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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 14:43

de-Wilde-Quartet.jpg

VENDREDI 4 mars

Géraldine Laurent (saxophone alto), Laurent de Wilde (piano), Yoni Zelnik (contrebasse) et Luc Insemann (batterie) au Sunside dans un programme entièrement consacré à Wayne Shorter. Le quartette avait déjà abordé ce répertoire en février 2009 dans ce même club qu’ils affectionnent et dans lequel au sein de diverses formations, ils se produisent régulièrement. Jouer des musiques de Shorter, c’est s’attaquer à des mélodies singulières, des paysages sonores brumeux et fantomatiques aux tonalités flottantes et ambiguës. Greffant sur elles des harmonies et des rythmes nouveaux, le groupe renouvelle ces morceaux tout en parvenant à conserver leur aspect troublant. Dès le premier set, Géraldine prend G.-Laurent---L.-de-Wilde.jpgles choses en main, souffle avec vigueur et autorité les notes d’Armageddon, donne du tonus à Barracudas, un thème de Gil Evans reconnaissable à sa structure rythmique. Le chant de l’alto se fait tendre et émouvant dans Fall, une ballade envoûtante nimbée de mystère que Shorter jouait avec Miles Davis. Après avoir soulevé des tourbillons de notes dans Eighty One, le piano prend le temps de rêver. Portés par un tissu rythmique suffisamment souple pour permettre à la musique de toujours respirer, Laurent et Géraldine dialoguent, inventent et bousculent joyeusement nos habitudes d’écoute. Nombreux sont leurs échanges dans une version rénovée d’Eighty One, mais aussi dans Pinocchio, autre thème fascinant naguère confié à Miles qui inspire les solistes, incite le groupe à doubler le tempo, à improviser avec un brio sans pareil. Adam’s Apple hérite d’une rythmique funky et d’un grand solo de contrebasse. Laurent donne puissance et dynamique à son instrument, le trempe constamment dans le blues et le bleu. Il n’existe aucun disque de cette formation que l’on aimerait entendre plus souvent. Qu’attend-elle pour enregistrer ce répertoire, le mettre à la disposition de tous ?

 

Patrice-Caratini.jpgLUNDI 7 mars

Au P'tit Journal Montparnasse, le Patrice Caratini Jazz Ensemble et le trio Biguine Reflections d’Alain Jean-Marie fêtent la sortie de “Chofé buiguine la”, un enregistrement live de décembre 2001. Le disque n’est pas terrible sur le plan sonore, mais comme l’écrit très justement Patrice dans les notes du livret « L’énergie circule, l’émotion irrigue le concert et le public n’est pas en reste. » Car en public, cette musique est incomparablement plus vivante que sur disque (même s’il s‘agit d’un concert). Les amateurs de jazz purent le vérifier en découvrant bien sonorisés ces deux orchestres sur scène alignant deux bassistes (outre Patrice Caratini à la contrebasse, Eric Vinceno tient la basse électrique) deux batteurs (Thomas Grimmonprez et Jean-Claude Andre-Villeger.jpgMontredon), Roger Raspail, un ami percussionniste, renforçant la section rythmique dans certains titres du répertoire. Ce dernier comprend plusieurs compositions d’Al Lirvat dont Pa Oublié ti Commission la et Tou sa sé pou doudou orchestré pour neuf musiciens, Pierre-Olivier Govin (saxophone alto) et Claude Egea (trompette) assurant les chorus. Biguine plus archaïque car composée avant l’éruption de la Montagne Pelée qui en 1902 détruisit Saint-Pierre jusque-là principale capitale culturelle de la Martinique, Serpent maigre d’Alexandre Stellio (il fit connaître cette musique à la Métropole dans les années 30) mêle improvisations jazziques de la Nouvelle-Orléans et les rythmes afro-cubains des îles qui entourent les Antilles françaises. Bastien Thill au tuba, David Chevallier au banjo et André Villeger à la clarinette animent le morceau. Sur ce dernier instrument, André se distingue dans Fête à la Guadeloupe, un des grands succès d’Edouard Mariépin. Alain-Jean-Marie.jpgIntroduit au piano par Alain Jean-Marie, Tú mi delirio est un bolero très lent que Denis Leloup enrichit d’un chorus de trombone. Jean Claude Montredon apporte au groupe Diamant H2O. La section rythmique tourne alors à plein régime, occasion pour Alain de chalouper ses notes et d’y mettre le feu. Son piano est bien mis en valeur dans Antillas, une suite en trois parties de Patrice, un collage inspiré par l’Afrique et les musiques des Caraïbes. Son deuxième mouvement est une rumba lente. Alain nous invite à danser la biguine dans le troisième. Il apporte plusieurs morceaux forts dont le très beau Haïti dans lequel Pierre-Olivier Govin à l’alto fait des étincelles. Mieux qu’un concert, une fête irrésistible !

