Décembre : l’année jazzistique qui s’achève a vu profusion de concerts et de disques. Au regard de toutes les manifestations qu’elle accueille, Paris est très probablement la capitale européenne du jazz avec des clubs très actifs qui programment en permanence musiciens français et étrangers. Le Sunside qui ouvrit ses portes le 13 octobre 2000 fête son dixième anniversaire dans ses murs de la rue des Lombards, mais aussi au New Morning du 4 décembre au 8 janvier prochain. Stéphane Portet a mijoté une solide programmation, l’élite des musiciens de jazz que l’on aurait tort de bouder. N’allez pas croire que les jazzmen font tous de la bonne musique. Leur niveau technique impressionnant pallie souvent un manque affligeant d’imagination, masque une méconnaissance totale de l’histoire du jazz. Au lieu de continuer à jouer des standards, nombre d’entre eux enregistrent leurs propres compositions, des morceaux dans lesquels on peine à distinguer un thème, une ligne mélodique. Les rythmes ternaires ne semblent pas non plus séduire ces jeunes musiciens qui pour se distinguer évitent soigneusement de partir de ce qui a été fait avant eux. Sous l’appellation jazz se niche ainsi des musiques parasitées par le rock, la techno, l’électro et qui n’ont rien à voir avec le genre. Il en résulte une pléthore d’enregistrements médiocres qui se retrouvent à grande vitesse chez les soldeurs. Le jazz pourtant se porte bien. Grâce à une minorité de musiciens créatifs qui chaque année créent des œuvres fortes que l’on aura toujours envie d’écouter. Je pense bien sûr à la “Tectonique des Nuages”, opéra jazz événement de Laurent Cugny enfin commercialisé. Une quarantaine de bons disques ont fait l’objet de chroniques cette année dans ce blog. J’en ai confié d’autres à Jazz Magazine / Jazzman qui publie ce mois-ci la liste de ses Chocs de l’Année, douze nouveautés, une réédition, un coffret et un DVD. Je compte mettre les miens en ligne à la mi-décembre, juste avant de mettre ce blogdechoc en sommeil jusqu’au début du mois de janvier. Bonnes fêtes à tous.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Le pianiste Dan Tepfer à Radio France (Studio Charles Trenet, 17h30) le 4 décembre et le même soir au Sunside avec son trio américain, Thomas Morgan à la contrebasse et Ted Poor à la batterie. J’aime beaucoup son album en duo avec Lee Konitz, moins son nouveau disque toujours sur Sunnyside. Il l’a peut-être enregistré un peu vite, avant d'en roder les morceaux sur scène. Pour ne pas s’arrêter sur une impression mitigée, on goûtera en concert ses belles idées harmoniques, sa virtuosité délicatement tempérée.
-Le saxophoniste Dave Liebman au Sunside le 6 avec Vic Juris à la guitare, Tony Marino à la contrebasse et Marco Marcinko à la batterie. Au programme : la musique d’Ornette Coleman, grand créateur de thèmes dont certains sont aujourd’hui des standards. Et puis Dave joue aujourd’hui davantage de ténor. Une autre bonne raison pour aller l’écouter.
-Les nombreux jazz fans qui arpentent la rue des Lombards et apprécient Didier Lockwood vont être comblés. Le violoniste en occupe les clubs pendant cinq soirs. Il commence par envahir le Sunside le 8 et le 9 avec ses Jazz Angels, un groupe réunissant le trompettiste David Enhco, le pianiste Thomas Enhco, le contrebassiste Joachim Govin et le batteur Nicolas Charlier, tous de talentueux et prometteurs jeunes musiciens (concerts à 20h et à 22h). Le 10 et le 11 (toujours à 20h et à 22h), Didier retrouve au Baiser Salé le guitariste Jean-Marie Ecay, l’organiste Benoît Sourisse et le batteur André Charlier. Didier achève sa tournée des clubs le dimanche 12 en donnant deux concerts en trio au Duc des Lombards (20h et 22h) avec le guitariste Philip Catherine et le contrebassiste Diego Imbert. Soit trois formations différentes dans trois cadres différents. Une initiative de l’association Paris Jazz Club www.parisjazzclub.net
-Le 9 au Triton, la pianiste Sophia Domancich présente “Snakes and Ladders” son surprenant dernier album construit autour de chansons. John Greaves et Himiko Paganotti prêtent leurs voix à d’inclassables miniatures sonores proches du rock et de la pop anglaise des années soixante et soixante-dix. Les claviers de Sophia et les guitares de Jef Morin entrecroisent les notes d’une musique aussi envoûtante qu’intimiste.
