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30 mai 2011 1 30 /05 /mai /2011 09:27

Stefano-Bollani--a-.jpgMERCREDI 18 mai

Stefano Bollani au Sunside. Label danois basé à Copenhague qui se consacre au jazz scandinave depuis 25 ans, Stunt Records y fait son festival. Cette Scandinavian Touch, le pianiste en bénéficie par l’entremise de la section rythmique danoise qui l’accompagne, Jesper Bodilsen à la contrebasse et Morten Lund à la batterie. Mi-ritorni--cover.jpgIls se sont rencontrés en 2002 à Copenhague lors de la remise du JAZZPAR Prize à Enrico Rava et ont enregistré trois albums dont deux pour Stunt Records : “Gleda” (2004) disponible en France depuis l’an dernier et “Mi ritorni in mente” (2003) qui sort seulement aujourd’hui, Stunt n’ayant jamais trouvé à placer ses disques dans notre pays avant qu’Integral en assure la distribution. Si “Gleda” est entièrement consacré à des thèmes scandinaves, “Mi ritorni in mente” contient surtout des standards. Les deux disques témoignent de la cohésion d’un trio dont les membres privilégient l’écoute et l’échange. La scène est pour eux le lieu propice à l’expérimentation, à l’aventure. Bollani aime que cette dernière comporte des risques. Il travaille sans filet. Son piano romantique, paisible rivière, peut se gonfler de pluies soudaines. Ses notes roulent alors comme les galets d’un torrent Bollani--Magoni.jpgfurieux. Indépendantes et mobiles, ses mains ne cessent de les tricoter. La gauche assure des basses puissantes qui libèrent la contrebasse d’une fonction purement rythmique et lui donnent l’occasion de s’exprimer en soliste. Il fait de même avec son batteur, assure des cadences qui le laisse libre de colorer le rythme, de se faire instrument mélodique. La pièce de Caetano Veloso qu’il reprend en bénéficie. Il joue ensuite une ballade avec un feeling, un toucher exceptionnel. Ses basses ronronnent comme un gros chat. Quelques mesures plus tard, l’animal est un fauve ramassé sur son clavier pour contraindre ses notes à danser. Sa main droite leur fait courir des cent mètres à grande vitesse. Stefano Bollani a du mal à tempérer sa virtuosité naturelle. Qu’importe. Même saturée de notes, sa ligne mélodique reste toujours musicale (on reconnaîtra sur la Katrine Madsenphoto Petra Magoni venue l'applaudir).

 

Avec le même trio, le pianiste accompagne un peu plus tard la chanteuse Katrine Madsen et développe un jeu plus vertical, ajoute des couleurs à une jolie voix d’alto, une voix de gorge au timbre grave qui émet un très lent vibrato, presque une oscillation vocale qui lui confère un aspect fragile. Elle chante Autumn Leaves, un morceau des Beatles et des titres de son dernier opus, “Simple Life”, et laisse beaucoup de place au pianiste qui harmonise, met moins de feu dans ses notes. Au sous-sol, Eliel Lazo, le joueur de congas, « El Eliel-Lazo.jpgConguero », un élève de l’école de percussion d’Oscar Valdes, transformait le Sunset en piste de danse. Sollicité par l’élite du jazz mondial (Herbie Hancock, Wayne Shorter, Dave Holland, Chucho Valdés et le célèbre Danish Radio Big Band) le vainqueur du prestigieux Percuba International Percussion Prize livrait en petit comité une musique rythmée et sensuelle. Avec lui trois musiciens danois dont le guitariste Mikkel Nordso (10 albums publiés sur Stunt Records) et le contrebassiste cubain Felipe Cabrera que l’on entendra beaucoup cet été avec le jeune et talentueux pianiste Harold López Nussa.

