Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 octobre 2010 4 21 /10 /octobre /2010 09:57

Manuel Rocheman, coverHommage à Bill Evans intitulé “The Touch of Your Lips“, le nouveau disque du pianiste Manuel Rocheman contient des compositions d’Evans, des morceaux que ce dernier aimait jouer, mais aussi de nouvelles compositions de Manuel au sein desquelles il avoue avoir mis son expérience, ses sensations face à la musique d’Evans qu’il a découvert tardivement. Je lui ai demandé de m’expliciter les dix titres de ce nouvel album enregistré en septembre 2009 pour Naïve avec Mathias Allamane à la contrebasse et Matthieu Chazarenc à la batterie.

 

M.A.S.H. : « On le joue exactement comme Bill le joue sur “You Must Believe in Spring“ avec ses trois modulations. On peut presque dire que le morceau est de Bill, même si Johnny Mandel est l’auteur du thème. L’album “You Must Believe in Spring“ m’a marqué énormément. Bill se relâche, joue une musique sensible et profonde. Le thème revient comme un leitmotiv. Je voulais shunter le morceau, mais j’ai finalement décidé de le laisser tel quel avec sa coda un peu abrupte. »

 

Manuel Rocheman (a)Send in the Clowns : « Le morceau sonne comme si Bill l’avait joué. Je n’en connais pas de version interprétée par lui-même. J’ai eu du mal à choisir cette prise. Nous en avons enregistré plusieurs, toutes différentes. Le solo est assez ouvert avec sa pédale en mi. Le thème, très beau, se suffit à lui-même. Plusieurs chanteuses dont Sarah Vaughan ont interprété ce thème. Le chanteur et compositeur brésilien Dorival Caymmi l’a également enregistré et c’est très beau. J’ai également entendu Toots Thielemans le jouer. Il en existe peu de versions pianistiques. C’est une ballade, une mélodie de Stephen Sondheim que Bill aurait très bien pu reprendre. »

 

We Will Meet Again : « Un morceau en do mineur, une valse. J’ai ajouté une intro en solo, complètement improvisée en studio. Je ne souhaitais pas la garder, mais Matthieu Chazarenc m’a demandé de la laisser. Bill a écrit ce très beau thème pour son frère Harry. C’est une valse très romantique. L’influence de Bill sur ma musique se fait sentir dans mon chorus de piano. »

 

Daniel’s Waltz : « C’est un morceau en la majeur que j’ai écrit pour mon fils Daniel. Les pianistes n’aiment pas cette tonalité en général. L’approche harmonique de cette pièce fait penser à du Clare Fischer, un pianiste, arrangeur et chef d’orchestre qui a influencé Bill Evans. Le pianiste Bernard Maury était très proche de lui. »

 

For Sandra : « Composée pour Sandra, ma fiancée, cette pièce prend un aspect latin après une introduction rubato en solo. Je me démarque ici de Bill Evans qui a peu joué cette musique. Il a repris Minha, mais le côté brésilien du morceau est très peu marqué. Bill aimait beaucoup Antonio Carlos Jobim, harmoniquement proche de Ravel, de Debussy. J’ai écrit et répété le thème avec les musiciens avant de rentrer en studio. Bill Evans a écrit For Helen ; mon morceau est écrit For Sandra. Nous sommes tous deux sensibles aux femmes (rires). »

 

Manuel Rocheman (b)Only Child : « La mélodie, les accords de ce morceau de Bill Evans me plaisent. C’est une ballade extraordinaire qui possède un aspect dramatique. J’ai attendu d’avoir quarante-cinq ans pour rendre hommage à Bill, ce qui est très casse-gueule pour un pianiste. Je n’ai pas voulu le copier, reprendre ses solos. Ce disque, j’avais besoin de le faire. J’y ai mis mon expérience, mon vécu, et je l’assume pleinement. »

 

Rhythm Changes : « J’ai voulu exprimer le côté nerveux de Bill, évoquer le disque “Everybody Digs Bill Evans“ qu’il a enregistré avec Philly Joe Jones et Sam Jones. J’ai écris un anatole sur I Got Rhythm à partir des “Coltrane Changes“, un principe harmonique propre à Coltrane qui ne pouvait pas blairer Evans. J’aime beaucoup travailler sur ses changements d’accords, trouver des couleurs et parvenir à jouer dessus. C’est à la fois passionnant et difficile. C’est un morceau nerveux, un peu tendu. Bill Evans jouait cette musique à ses débuts. Elle porte la marque du bop et témoigne de ses racines. Bill n’est pas seulement un musicien romantique. Il jouait aussi du bop. Ce n’est qu’après qu’il a trouvé sa voie. Le sextette de Miles Davis lui a ouvert d’autres horizons, les portes d’une autre musique. »

 

The Touch of Your Lips : « Bill le joue en solo sur “Alone Again“. J’aime beaucoup ce thème de Ray Noble, un beau standard qui n’est pas tellement joué, mais que Chet Baker et Bill Evans ont tous deux interprété. Nous le jouons en do. L’introduction est en ré bémol, un demi-ton au-dessus. Le thème apparaît ainsi plus lumineux.

 

Manuel Rocheman (c)La valse des chipirons : « C’est encore une valse. Bill adorait en jouer. C’est presque un musicien européen. Chopin, Scriabine sont harmoniquement assez proches de lui. Ma mère est basquaise et j’aime beaucoup les chipirons, des calamars à la basquaise. Tu fais revenir à la cocotte avec du vin blanc. Tu ajoutes des tomates pelées, des céleris. Il faut les découper en fines lamelles et les faire cuire un bon moment. »

 

Liebesleid : « Une très belle mélodie écrite par Fritz Kreisler, un virtuose du violon. Clare Fischer l’a reprise. Je l’ai entendue jouer par un violoniste au conservatoire et son thème m’a touché. C’est un morceau en sol mineur que redoutent les violonistes. J’en ai extrait sans difficulté sa mélodie. J’introduis un rythme latin à la fin du morceau. Il a été enregistré à la fin des deux jours de studio. Mathias Allamane et Matthieu Chazarenc étaient déjà partis. Julien Basseres l’ingénieur du son m’a proposé de jouer un dernier titre en solo. Bien que fatigué physiquement, j’ai enregistré deux ou trois versions de ce morceau sans trop y croire. En réécoutant les bandes, j’ai trouvé que cette version possédait un peu de cet abandon evansien que je cherche aujourd’hui à exprimer dans ma musique. »

Propos recueillis à la Fnac Montparnasse le 13 juillet 2010.

 

Manuel Rocheman donnera un concert Salle Gaveau le 8 novembre prochain à 20h30 avec son trio.

Photos © Pierre de Chocqueuse  

Partager cet article
Repost0

commentaires

J
Je suis très touché par la modestie de Manuel Rocheman qui est un pianiste haut de gamme. L'art du piano est une chose : Avec Manuel ça devient the Heart of Piano et approcher Bill Evans du fond du coeur comme il le fait est chose rare. <br /> L'honnèteté de sa démarche est signe d'une profonde maturité et je ne peux qu'applaudir ce travail passionnant et cette lecture de l'héritage de Bill Evans.<br /> Merci Manuel, c'est clair comme de l'eau de roche, Man !
Répondre