-La présence à Paris du mythique quintette italien de Paolo Fresu est toujours un événement. Le Sunside l’accueille deux soirs de suite, les 10 et 11 décembre. Fondé en 1984 à l’initiative du trompettiste et du pianiste Roberto Cipelli, il prit sa forme actuelle dès l’année suivante et compte aujourd’hui vingt-cinq ans d’existence. Outre Fresu et Cipelli, il réunit Tino Tracanna aux saxophones soprano et ténor, Attilio Zanchi à la contrebasse et Ettore Fioravanti à la batterie. Même si ses très nombreux disques se ressemblent, le dernier “Songlines / Night & Blue” est aussi bon que les autres, ce quintette sous influence – le second quintette de Miles Davis reste sa principale source d’inspiration – enchante toujours par son lyrisme.
-On reste en Italie avec le duo Musica Nuda attendu le 16 au Sunset. Petra Magoni en est la voix et Ferruccio Spinetti la contrebasse. Tous deux parviennent à tenir en haleine leur public par un répertoire éclectique et une parfaite maîtrise de leur art. Petra chante ce qu’elle veut avec une facilité déconcertante. Quant à Ferruccio, sa belle contrebasse chante constamment les notes du rêve.
- Toujours le 16, les curieux iront découvrir le Nagual Orchestra en résidence à l’Âge d’Or, 26 rue du Dr. Magnan 75013 Paris, les troisième jeudi de chaque chaque mois (concert à 20h30). Vainqueur des Trophées du Sunside en 2009, ce quintette prometteur de jeunes musiciens fondé en 1999 par le contrebassiste Mathieu Bloch propose un jazz moderne inspiré. Outre Mathieu, les membres du groupe sont Florent Hubert (saxophone ténor et clarinette), Olivier Laisney (trompette), Alexis Pivot (piano) et David Georgelet (batterie).
- La leçon de jazz d’Antoine Hervé se poursuit également le 16 à 19h30 à l’auditorium Saint-Germain (la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs, faut-il le préciser). Oncle Antoine nous parlera ce mois-ci de Duke Ellington.
- On reste avec Ellington car le même soir, le Duke Orchestra de Laurent Mignard investit l’Entrepôt pour célébrer Noël (à 20h 15 et à 22h). L’orchestre nous promet de nombreuses surprises, raretés et inédits du Duke, standards préférés à la demande… Il comprend de grands solistes dont André Villéger et Nicolas Montier (saxophones) et François Biensan (trompette). Philippe Milanta en est le pianiste, Bruno Rousselet le contrebassiste et Julie Saury la batteuse. Du grand jazz, joué par de talentueux musiciens qui vous transportent au septième ciel. Un concert organisé par l’association La Maison du Duke : www.maisonduduke.com
-On retrouve le saxophoniste André Villéger le 18 décembre à la Maison de Radio France (Studio Charles Trenet à 17h30) pour un concert avec Michel Perez (guitare), Gildas Boclé (contrebasse, il en joue merveilleusement à l’archet) et Arnaud Lechantre (batterie), Boclé et Lechantre constituant la section rythmique du Wared Quartet d’Edouard Bineau, Choc de l’année Jazz magazine / Jazzman.
Au même programme, le Sounds Quartet du contrebassiste Marc Buronfosse n’est pas à négliger. J’ai fait l’éloge de leur album dans ce blog en mai dernier, un recueil de neuf compositions originales admirablement ciselées, chacune d’elles possédant des couleurs spécifiques. Jean-Charles Richard (saxophones), Benjamin Moussay (claviers) et Antoine Banville (batterie) développent avec Marc une musique foisonnante et lyrique qu’il est urgent de découvrir.