St. Germain Crew 

JEUDI 19 mai

Antoine Hervé et Jean-François Zygel en duo dans l’église de Saint-Germain-des-Prés mise comme chaque année à disposition du festival qu’organise le Capitaine Charbaut et son équipage, Donatienne Hantin (productrice et co-fondatrice du festival), Géraldine Santin et Véronique Tronchot toutes les trois sur la photo et que je salue ici. Depuis le concert décevant de Kenny Barron il y a deux ans, l’église est discrètement  sonorisée. Sa forte résonance naturelle oblige les pianistes à ne pas se servir de la pédale forte et d’adapter leur jeu à une acoustique qui ne perturba nullement Hervé et Zygel, parrains de cette édition 2011 du festival. Si le public vint nombreux les Herve--Zygel-a.jpgapplaudir, les journalistes de jazz manquaient curieusement à l’appel comme si la saine émulation pianistique des deux hommes les laissait indifférents. Ils viennent de sortir leur premier disque chez Naïve (“Double Messieurs”), et y improvisent une musique superbe qui aurait très bien pu être celle dont ils nous régalèrent ce soir-là. Un mélange de jazz et de classique dans lequel on pouvait reconnaître Bach, Mozart, Bartók, Prokofiev, Stravinsky, Gershwin et bien d’autres dans un flux musical rythmé, un cheminement horizontal de thèmes brièvement esquissés et portés par une harmonie constamment inventive. Majestueux et enchanteur, le premier morceau s’étala sur une petite demi-heure. Antoine Hervé et Jean-François Zygel en embellirent la ligne mélodique, au départ quelques notes qui circulent, se transforment, se répètent, changent de rythmes et de couleurs selon leur humeur complice. Comme deux amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps, ils ont beaucoup d’histoires à échanger. Chacun intervient dans le récit de l’autre, questionne, relance, enjolive, ornemente. Jean-François martèle des basses lourdes et puissantes, peut donner un poids rythmique considérable à Hervé, Zygeldes improvisations basées sur le chant carillonnant de Big Ben ou sur les notes d’une simple comptine. Oncle Antoine relance et fignole la ligne mélodique, ajoute de superbes couleurs, des notes perlées, trilles et pas de danses. I Love You Porgy : la musique tangue comme jouée sur le pont d’un navire. Un air du divin Mozart hérite d’une cadence bartokienne. La Carmen de Bizet effleure de ses pieds un dancing floor de Harlem. La chanson populaire de Petrouchka  « Elle avait une jambe de bois » se dessine sans jamais se totalement se révéler. Les deux pianistes préfèrent tourner autour, leurs instruments célébrant la fête de la semaine grasse en tirant des feux d’artifices de notes multicolores qui brillent comme des étoiles. En rappel, la berceuse de Brahms aux notes limpides, légères et presque silencieuses dont on perçoit intensément la beauté.

 

Gerald Clayton bVENDREDI 20 mai

Un mois après avoir donné un concert au Duc des Lombards avec les Clayton Brothers dont il est le pianiste, Gerald Clayton retrouve le club pour y jouer en trio. Avec lui Joe Sanders son bassiste habituel. A la batterie Clarence Penn remplace Justin Brown indisponible ce qui rend plus fluide le répertoire qu’il emprunte à “Bond, The Paris Sessions”, son excellent dernier album (vous en lirez la chronique dans Jazz Magazine / Jazzman). Avec sa frappe lourde, Brown apporte un aspect funky aux compositions du leader et aux standards que contient le disque, place le groove au cœur du discours musical. Se rapprochant davantage de la ligne mélodique des morceaux, le jeu de Penn est Joe Sanders & G. Claytonmoins heurté. Il a longtemps travaillé avec Betty Carter et au sein de nombreux trios. Il écoute, sert le soliste par un drumming souple et félin. Le blues dans les doigts, le pianiste joue de courtes phrases dont il fait respirer les notes et installe une tension à laquelle participe les deux autres instruments. La contrebasse de Sanders reste toutefois son interlocuteur privilégié. Le rythmicien propose aussi ses propres lignes mélodiques, intervient dans les compositions d’un pianiste dont la modernité du discours reste profondément ancrée dans l’histoire du jazz. Gerald Clayton connaît parfaitement le bop. S’il s’amuse à introduire des dissonances, il n’oublie pas de swinguer. Attentif à ses partenaires, il réagit à leurs propositions avec la fougue de la jeunesse. Les ballades qu’il interprète révèlent la délicatesse de son toucher, la richesse de ses harmonies raffinées que l’on applaudit sans réserves.

Photos & collage © Pierre de Chocqueuse     

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