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28 mars 2013 4 28 /03 /mars /2013 08:45

Youn-Sun-Nah-c-PdC.jpegMars, le mois de la femme, celui des chanteuses qui émeuvent et mettent du baume au cœur. Grâce à elles, l'hiver vit ses derniers jours. Leurs voix printanières de sirènes et de miel charment le blogueur de Choc qui leur consacre prose et photos. Quelques jazzmen aussi interpellent, Jeff Hamilton, le maestro Pieranunzi. Mais aussi cette vente à Drouot, un succès dont je transmets quelques enchères.

 

DIMANCHE 10 mars

S.-Bartilla---S.-Gourley.jpegComme Marlène Dietrich qu’elle admire, Susanna Bartilla est née à Berlin. Devenue américaine en 1937, la muse de Joseph von Sternberg entreprit une carrière de chanteuse qui la propulsa dans les années 60 sur les scènes du monde entier. Celle plus modeste de Susanna la conduit au Sunside pour le bonheur de nos oreilles. Je retrouve Marlène dans sa voix grave un peu rauque et au fort vibrato, dans sa façon d’introduire I Can’t Give You Anything But Love. Car Susanna ne chante pas Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt (Je suis faite pour l'amour de la tête aux pieds), l’immortelle chanson de “L’Ange Bleu, mais le répertoire de Peggy Lee et des compositions dont Johnny Mercer écrivit les paroles et parfois les musiques. Elle ne bénéficie pas comme Marlène des arrangements de Burt Bacharach, mais possède un groupe d’excellents musiciens qui prennent plaisir à l’accompagner, à habiller son chant d’un écrin de notes colorées et soyeuses. Il est dix heures du soir dans un Sunside en fête. Alain Jean-Marie imperturbable et égal à lui-même ornemente au piano. Sean Gourley à la guitare égraine les notes de Why Don’t You Do Right et du grandiose Johnny Guitar. Avec elle, il chante aussi I Don’t Know Enough About You. Claude Mouton à la contrebasse et Kenny Martin, un batteur berlinois, assurent la rythmique. Vous l’avez sans doute compris, le tour de chant de Susanna Bartilla comprend la plupart des morceaux de “I Love Lee, son dernier disque. Je l’écoute en boucle au moment d’écrire ces lignes. Sans m’en lasser car il m’enchante.      

   

MARDI 19 mars

L.-Tavano---A.-Asantcheeff-c-PdC.jpegLou Tavano au Sunside. Son premier disque autoproduit m’a réellement intrigué. On y entend une chanteuse qui s’accommode fort bien des sauts d’octaves, des difficultés techniques. On y découvre un pianiste qui déroule à ses pieds un tapis d’harmonies finement brodées. Alexey Asantcheeff est aussi l’arrangeur de cet album en quartette. Six plages enregistrées en studio, une septième en club, une version bouleversante de I Loves You Porgy. Cette voix, ce piano se parent de nouvelles couleurs, celles de la trompette d'Arno de Casanove, du saxophone ténor, de la flûte et de la clarinette basse de Maxime Berton. Les arrangements d’Alexey surprennent par leur modernité respectueuse. Monk’s Dream, Little Niles héritent de sonorités nouvelles. La voix virevolte, survole, s’impose. Le pianiste possède un beau toucher, joue le silence entre des notes qu’il peut aussi soulever par vagues. En duo avec Lou, The Peacocks devient échange intime, complicité amoureuse. Superbement chanté What’s Going On fait naître  de grands sourires sur des visages heureux. On fond à l’écoute de Petite Pomme, une pièce romantique et douce écrite par Alexey pour sa grand-mère. Quelle foule ! Le Sunside est une vraie fourmilière. On se fraye difficilement un passage pour gagner la sortie, la musique plein le cœur.

 

VENDREDI 22 mars

Collection Pierre MondyBeaucoup de monde pour assister Hôtel Drouot à la vente des disques de Pierre Mondy (Ferri & Associés). Les amateurs de jazz s’y étaient donnés rendez-vous avec pour conséquences des estimations souvent doublées, voire triplées et un montant total des enchères approchant 90.000€. Des afficionados se disputèrent jusqu’à 1.000€ un lot de 17 disques de blues et de rhythm’n’blues. Il fallait monter à 1.100€ pour acquérir l’édition originale de “Bass on Top” de Paul Chambers, disque du label Blue Note en édition originale estimé entre 200 et 400€. Reproduit en couverture du catalogue, le Sonny Clark, un autre Blue Note, atteignait 1.300€ et un lot comprenant 24 albums de ce même label partait à 2.400€. La guitare inspira également les acheteurs qui déboursèrent 1.150€ pour un lot de 37 disques consacrés à l’instrument. Wes Montgomery fit un tabac avec une enchère de 1.200€ pour une réunion de trente-six de ses albums. Côté piano, notons les 700€ obtenus par un lot de 19 disques de Bill Evans. Les coffrets Mosaïc furent également disputés. Il fallait proposer 1.000€ pour partir avec l’intégrale du label Commodore, soit avec trois coffrets renfermant 66 vinyles, et 880€ pour “The Complete Capitol Recordings of the Nat King Cole Trio”, un coffret de 18 CD. Les Compact Discs triplèrent parfois leurs estimations grâce aux nombreux disques du catalogue Chronological Classics que les lots renfermaient. Estimé entre 250 et 450€, un lot de 250 CD fut dispersé à 1.100,00€. En sus du montant de son enchère, tout acquéreur se devait acquitter 25,12% de frais (taxes comprises). De jolies sommes pour des disques qui font toujours rêver.

