Septembre : la rentrée pour les petits comme pour les grands. Depuis quelques années et s’il est parisien l’amateur de jazz l’effectue à la Villette. Hier abattoirs, aujourd’hui Cité de la Musique, on s’y perd un peu, comme ces vaches de bêtes qui s’apprêtent à offrir un concert de cloches dans le cadre d’un festival de jazz éclectique et pluriel dont la réputation ne cesse de grandir auprès d’un public hétéroclite qui écoute aussi bien du jazz que du rock, du hip hop que du reggae, du funk que du ska. Les frontières tombent entre les styles musicaux au bénéfice de nouveaux métissages pas toujours convaincants. Ce festival, Jean-Paul le trouve peu à son goût. Il préfère écouter Jazz à Fip avec Philippe Etheldrède le dimanche 4, du « vrai jazz » qui trouve grâce à ses yeux. La Villette, ce n’est pas pour lui malgré Tom Harrell et Roy Hargrove, musiciens dont il possède des disques. Pour ma part, Brad Melhdau me tente. Le pianiste donne deux concerts en solo qui me parlent davantage que les novateurs du hip-hop, des musiques improvisées, de la pop ou du funk que propose un festival qui, dans sa volonté louable de mélanger les genres, restreint la place accordée au jazz. La rentrée donc, avec son flot de disques manquant singulièrement de feeling et d’originalité, mais aussi son lot de bonnes surprises et de découvertes, de nouveaux talents se révélant chaque année. Les Trophées du Sunside qui fêtent leur dixième édition permettent d’en repérer quelques-uns. Du 5 au 7 septembre, neuf formations seront en compétition, trois par soirée. L’entrée est gratuite. Montrez-vous donc curieux.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Prysm avec Pierre de Bethmann les 1er et 2 septembre au Sunside. Mis en sommeil en 2001, peu après l’enregistrement de son quatrième album, Prysm s’est reformé en 2009 pour des concerts à l’opéra de Lyon auxquels participèrent Rosario Giuliani au saxophone alto, et le guitariste Manu Codjia, concerts qui firent l’objet d’un cinquième disque publié en mars dernier,“Five” (Plus loin Music). Codjia s’ajoutera au trio le 2. La veille, Prysm se fera également quartette avec Stéphane Guillaume aux saxophones. Est-il besoin de préciser que Pierre de Bethmann assure les claviers (piano et Fender Rhodes) et que Christophe Wallemme (contrebasse) et Benjamin Henocq (batterie) complètent la formation depuis sa création ? De belles soirées en perspective.
-Stéphane Kerecki et les membres de son trio retrouvent Tony Malaby au Sunset le 2. “Houria”, le disque qu’ils ont enregistré ensemble, accorde une large place à l’improvisation collective, propose un langage incantatoire et instinctif intensément spirituel. Le groupe joue de nombreuses ballades, peaufine de délicates miniatures, mais aussi des morceaux fiévreux et intenses. Par ses lignes de contrebasse, Kerecki assoit le tempo, balise la musique pour ses partenaires. Malaby grogne et rugit, dialogue avec Matthieu Donarier également aux saxophones, leurs notes libres et sauvages trempant dans le lyrisme. Quant à Thomas Grimmonprez, il tisse une habile toile percussive, martèle ses tambours de guerre et rythme leurs danses joyeuses et primitives.
-Chuck Israels au Sunside le 3 pour un « Tribute to Bill Evans ». Pendant un peu plus de trois ans, Chuck fut le contrebassiste de son trio, succédant au grand Scott LaFaro disparu à l’âge de vingt-cinq ans dans un accident de la route. S’il possède un jeu moins technique et plus économe que ce dernier, il le compense par sa grande capacité à coller et sentir la musique. Musicien au swing solide et souple, au phrasé élégant, il se plaît à improviser de belles lignes mélodiques. Très demandé comme bassiste, il joua avec George Russell, Cecil Taylor, Eric Dolphy, Stan Getz, Jay Jay Johnson et Gary Burton avant de se consacrer à la composition et à l’enseignement. En 1959 à Paris, il accompagna Bud Powell, souvent au Chat Qui Pêche. Il retrouve la capitale au sein d’un trio comprenant Kirk Lightsey au piano et Karl Jannuska à la batterie. Ses apparitions sont rares. On ne manquera pas ce concert événement.
