Novembre : malgré un budget réduit, le festival Jazz en Tête parvient à faire venir les meilleurs jazzmen de la planète. Il ne dure que 5 jours, en est à sa 24ème édition et rassemble tous ceux qui souhaitent entendre du jazz dans un festival de jazz. Ce n’est pas si fréquent. Lors de leur périple estival, les Michu ont maintes fois frôlé la crise cardiaque, la viole de gambe des Carpates ou le Bongo Balalaïka Techno Jazz Band leur ôtant tout moral. Certains de le retrouver à Clermont-Ferrand, Monsieur et Madame Michu ont fait le déplacement et occupent les premiers rangs de la Maison de la Culture. Leurs fauteuils sont si confortables qu’ils ne remarquent pas les lascars qui les entourent, Jean-Paul descendu de Paris pour Jacky Terrasson et son ami Bajoues Profondes, râleur impénitent. Lorsqu’il ne rêve pas à ses prochaines émissions de Jazz à FIP, à celle qu’il prépare pour le 13 novembre, Philippe Etheldrède prend des photos. Entre deux critiques acerbes, Jean-Paul ronfle. Les Michu se tassent sur leurs sièges, de peur de déranger. Bajoues Profondes n’aime pas la musique qu’il entend, regrette Count Basie et Duke Ellington, Stan Getz et Dizzy Gillespie. « C’était mieux avant » explique-t-il aux Michu qui apprécient, réclament des rappels. Ils se rendront aux jam-sessions qui se tiennent en face, dans l’hôtel où je loge avec les musiciens. Quant à Bajoues Profondes, le ciel est en train de l’exaucer. Par sa délicieuse attachée de presse, Agnès Thomas, Sony Music vient de me faire parvenir un très bon disque d’Oscar Peterson en solo, “Unmistakable”. Grâce à un système de reproduction haute résolution, le piano, un Bösendorfer Impérial magnifiquement accordé, joue tout seul la musique d’Oscar. L’ordinateur contrôle le clavier, les pédales, l’instrument restituant avec une richesse stupéfiante des concerts inédits du pianiste. Si Jean-Paul reste sceptique, Bernard jubile. Ses robots deviennent réalités. Correctement informé, l’ordinateur fournira demain des nouvelles compositions de Charlie Parker, Charles Mingus ou Miles Davis. Confiés à des machines intelligentes, les instruments pourront les jouer comme si leurs auteurs étaient toujours vivants. Ne vient-on pas d’annoncer que la médecine était en mesure de régénérer nos vieilles cellules, leur donner une nouvelle jeunesse, rendre à nos vieilles peaux leur souplesse primitive ? Manipulation génétique, manipulation sonore, le progrès nous tombe dessus à la vitesse d’un TGV. Pour du bon jazz éternellement ?
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Fred Hersch au Sunside les 3 et 4 novembre. Avec lui le trio qui a enregistré “Whirl“, l’un des meilleurs disques de l’an passé (Choc Jazz Magazine / Jazzman du mois de septembre 2010). John Herbert à la contrebasse et Eric McPherson à la batterie connaissent bien les tours de passe-passe du pianiste, l’un des meilleurs de la planète jazz, et sont parfaitement aptes à y répondre. Les amateurs ne manqueront pas ces soirées prometteuses.
-Le 7 à 19h30, Antoine Hervé consacre sa leçon de jazz à Ella Fitzgerald. Avec Deborah Tanguy qui enseigne le chant depuis de nombreuses années pour célébrer Ella. Sa photo passe bien dans mon blog. Oncle Antoine ne m’en voudra sûrement pas de ne pas mettre la sienne ce mois-ci. Maison des Pratiques Artistiques Amateurs, auditorium St. Germain, 4 rue Félibien 75006 Paris.
-Une photo de Philippe Etheldrède prise à Clermont-Ferrand lors du récent festival Jazz en Tête. Gregory Porter y donna son premier concert sur le sol français. On pourra l’écouter au Duc des Lombards, le 7 et le 8 avec Chip Crawford au piano, Aaron James à la contrebasse et Andrew Atkinson à la batterie. Nouveau venu du jazz vocal, Porter envoûte par sa voix de baryton chaude et puissante. Joe Williams, Jimmy Witherspoon, Sam Cooke et Marvin Gaye ont influencé le chanteur dont le jazz se teinte de soul et de gospel. Pour vous en convaincre, écoutez “Water”, (Motéma / Integral), une vraie réussite !
-Steve Swallow (basse électrique, faut-il le préciser) en quintette au New Morning le 9. Avec Carla Bley à l’orgue, Chris Cheekau saxophone ténor, Steve Cardenas à la guitare et Jorge Rossy à la batterie. Ce dernier joua longtemps avec Brad Mehldau qui tient le piano dans “Blues Cruise”, un excellent disque de Chris Cheek. On reste donc en famille, avec d’excellents musiciens constituant une formation inédite qui ne peut que surprendre.
-Depuis quelques années Kenny Werner mène à bien des projets très différents. Un disque surprenant pour Blue Note en 2007, des enregistrements live en trio et en quintette, des travaux en grand orchestre, notamment avec le Metropole Jazz Orchestra et le Brussels Jazz Orchestra (le récent “Institute of Higher Learning”, Choc Jazz Magazine / Jazzman ce mois-ci), sans oublier “New York – Love Songs” en solo, premier disque de la série Jazz and the City, le pianiste ne chôme pas. Le Duc des Lombards l’accueille le 11 et le 12. En trio avec Johannes Weidenmueller à la contrebasse et Dan Weiss à la batterie.
