MERCREDI 9 juin
Enrico Rava retrouve son vieux complice Aldo Romano pour trois concerts au Sunside. Les deux hommes se connaissent bien. Ils jouaient ensemble dans les années 60 dans le quartette de Steve Lacy et Aldo tient la batterie dans plusieurs disques du trompettiste enregistrés dans les années 70. Baptiste Trotignon au piano et Thomas Bramerie à la contrebasse complètent leur quartette parisien. Longtemps associé à l’avant-garde new-yorkaise et au free jazz, on oublie qu’Enrico Rava abandonna le trombone pour la trompette après avoir entendu un concert de Miles Davis à Turin et que sa découverte de Chet Baker fut capitale dans ses choix esthétiques. Plus lyrique que jamais ces dernières années, il n’a plus rien à leur envier sur le plan du raffinement mélodique. Enrico fait chanter ses belles phrases tranquilles, place des silences entre ses notes pour leur permettre de respirer et entend de belles mélodies dans sa tête. Ce soir, il ne joue pas les siennes, mais nous offre des standards, un mélange de bop et de jazz modal auxquels il apporte beaucoup de chaleur. Le piano lumineux de Baptiste la plonge aussi dans le rythme. Ce dernier martèle généreusement et puissamment ses notes, joue de superbes harmonies, mais plaque aussi des accords intrigants, ceux de territoires vierges de sons qu’il n’hésite pas à explorer. La solide contrebasse de Thomas Bramerie assure le lien entre les instruments et prend quelques chorus énergiques. Les tempos sont souvent vifs. Aldo tient une forme éblouissante et assure un drumming très physique. Retrato em Branco e Preto (Portrait in Black & White) d’Antonio Carlos Jobim, My Funny Valentine de Richard Rodgers bénéficient d’habits neufs, de relectures tendres et toniques. Aux anges, l’ami Francis ne perd pas une note de ces improvisations divinement inspirées.
SAMEDI 12 juin
Denise King et Olivier Hutman retrouvent le Duc des Lombards. Leur concert d’octobre dernier fut si enthousiasmant que je pouvais difficilement manquer celui-ci. Denise possède une voix énorme, chaude, envoûtante, et ne pouvait choisir un meilleur pianiste qu’Olivier pour donner du swing à la musique, un répertoire de jazz, de blues et de soul souplement rythmé par Philippe Brassoud à la contrebasse et Charles Benarroch à la batterie. Le blues dans les doigts, Olivier donne de la dynamique à ses notes colorées, les assemble en bouquets harmoniques, brode des improvisations délicates et sensibles autour des mélodies. Soutenue par une section rythmique exemplaire, la voix ample et expressive de Denise sert admirablement I Remember April, All Blues, Summertime, Polka Dots and Moonbeams et le célèbre Besame Mucho qu’elle interprète en anglais sous le nom de Kiss Me, Kiss Me A Lot. Très à l’aise sur une scène, la chanteuse de Philadelphie prend le public par la main pour lui faire chanter des onomatopées, l’associer à son spectacle. Difficile de lui faire reprendre It Don’t Mean a Thing if it Ain’t Got That Swing. Pourtant, elle y arrive, tout comme, pour me faire plaisir, elle parvient à chanter quelques mesures de Walk on By à la suite de Bye Bye Blackbird interprété en rappel. L’enregistrement d’un disque pour Cristal Records est prévu en juillet avec Darryl Hall à la contrebasse et Steve Williams à la batterie, plus Olivier Temime au ténor sur quelques titres. Il contiendra des compositions d’Olivier Hutman et des standards parmi lesquels The Way You Look Tonight, Song for My Father et September Song. En attendant la sortie de l’album prévue en avril 2011, vous pouvez écouter Denise King et Olivier Hutman cet été en concert, Michel Rosciglione (contrebasse) et Andy Barron (batterie) remplaçant Philippe Brassoud et Charles Benarroch sur quelques dates.
Denise King & Olivier Hutman : le 25 juin au Jazz Club d’Ivry. - Le 26, mais aussi les 15, 16 et 17 juillet au Caveau de la Huchette - Le 27 juin au festival de St Quentin (02). - Le 7 juillet au Jazz Club d’Annecy (74). - Le 9 à La Soupe aux Choux de Grenoble (38). - Le 18 au festival de jazz de St Raphaël (83). Le 24 au festival de Sanguinet (40).
LUNDI 14 juin
Créé en 1997 au théâtre les Gémeaux de Sceaux et au théâtre Jean Vilar de Suresnes, “Mozart la Nuit“ n’avait jamais été monté sur une scène parisienne. Voilà qui est fait depuis le 14 juin, grâce à François Lacharme qui l’a programmé au théâtre du Châtelet. Antoine Hervé réussit magnifiquement à jazzifier les partitions mozartiennes, à installer une modernité rythmique sur ses mélodies somptueuses. Pour l’aider dans cette tâche François Moutin dont la contrebasse n’a peut-être jamais aussi bien sonné, son frère Louis Moutin à la batterie, mais aussi Médéric Collignon dont la trompette aventureuse et indiscrète, ne souffle point du baroque, mais apporte un peu de folie bienvenue à la musique. Médéric en fait toutefois un poil trop. “Mozart la Nuit“ est aussi un spectacle confié à une imposante chorale et la jolie mise en scène de Laurent Pelly intègre mal les facéties d’un boute-en-train incorrigible. On rit de ses grimaces pendant le Lacrimosa et le Dies Irae du célèbre “Requiem“ qui n'ont pas été écrits pour amuser, ce qui n’enlève rien à la qualité des adaptations proposées, les chorus du trompettiste restant irréprochables. L’oncle Antoine colle de nouveaux rythmes sur les mélodies du grand Mozart, les trempe dans le groove pour les faire bouger autrement et leur donner de nouvelles ailes. Extrait des “Noces de Figaro“, l’air de Chérubin est bondissant de swing. Derrière son ordinateur, Véronique Wilmart apporte aux instruments des sonorités acousmatiques inédites. Elle dispose d’une banque de sons réels qu’elle peut filtrer, ralentir, modifier, court-circuiter à sa guise. Le piano en bénéficie dans la cantate Davidde et Penitente (rebaptisé Uranie dans le disque de 2002) qui ouvre le concert. Antoine improvise, ajoute ses harmonies au corpus mozartien. Placés sous la direction de Gaël Darchen, les choristes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine offre à son piano un tapis de voix célestes. Le Laudate, l’Ave Verum, deux pièces chères à mon cœur, en sortent transfigurées.
Photos © Pierre de Chocqueuse