 

E.-Pieranunzi--R.-Giuliani-Quartet.jpgMARDI 8 mars

J’avoue préférer Enrico Pieranunzi en trio ou en solo (ses disques en duo avec Marc Johnson sont également formidables), mais avec Rosario Giuliani la musique circule, respire, surtout lorsque les deux hommes s’appuient sur une bonne section rythmique pour encadrer leurs échanges. Avec Darryl Hall à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie, les deux amis peuvent se permettrent de rénover leurs propres compositions, d’innover sur des standards dont on pourrait croire qu’ils ont depuis longtemps livré leurs secrets, épuisé leur potentiel novateur. Enrico aime le risque et Rosario lui en offre avec ses longues phrases fiévreuses qui Enrico-Pieranunzi.jpgescaladent les barres de mesure, sa sonorité âpre qui contraste avec le lyrisme du pianiste romain dont les doigts en or harmonisent et colorent de mélodies superbes. Retrouvant le Sunside, Enrico joua les siennes, alternance de pièces lyriques et de morceaux rapides propices à des séquences virtuoses, mais aussi celles de Rosario, Dream House, une ballade, témoignant des capacités d’inventions mélodiques du saxophoniste. Ce dernier reprit  Lennie’s Pennies, un thème acrobatique de Lennie Tristano qui donne son nom à son dernier album. Impassible, le maestro ne se laisse jamais déborder par les phrases brûlantes qu’invente son partenaire. Sa main gauche réagit, plaque de puissants accords, ses notes restent toujours d’une suprême élégance.

 

Philippe Pilon band + guestsLe même soir, Philippe Pilon donnait un concert au Sunset pour fêter la sortie de “Take it Easy”, album récemment chroniqué dans ces colonnes et dont je dis le plus grand bien. N’ayant point le don d’ubiquité, mon cœur balançant entre la musique d’Enrico et celle de Philippe, j’assistai à son premier set, découvrant avec plaisir qu’un nombreux public de connaisseurs remplissait le club. Accompagné par les musiciens de son disque, Philippe Soirat remplaçant Guillaume Nouaux indisponible à la batterie, le saxophoniste nous en fit entendre les principaux thèmes, des compositions originales (Take it Easy, Chicken Walk, Sulkin’) et des standards (Blue Turning Grey Over You), y ajoutant I Surrender Dear, ballade dans laquelle il se fait miel, et une version funky et capiteuse du Soul Sister de Dexter Gordon. La sonorité moelleuse et chaude de son ténor, Philippe la met au service du bop et du swing qu’il approche de façon constamment mélodique. Une esthétique qu’il partage avec ses musiciens qui nous offrirent des chorus plein de joie, Pierre Christophe en grande forme parvenant à tirer le maximum de son piano droit, ses notes lumineuses éclairant le club comme si un grand soleil d’été y plongeait ses rayons.

 

E. Caumont & A. DebiossatJEUDI 10 mars

Michel Jonasz au Casino de Paris avec Elisabeth Caumont en première partie, une petite demi-heure, juste le temps de se raconter en chansons avec la guitare d’Alain Debiossat pour rythmer son chant et le faire s’envoler. Le jazz, Elisabeth le vit avec ses propres mots, petits poèmes qui naissent et se développent près du cœur avant d’éclore au jour. Les musiques des grands jazzmen héritent de ses textes. Elisabeth les greffent aussi sur de jolies mélodies d’Alain (Princesse Micomiconne, Yaoundé). On aime Le petit foulard vert, ses arpèges, la voix douce qui le chante et lui confie son souffle. Michel Jonasz a souvent flirté avec le jazz. Sa boîte en a Michel-Jonasz-a.jpglongtemps été pleine. Aujourd’hui il y met du blues, reprend Hoochie Coochie Man du grand Muddy Waters, y ajoute le rock et le twist. On lui doit de grandes chansons, Lucille que réclame son public mais qu’il ne chantera pas, Super Nana son morceau fétiche qu’il fait reprendre en chœur, Guigui, Arthur et beaucoup d’autres. Avec sa moustache, Michel Jonasz ressemble aujourd’hui davantage à Michel Blanc qu’à lui-même. C’est à la voix qu’on le reconnaît, à ce vibrato qui transmet l’émotion. Il danse comme un jeune homme avec ses deux chanteurs, soigne la chorégraphie de son spectacle largement consacré à son nouvel album “Les Hommes sont toujours des enfants”, le premier depuis bien trop longtemps.

 

Moutin-a.jpgSAMEDI 12 mars

Ronnie Lynn Patterson est un homme si discret qu’il serait bien capable de se rendre invisible. Il joue un magnifique piano, mais se produit si peu que organisateurs de festivals oublient de l’inviter au profit de stars médiatiques, des techniciens dont le jazz est technique. L’an dernier, Ronnie Lynn nous offrit “Music”, un recueil de standards enregistré avec François et Louis Moutin qui témoigne de sa sensibilité, de sa capacité à renouveler un matériel thématique et à le faire chanter. Le Studio Charles Trenet de Radio France l’accueillait pour un de ses très rares concerts avec les deux frères qui savent si bien mettre en valeur son piano lyrique. N’ayant pas eu l’occasion de préparer un répertoire et de le répéter, les Moutin btempos furent lents, presque distendus, la musique peinant à circuler. Les Moutin ont une telle habitude de jouer ensemble que le pianiste hésita longtemps à rentrer dans leur jeu, pour ne pas déranger, ne pas troubler leurs conversations ludiques et inventives. C’est avec Lazy Bird (John Coltrane) que ce piano aux harmonies subtiles et colorées se glissa dans la toile rythmique tissée par la basse et la batterie. Se laissant porter par elle. Ronnie Lynn put ainsi confier ses plus belles notes à son instrument, sa musique, épanchement d’un grand plein de tendresse, jaillissant alors d’une même source, celle, désaltérante, d’un trio retrouvé.

Photos © Pierre de Chocqueuse

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