-Si vous êtes libre l'après-midi du dimanche 4, ne manquez pas Aldo Romano et son « Tribute to Don Cherry » à la Cité de la Musique (16h30), dans le cadre du festival Jazz à la Villette. Avec Fabrizio Bosso à la trompette, Géraldine Laurent au saxophone alto et Henri Texier à la contrebasse, le batteur interprète des compositions du cornettiste et de larges extraits de “Complete Communion”, des ritournelles simples et chantantes qui n’ont pas pris de rides, un disque Blue Note que Don signa en 1965. Avec son groupe, Aldo reprend aussi des morceaux d’Ornette Coleman, grand pourvoyeur de thèmes, en donne des relectures personnelles tout en parvenant à conserver l’esprit des originaux. On peut les découvrir dans “Complete Communion to Don Cherry” album publié l’an dernier sur Dreyfus Jazz.
Le guitariste Lionel Loueke, le saxophoniste Miguel Zenón et Jeff Ballard le batteur de Fly et de Brad Mehldau (en photo), assureront la première partie. Le trio « ose relire Monk, le folklore iranien ou même Stevie Wonder » annonce le communiqué de presse. Nous irons vérifier sur place.
-Malia en quartette au Duc des Lombards les 6, 7 et 8 avec Alexandre Saada au piano, Jean-Daniel Botta à la contrebasse et Laurent Seriès à la batterie. Originaire du Malawi, de père anglais, la chanteuse a découvert le jazz avec Billie Holiday. Enregistré en 2002, entre jazz et soul, “Yellow Daffodils” son premier album la fait remarquer. Suivent “Echoes of Dreams” en 2004 et “Young Bones” en 2007. Laurent de Wilde l’admire et la fait chanter If I Could, un des titres de son album “Stories”. Au Duc, elle présentera son nouveau projet, un hommage à Nina Simone.
-Trois trompettistes sur une même scène, celle de la Grande Halle de la Villette le 8. Une initiative de l’un d’entre eux, Stéphane Belmondo, qui aime les rencontres, les joutes musicales amicales. Tom Harrell et Roy Hargrove sont donc invités à pousser leurs tutti, à innover, émerveiller. Chacun possède son propre style. Harrell sculpte avec ses lèvres des phrases swinguantes et ciselées. Hargrove trempe son instrument dans le funk, le groove épousant son jeu comme une seconde peau. Mélodiste inspiré, Stéphane préfère le bugle à la trompette. La sonorité en est plus douce, plus suave. La section rythmique qui accompagne notre trio de souffleurs est celle de son dernier album Verve, “The Same as It Never Was Before”. Kirk Lightsey au piano (et à la flûte dans l’intro d’Habiba), Sylvain Romano et Billy Hart donnent une véritable épaisseur sonore à la musique, un post-bop moderne trempé dans un grand bain de blues.
-Brad Mehldau en solo pour deux concerts à la Cité de la Musique le 9 et le 10, deux des temps forts de Jazz à la Villette. Le pianiste possède une réelle stature et aime prendre des risques. L’exercice périlleux du solo lui en offre. Parfois, la belle mécanique de son jeu se dérègle et les improvisations ambitieuses auxquelles il se livre en pâtissent (le concert qu’il donna au Théâtre du Châtelet en mars 2010 ne convainquit que partiellement). Ses amoncellements et agrégats de notes manquent parfois de simplicité, mais Mehldau est bien un des grands du piano. Il s’en sert pour raconter des histoires, parvient à les rendre sensibles et musicales. Brad renouvelle fréquemment son répertoire mélodique constitué de standards, de thèmes pop et de compositions originales. Il s’y appuie pour leurs offrir ses propres harmonies, ouvrir les portes d’un vaste monde sonore qu’il se plaît à explorer.
-L’un des meilleurs clarinettistes de la planète jazz, le grand Eddie Daniels, est attendu au Sunset le 13 pour une jam session gratuite. Une initiative de la maison Vandoren réputée pour ses anches et ses becs. Michael Cheret (saxophones), Ludovic de Preissac (piano), Manuel Marchès (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie) accompagneront Daniels qui jouera également du saxophone ténor. Né à New York en 1941, ce dernier fut un des plus brillants solistes du big band de Thad Jones et Mel Lewis. Avec le pianiste Roger Kellaway qui a donné deux concerts au Sunside fin juillet, Daniels a récemment enregistré “A Duet of One”, disque qui manqua de peu le Grand Prix de l’Académie du Jazz en 2009.
