordon, Herbie Hancock, Tony Williams et Ron Carter pour la musique, le contrebassiste a signé celle d’un autre de ses films, “La Passion Béatrice“. Henri Texier a quant à lui composé celle de “Holy Lola“. Tavernier réalisa également avec Robert Parrish le documentaire “Mississippi Blues“, et dans son dernier long métrage tourné en Louisiane, “Dans la brume électrique“, l’un des meilleurs films de l’an passé, il confie de petits rôles à Levon Helm le batteur du Band et au guitariste Buddy Guy.
De Gauche à droite: Roberta Gambarini Prix du Jazz
Vocal 2009 de l'Académie du Jazz, Ron Carter, le pianiste Kirk Lightsey et Daniel Humair. - André Cayot le Monsieur Jazz du Ministère de la Culture, Pascal
Anquetil (Irma) et Daniel Humair.
DIMANCHE 17 janvier
Susanna Bartilla retrouve le Sunside, club dans lequel elle a récemment enregistré un album. Elle en fête la sortie avec les musiciens de son disque, Alain Jean-Marie au piano, Sean Gourley à la guitare et Claude Mouton à la contrebasse. Au programme, les chansons de Johnny Mercer dont on a célébré en novembre 2009 le centenaire de la naissance. On lui doit les paroles de quelques 1500 mélodies. Harold Arlen, Henry Mancini, Jerome Kern, Hoagy Carmichael, Duke Ellington et bien d’autres compositeurs en ont écrit les musiques. Susanna connaît très bien ce répertoire. De Harold Arlen, elle interprète I’m Old Fashioned, One for My Baby, Come Rain or Come Shine, My Shining Hour…Henry Mancini est également à l’honneur avec de belles reprises de Charade, Days of Wine and Roses et Moon River. Susanna chante aussi Skylark, Les Feuilles mortes et La Mer de Charles Trenet. Sa voix chaude et traînante au léger vibrato évoque parfois Marlène Dietrich et se complaît dans une tessiture grave. Susanna en connaît les limites et les gère. Elle éprouve surtout beaucoup de plaisir à chanter sur scène et le communique à son public. Ses musiciens ne sont pas en reste. Peaufinant leurs chorus, Alain et Sean nous plongent dans un grand bain d’harmonies fines. Autoproduit, le disque de Susanna a des qualités et des défauts. Trop souvent au même niveau sonore, les instruments manquent de relief, mais la voix singulière est celle d’une chanteuse que j’incite à découvrir.Photos © Pierre de Chocqueuse. La photo réunissant Jean-Pierre Leloir, Ron Carter et Frédéric Mitterand est de © Farida Bréchemier/MCC