Paul Motian aime bien le Village Vanguard de New York. Il y a enregistré plusieurs albums avec Chris Potter que l’on retrouve ici. Ce dernier intégra très jeune l’Electric Bebop Band de Motian et a souvent l’occasion de jouer avec lui. Le batteur se plait à assembler des formations à géométrie variable, expérimente inlassablement de nouvelles combinaisons sonores ce qui l’oblige à fréquemment modifier le personnel de ses orchestres. Une semaine de concerts en trio au Village Vanguard en février 2009 nous offre la musique d’un trio inédit. Car si Potter et Motian ont souvent travaillé ensemble, le batteur n’a rencontré qu’une seule fois Jason Moran. L’actuel pianiste de Charles Lloyd adopte ici un jeu mélodique et étonne par sa capacité à aborder des styles de jazz très différents. Elève de Jaki Byard, il fut aussi celui d’Andrew Hill et son piano caméléon ne cesse de surprendre. Quant à Motian, il est tout aussi déroutant et imprévisible. Il ne marque pas réellement le tempo, mais fournit un accompagnement sonore percussif, rythme les couleurs qu’il peint sur la musique. Baguettes et balais glissent, frottent, martèlent, caressent peaux et métaux. Affranchi de sa fonction rythmique et devenu voix musicale, l’instrument phrase et module des sons. Les mélodies qu’il porte en lui, Motian en confie les notes aux autres instruments de l’orchestre. Il est aussi l’un des grands compositeurs de thèmes de l’histoire du jazz. A l’écoute de ses voix intérieures, il sait recueillir la musique et la placer dans des thèmes évidents et simples qui portent en eux leur propre perfection. Seul standard de l’album, Be Careful It’s My Heart s’intègre parfaitement aux autres ballades de l’album, toutes composées par Motian. Certaines sont anciennes. Abacus et Drum Music figurent sur “Voyage“, mais aussi sur “Intérieur Nuit“, un disque de Stephan Oliva librement rythmé par Motian. Les deux thèmes aux lignes mélodiques abstraites génèrent de libres improvisations de la part des musiciens et des solos de batterie conséquents. Une autre version de Ten existe sur “Live at the Village Vanguard Vol.II“ enregistré avec Chris Potter. Birdsong apparaît sur “Tati“, un disque en trio d’Enrico Rava dans lequel joue également Motian. Le pianiste n’est plus seul à décliner le thème (Stefano Bollani l’interprète en solo dans le disque de Rava), Chris Potter l’expose, Jason Moran dessine des variations mélodiques dont s’empare le ténor pour mieux décoller. Soliste d’envergure, le saxophoniste possède une sonorité puissante et donne du relief aux mélodies du batteur auxquelles il ajoute un grand poids émotionnel. Livrées à l’imagination de trois solistes capables de créer beaucoup d’espace et d’en combler les vides avec du silence, ces dernières affirment la poésie d’une écriture particulièrement inventive.