Mis à part Daniel Yvinec son directeur artistique, maître d’œuvre de ce projet ambitieux, qui se doutait que le nouveau disque de l’Orchestre National de Jazz serait une si bonne surprise ? Après un projet original autour de Robert Wyatt et un double album inégal consacré à des œuvres de John Hollenbeck qui aurait pu se réduire à un simple, l’ONJ rend hommage à Astor Piazzolla, reprend ses thèmes les plus célèbres tout en les sortant de la gangue du tango, le bandonéon du Maître se voyant virtuellement confié aux timbres des instruments de l’orchestre. À eux la charge de préserver ses mélodies (celles aussi de Carlos Gardel, de Juan Carlos Cobián auteur de plusieurs tangos historiques), et de transmettre le lyrisme de sa musique. Les puristes crieront au scandale ; les amateurs de musique qui se moquent des chapelles, applaudiront des deux mains. Jazz ou pas jazz, tango ou pas tango, peu importe, car la réussite musicale de l’album reste incontestable. Homme de culture et d’ouverture, Daniel Yvinec ne manque pas d’idées. Avoir confié les arrangements du disque à Gil Goldstein se révèle en être une excellente. La musique d’Astor Piazzolla se pare de superbes couleurs, fait entendre d’autres rythmes. Daniel sait produire et peaufiner un disque en studio, lui donner du relief, le faire sonner comme les vieux vinyles de l’âge d’or de la pop qu’il affectionne et qu’il possède. Arrangeur de “Wide Angles”, l’album le plus abouti de Michael Brecker, Gil Goldstein fut un des élèves les plus brillants de Gil Evans. De ce dernier, il semble avoir hérité l’art de créer des alliages sonores qui valorisent les instruments. Si Soledad / Vuelvo al sur et sa flûte alto dans le grave évoque bien sûr le Barbara Song d’Evans (cela n’a pas échappé à Ludovic Florin qui chronique l’album dans Jazz Magazine / Jazzman), Balada para un loco avec ses ritournelles de flûtes, sa clarinette basse, ruisselle de magnifiques couleurs orchestrales. Autres réussites, mais elles sont si nombreuses qu’il faudrait citer presque tous les morceaux, cette relecture inédite de Libertango, l’un des chef-d’œuvres de Piazzolla, qui place en avant l’ostinato rythmique sur lequel repose la mélodie, et Mi Refugio, célèbre composition de Juan Carlos Cobián pour bandonéon solo confiée aux instruments à vent de l’orchestre chargés d’en réinventer le timbre. Après s’être procuré les partitions de Piazzolla, Gil Goldstein a commencé par le plus difficile, arranger Tres minutos con la realidad, pièce fiévreuse requérant une mise en place millimétrée des sections, morceau dans lequel s’insèrent parfaitement les chorus des instruments. Pari gagné pour l’ONJ qui signe l’un des disques les plus originaux de cette rentrée.
Concerts à la Gaîté Lyrique (20h00), les 24 et 25 octobre.