-Le 20, TSF organise sa soirée Jazz de l’année à l’Olympia. Depuis plus de deux ans que ce blog existe, cette radio ne communique pas. A-t-elle au moins une attachée de presse ? Il faut pêcher par la bande l’information que je vous retransmets. Outre le big band d’Ivan Jullian comme orchestre de cérémonie, douze formations sont attendues sur scène. Le trio de Jean-Philippe Viret, le duo José James / Jef Neve, l’Edouard Bineau Wared Quartet, David Linx valent à eux seuls le déplacement.
-Le Surnatural Orchestra fête ses dix ans d’existence au Studio de l’Ermitage le 20 et le 21. Difficile de décrire cette fanfare d’une vingtaine de musiciens qui alignent flûtes, trompettes, trombones, saxophones, tuba et soubassophones aux pavillons rutilants. On assiste à un vrai spectacle au sein duquel la petite musique des flûtes accompagne le tonnerre des cuivres, les lignes mélodiques élégantes des anches. Deux concerts évènements à ne pas manquer.
-David Murray le 21 Salle Pleyel pour jouer et célébrer Nat King Cole « en Español ». Son disque n’est pas très bon. Sur scène, c’est une tout autre histoire. Les cordes de la Philharmonie Royale de Flandre enveloppent la voix de la grande Omara Portuando et l’orchestre cubain du saxophoniste joue avec beaucoup de cœur une musique festive et généreuse. Quant à Murray, il peut gronder comme l’orage ou jouer des phrases chaudes et sensuelles qui s’enroulent autour des mélodies Son goût pour les dissonances et les vastes sauts d’intervalle ne l’empêche nullement de privilégier un discours mélodique.
-Enrico Rava revient jouer au Sunside les 27, 28 et 29. On ne change pas un groupe qui fonctionne. Le trompettiste retrouve donc les musiciens qui l’entouraient dans ces lieux en juin dernier. L’aventure continue avec Aldo Romano son vieux complice à la batterie, Baptiste Trotignon qui fait chanter son piano et surprend par ses audaces et Thomas Bramerie dont la solide contrebasse met du liant entre les instruments de l’orchestre et soutient une architecture sonore à la chaleur transalpine.
-Il y a une dizaine d’années Emmanuel Bex, Glenn Ferris et Simon Goubert mêlèrent suavement leurs instruments respectifs, orgue Hammond B3, trombone et batterie, au sein d’un même trio. D’emblée BFG nous ensorcela par sa sonorité, son riche répertoire trempé dans le blues et le gospel. “Here & Now !”, album enregistré chez Naïve et récompensé en 2001 par le Prix Boris Vian de l’Académie du Jazz immortalisa leur rencontre. Le groupe ressuscite le 28 au Sunset, le club qui l’a vu naître.
-C’est à un pré-réveillon de la Saint Sylvestre que nous sommes conviés le 29 décembre au New Morning (un concert produit par le Sunside dans le cadre des festivités que le club organise pour son dixième anniversaire) Au programme : André Ceccarelli (batterie), Pierre-Alain Goualch (piano) et Diego Imbert (contrebasse) invitent David Linx pour nous faire revivre avec émotion l’univers magique et poétique de Claude Nougaro. Le quartette d’Anne Ducros ensuite avec Benoît de Mesmay (piano), Gilles Nicolas (contrebasse) et Bruno Castellucci (batterie) pour nous préparer à une excellente année 2011.
-Maison de Radio France : www.radiofrance.fr
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Baiser Salé : www.lebaisersale.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Le Triton : www.letriton.com
-L’Âge d’Or : www.lagedorparis.com
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
-L’Entrepôt : www.lentrepot.fr
-Olympia : www.olympiahall.com
-Studio de l’Ermitage :www.studio-ermitage.com
-Salle Pleyel :www.sallepleyel.fr
-New Morning : www.newmorning.com
PHOTOS : Piano, Dave Liebman, Paolo Fresu,
Nagual Orchestra, Laurent Mignard, André Villéger, Surnatural Orchestra, David Murray, Aldo
Romano/Enrico Rava/Thomas Bramerie/Baptiste Trotignon, David Linx © Pierre de Chocqueuse - Didier
Lockwood © Thomas Dorn - The Jazz Angels, Antoine Hervé © Philippe Levy-Stab - Sophia Domancich © Simon Goubert - Sounds
Quartet © Laurent Thion