 

Jeff-Hamilton-Trio-c-Philippe-Marchin.JPGEn soirée, le Jeff Hamilton Trio au Duc des Lombards. Solide batteur d’orchestre – le big band qu’il co-dirige avec John Clayton a souvent accompagné Diana KrallJeff Hamilton possède un trio qu’il peut conduire plus facilement dans les clubs de la planète jazz. Son pianiste Tamir Hendelman est aussi l’arrangeur de son grand orchestre. Inventif et subtil, il démontra son savoir faire dans des arrangements inventifs de Lullaby of the Leaves et de Yesterdays, un thème de Jerome Kern abordé sur un tempo rapide. Jeff y brilla aux balais. Avec lui, la batterie devient un instrument qui porte le swing, le fait tourner avec la précision d’une montre suisse. Il dose parfaitement son drumming, ne couvre jamais ses partenaires. Autre garant du rythme, Christoph Ludy fait ronronner sa contrebasse et utilise son archet pour introduire son propre arrangement de Blues in the Night, un thème d’Harold Arlen. Une version lente et finement colorée de Polka, Dots and Moonbeams, un thème de Jimmy Van Heusen que Bill Evans affectionnait, acheva de convaincre un public enthousiaste.

 

SAMEDI 23 mars

Enrico-Pieranunzi-c-PdC-copie-1.jpegEnrico Pieranunzi de retour à Roland Garros à la tête d’un trio comprenant André Ceccarelli et Hein van de Geyn. Il aime jouer avec eux, prendre des risques, inventer et séduire. Avec André Ceccarelli derrière une batterie, il est sûr d’une présence rythmique réceptive. Dédé suit sans peine ce piano rubato qui change de route et de tempo, cultive avec humour l’inattendu. Hein est lui aussi un vieux compagnon du pianiste. Sa contrebasse a souvent chanté au diapason de son piano. Longtemps professeur au Conservatoire Royal de La Haye, il vit en Afrique du Sud depuis 2010, a d’autres activités que musicales et pratique moins son instrument. Le trio venait de donner un concert à Genève, mais Hein eut parfois du mal à nourrir une musique très libre mais d’une grande exigence. Fairplay, Enrico lui aménagea de longues plages pour lui permettre de s’exprimer en solo. Il y eut certes des échanges magiques, mais aussi quelques longueurs, des moments de moindre tension. I Hear a Rhapsody et Footprints furent les moments forts d’un premier set incluant aussi un long morceau totalement improvisé. Plus fluide, le second dévoila un nouvel arrangement de Nefertiti, un thème de Wayne Shorter qu’Enrico a plusieurs fois enregistré. Une adaptation funky d’une composition de Johnny Mandel, Theme from M.A.S.H et un Someday My Prince Will Come brillantissime en rappel optimisèrent cette belle soirée.

 

LUNDI 25 mars

Youn Sun Nah a © PdCYoun Sun Nah dans un théâtre du Châtelet archi-plein pour le concert de sortie de “Lento”, son nouvel album. Très varié, excellemment enregistré et produit, il s’adresse à un public beaucoup plus large que celui du jazz et séduit de nombreux mélomanes. Difficile de résister à cette voix de soprano très pure qui met tant de passion et de sincérité dans ses chansons. Aussi bon soit-il, son dernier disque ne reflète pas l’immense talent de la chanteuse coréenne. Il faut la voir, l’écouter sur une scène. Menue, elle semble fragile, comme une poupée de porcelaine. Sa timidité est un atout. Elle semble presque gênée de déplacer un si grand nombre de gens à ses concerts. Elle murmure un simple bonsoir du bout des lèvres lorsque s’achève My Favorite Things, premier morceau de son tour de chant qu’elle débute seule avec un piano à pouces comme instrument. Ses musiciens vont alors la rejoindre, à commencer par Ulf Wakenius son guitariste. C’est avec lui qu’elle prend le plus de risques. Difficiles à chanter, d’une grande complexité rythmique, ses staccatos demandent une maîtrise vocale exceptionnelle. Breakfast in Bagdad et Momento Magico exigent de sa part des onomatopées d’une grande précision Y.-Sun-Nah---U.-Wakenius-c-PdC.jpegrythmique et mélodique. Très concentrée, Youn Sun Nah utilise aussi son corps pour s’unir à la musique. Elle la sent jaillir en elle comme si l’inconscient parlait au conscient, l’artiste exprimant son vrai moi, l’authenticité de sa propre nature. Avec Ulf, elle explore le registre grave d’une voix naturellement douce qui s’étonne d’être applaudie. Sa tessiture impressionnante (au moins deux octaves et demie) lui permet de pousser dans les aigus les rugissements du tigre. Son répertoire, essentiellement celui de “Lento”, inclut plusieurs titres de “Same Girl”, son disque précédent. Outre Ulf Wakenius, ses musiciens – Vincent Peirani (accordéon), Lars Danielsson (contrebasse et violoncelle) et Xavier Desandre-Navarre (percussions) – improvisent discrètement, assurent à sa voix un accompagnement minimaliste, la portent sans jamais la couvrir. En duo avec Ulf, son premier rappel, une reprise d’Avec le temps de Léo Ferré, reste pour moi inoubliable. Youn le chanta avec un phrasé parfait, une émotion palpable. J’ai vu ce soir-là virevolter des anges dans un Châtelet silencieux qui retenait ses larmes.

 

Photos © Pierre de Chocqueuse, sauf celle du Jeff Hamilton Trio © Philippe Marchin que je remercie ici.  

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