LUNDI 3 mai
Marc Copland au Sunside. Il y joue plusieurs fois par an, avec des sections rythmiques différentes, attire peu de monde, un public non éduqué étant difficilement capable d’apprécier de la bonne et vraie musique . Copland est pourtant l’un des rares pianistes du jazz moderne qui possède un langage vraiment original. Soutenu mollement par la presse, confronté à un espace de médiocrité culturelle au sein duquel tous ceux qui improvisent se prétendent musiciens de jazz, il œuvre dans l’ombre et a du mal à faire reconnaître la singularité de son jeu pianistique. Il a pourtant enregistré une vingtaine d’albums dont plusieurs sont des références incontournables. “Alone“, son magnifique dernier opus, a été enregistré en solo, mais c’est en trio qu’il s’est produit le 3 mai à Paris, avec Doug Weiss à la contrebasse et Jochen Rueckert à la batterie. Si Marc Copland a travaillé plusieurs fois avec ce dernier, la présence de Doug Weiss à ses côtés est plus inhabituelle. Un excellent choix au regard de ce concert, l’un des meilleurs que le pianiste a donné ces derniers mois dans la capitale. Avec Weiss, Copland libéré joue son meilleur piano, hypnotise par ses longs voicings aux notes colorées et tintinnabulantes, son jeu de pédales élaboré apportant des teintes délicates et brumeuses à ses ostinato. S’il reprit quelques-unes de ses compositions (Talking Blues, Night Whispers), le pianiste joua essentiellement des standards, Green Dolphin Street, In a Sentimental Mood, The Way You Look Tonight, Fall de Wayne Shorter, des morceaux auxquels il donne un nouvel éclairage harmonique, sa manière de les aborder restant très personnelle. Sous un flux de notes scintillantes, Cantaloupe Island perd ainsi son aspect funky, devient exploration de nouveaux paysages musicaux. Doug Weiss fait chanter sa contrebasse, prend le relais du piano pour improviser un chorus mélodique. Les deux hommes s’entendent à merveille pour jouer une partie de ping-pong ludique et subtile dans laquelle Jochen Rueckert, rêvassant, arbitre leurs échanges du bout de ses baguettes.
VENDREDI 7 mai
Pièce de théâtre, spectacle musical, “L’instrument à pression“ combine les deux. Le Théâtre Le Village de Neuilly-sur-Seine en donnait une unique représentation le 7 mai. Dans “Ecrire pour le théâtre“ (Les Carnets du Grand T n°16, Editions Joca Seria), à paraître en juillet 2010, l’auteur de la pièce David Lescot déclare : « Je voulais faire un théâtre hybride, mêlé, qui incorpore d’autres formes d’art, et notamment la musique et le chant. » “L’instrument à pression“ contient tout cela. Auteur, metteur en scène, mais aussi comédien et musicien de sa pièce, David joue de la guitare et de la trompette. Comme Médéric Collignon qui tient le rôle de l’apprenti joueur de biniou. Face à lui, un professeur dictatorial (Jacques Bonnafé) lui enseigne l’instrument, lui donne ses premières leçons. Le professeur façonne, le musicien absorbe, non sans souffrir. Aux dommages corporels, à la douleur physique de l’apprentissage s’ajoute la violence des mots : « Oublie le biniou, laisse tomber le biniou (…) C’est pas difficile. C’est dangereux. C’est mortel. Mais c’est pas difficile. »
Diffusé sur France Culture en septembre 2002, mis en scène par Véronique Bellegarde et joué au Festival Jazz à la Villette et à Banlieues Bleues, “L’Instrument à pression“ est d’abord un texte (publié en 2004 chez Actes Sud – Papiers), une réflexion sur l’impossibilité de l’harmonie, sujet traité jusqu’à l’absurde dans “L’amélioration“, une autre pièce de David. L’apprenti trompettiste absorbe jusqu’à l’indigestion. Soumis à de fortes pressions, le musicien craque, souffle de plus en plus fort, de plus en plus à côté des autres, perturbe le déroulement de leurs concerts et tombe, victime d’une rupture d’anévrisme, d’un contre-ut suraigu. Dans cette fable initiatique dans laquelle le rôle féminin est tenu par la comédienne et chanteuse Odja Llorca (Philippe Gleizes assurant la batterie), l’écriture vive et brillante saisit le rythme, l’énergie du jazz. Les chorus sont entendus comme chapitres de la pièce. Confiées à des musiciens comédiens qui en assemblent d’inattendues, les notes prolongent les mots qui sont aussi de la musique.
Anne Ducros chante le même soir au Sunside. Franck Avitabile au piano, Bruno Rousselet à la contrebasse et Louis Moutin à la batterie l'accompagnent. Le premier set s’est achevé et Anne, Franck et Louis posent devant mon objectif avant de remonter sur scène. Le concert reprend avec une version en trio de Green Dolphin Street. Abordé sur un tempo rapide, ce standard décidément très prisé par les jazzmen hérite d’improvisations musclées et inventives, des belles idées harmoniques de Franck Avitabile. Anne rejoint les trois hommes pour un Just in Time impressionnant. Sa voix est chaude, puissante. Elle sait comment respirer, faire venir l’air de ses poumons, le faire vibrer pour donner vie à son chant. Elle peut tenir longtemps une note, la diminuer sans perdre ses propriétés musicales. Sa pratique vertigineuse du scat traduit son formidable métier. Derrière elle, la contrebasse chante, la batterie souligne et anticipe. Très à l’aise avec un public qu’elle a très vite séduit, Anne présente avec beaucoup d’humour les standards qu’elle reprend. I Remember Clifford, Body and Soul (dédié aux quelques hommes qui ont traversé sa vie), Autumn Leaves, The Island d’Ivan Lins, le répertoire fait part belle aux ballades. En duo avec Franck Avitabile, Anne nous offre une belle version de You’ve Changed. Prodigue de jolies notes, un tendre piano accompagne la voix, lui offre ses plus belles notes. Sur tempo rapide, l’instrument prend les couleurs du blues, tire avec brio des feux d’artifice de notes inattendues. S’appuyant sur une technique vocale éprouvée, Anne Ducros affirme alors un chant très sûr et prend des risques, le flux musical se voyant brillamment rythmé par les onomatopées qu’elle invente.
Photos © Pierre de
Chocqueuse