-C’était il y a un an, Anne Ducros sortait un album consacré à Ella Fitzgerald avec un orchestre de quarante-cinq musiciens, dix morceaux arrangés superbement par Ivan Jullien. La pochette d’“Ella, My Dear” : une superbe photo d’Anne, en robe de soirée rouge, étendue place de la Concorde sur un canapé, n’est pas prête d’être oubliée. Sa musique aussi. Il faut l’entendre chanter divinement Stardust,Come Rain Come Shine, Laura et écouter la fluidité de son scat dans les deux medley qu’elle interprète. Ces morceaux, Anne les reprendra probablement au Sunside le 17. Avec elle, un simple quartette : Benoît de Mesmay au piano, Gilles Nicolas à la contrebasse et Bruno Castellucci à la batterie. Sa voix chaude et sensuelle n’aura aucun mal à séduire le public du club. Elle sait tenir ses notes, les aérer, les faire vibrer. La qualité de son scat traduit un métier qu’elle exerce avec passion dans une constante bonne humeur.
-Michel Rosciglione au Sunside le 21. Je l’ai découvert auprès de Denise King et d’Olivier Hutman qu’il accompagne souvent sur scène, sa contrebasse leur offrant de réjouissants solos mélodiques. Michel vient de publier un beau disque, “Moon and Sand” (Tosky Records). Avec lui Vincent Bourgeyx, pianiste sous-estimé aux choix harmoniques constamment judicieux, et Rémi Vignolo, aujourd’hui batteur, pour rythmer délicatement la musique, essentiellement des standards, certains célèbres, d’autres moins, les compositions du regretté Kenny Kirkland semblant tout particulièrement inspirer le trio.
- Paul Lay prépare un nouvel album, son second. Bien que déçu par le précédent, j’apprécie beaucoup ce pianiste au toucher délicat, à la sensibilité généreuse dont les choix harmoniques correspondent aux miens et me mettent en joie. Paul joue ainsi très bien les standards et transcende les mélodies qu’il reprend. J’attends aussi de découvrir les siennes sur scène, dans l’espace de liberté qu’il partage avec ses musiciens et que lui offrent Simon Tailleu à la contrebasse et Elie Duris à la batterie. Le trio se produira au Sunside le 25. Une belle occasion de faire intimement connaissance avec son piano.
-Après avoir tourné cet été en quartette avec Mulgrew Miller (voir mon compte rendu du festival de Vienne sur ce blog à la date du 12 juillet), John Scofield est attendu le 26 au New Morning avec son Rythmn & Blues Quartet, groupe comprenant Nigel Hall « un excellent pianiste, mais surtout le chanteur le plus étonnant que j’ai eu l’occasion d’écouter depuis Donny Hathaway » clame le guitariste à qui veut bien l’entendre. Compagnon de route de Leo Nocentelli (des Meters), Andy Hess fut le bassiste des Black Crowes avant de rejoindre le groupe Gov’t Mule en 2003. Membre du Dirty Dozen Brass Band mais aussi du Piety Street Band de Scofield, Terence Higgins est un des meilleurs batteurs de la Nouvelle-Orléans. Il a joué avec Allen Toussaint, Dr. John, Fats Domino, joue un funk jazz épicé et assure des tempos délicieusement groovy.
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Jazz à la Villette : www.jazzalavillette.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-New Morning : www.newmorning.com
PHOTOS : Cowbells Orchestra, Prysm, Stéphane Kerecki Trio + Tony Malaby, Aldo Romano, Stéphane Belmondo, Michel Rosciglione, Paul Lay, John Scofield © Pierre de Chocqueuse - Jeff Ballard © Lourdes Delgado - Brad Mehldau © Philippe Etheldrède - Eddie Daniels © Paul Gitelson - Anne Ducros © Ari Rossner / Plus Loin Music - Chuck Israels, Malia © Photos X/DR.