-Sonny Rollins à l’Olympia le 14 (20h00). Je l’ai écouté à Vienne l’été dernier. Le colosse souffle toujours des notes volcaniques et n’a rien perdu de son énergie. S’il se déplace avec difficulté, il possède toujours un son énorme et des idées mélodiques intarissables. Il fait confiance à sa section rythmique pour encadrer et faire tourner sa musique. Depuis deux ans le batteur Kobie Watkins assure un drumming inventif. L’inusable Bob Cranshaw semble avoir retrouver sa contrebasse et les congas de Sammy Figueroa rythment les nombreux calypsos qu’affectionne le ténor. Peter Bernstein complète la formation à la guitare. Il parvient à placer quelques chorus lorsque Rollins, qui n’aime guère passer la main, éprouve le besoin de récupérer des marathoniennes improvisations qu’il pousse jusqu’au vertige.
-Le quartette de Pascal Schumacher à l’Institut Hongrois de Paris le 15 (20h00) dans le cadre du Festival JazzyColors, et au Duc des Lombards le 17. Franz von Chossy au piano, Christophe Devisscher à la contrebasse et Jens Düppe à la batterie accompagnent le vibraphoniste luxembourgeois qui se fit connaître en 2002 par ses concerts au Sounds Jazz Club de Bruxelles. Avant d’entamer une brillante carrière sous son nom, Jef Neve fut longtemps le pianiste de la formation. “Bang My Can” leur dernier album est plus proche du rock, mais sur scène, le groupe joue aussi d’anciens morceaux et séduit par la richesse de ses timbres, sa musique très soignée.
-Dan Tepfer en solo au Sunside le 21 à l’occasion de la parution de l’album “Goldberg Variations / Variations” (Sunnyside), improvisations autour des célèbres “Variations Goldberg” de Bach que Dan découvrit à l'âge de onze ans jouées par Glenn Gould. Elles ont toujours été proches de lui. Il les reprend avec transparence, traduit les émotions qu’elles expriment, mais y ajoute sa propre voix, son propre vocabulaire harmonique. Les pièces rapides nécessitent beaucoup de virtuosité, mais ce sont dans les mouvements lents, lorsque Dan joue son propre piano, qu’il exprime le mieux son attachement à Bach et à sa musique.
-Véritable big-band au sein duquel les cuivres et les saxophones sont assurés par les voix, les Voice Messengers retrouvent une scène parisienne après trois ans d’absence, celle du Théâtre de l’Européen qui les accueille les 21 et 22. La formation comprend les chanteuses Chloé Cailleton, Rose Kroner, Amélie Payen et Solange Vergara. Les chanteurs sont Sylvain Belgarde, Larry Browne, Manu Inacio et Vincent Puech. Gilles Naturel à la contrebasse et François Laudet à la batterie assurent la section rythmique. Au piano Thierry Lalo signe les arrangements, mais aussi les musiques de quelques poèmes de Guillaume Apollinaire, Charles Baudelaire et Oscar Milosz. Le répertoire comprend également des compositions de Jean-Loup Longnon, Glenn Ferris, Tom Harrell et des standards dont le fameux Stolen Moments d’Oliver Nelson. Leur album “Lumières d’automne” a reçu en 2007 le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz.
-Ne manquez pas le concert que donnera le saxophoniste Michel El Malem au Sunside le 24. “Reflets” son second album est une des bonnes surprises de la rentrée. Pour jouer ses compositions, Michel garde les musiciens qui l’accompagnent dans “First Step” son disque précédent - Michel Felberbaum à la guitare, Marc Buronfosse à la contrebasse, Luc Isenmann à la batterie - , mais introduit un cinquième élément dans le groupe, Marc Copland. Son piano apporte d’autres couleurs, enrichit un discours musical au sein duquel règne l’échange, l’écoute mutuelle, le saxophoniste (ténor et soprano) privilégiant la clarté de la ligne mélodique à la virtuosité.
-Larry Willis au Duc des Lombards les 25 et 26. Né en 1942, il étudie le chant avant d’apprendre le piano en autodidacte et de jouer dans les clubs de jazz de New York avec Eddie Gomez et Al Foster. Larry a alors 17 ans. Deux ans plus tard, le saxophoniste Jackie McLean l’engage dans sa formation. Il tient le piano dans “Right Now !” (1965), sa première apparition sur un disque. Plus de 300 albums suivront. Lee Morgan, Dizzy Gillespie, Woody Shaw, Stan Getz, Carmen McRae, Shirley Horn feront appel à ses services, le pianiste enregistrant beaucoup pour les labels Audioquest, Steeplechase, Evidence et Mapleshade dont il assume la direction musicale depuis 1992. Les apparitions du pianiste sur des scènes françaises sont rares. L’écouter au Duc en trio avec Steve Novosel à la contrebasse et le jeune Billy Williams à la batterie est une opportunité qui ne se refuse pas.
-Publié en 1981, “Pirates” interpelle par sa pochette, une superbe photographie de Brassaï. Le disque contient huit chansons inspirées confiées à des musiciens de la scène rock californienne (les guitaristes Dean Parks et Steve Lukather) mais aussi à des jazzmen. Randy Brecker, David Sanborn et Tom Scott assurent les vents. Russell Ferrante, Donald Fagen (Steely Dan), et Rob Mounsey jouent des claviers. La section rythmique se voit confiée à Chuck Rainey et Steve Gadd et les arrangements de Skeletons et The Returns à Ralph Burns. Rickie Lee Jones, vingt-sept ans à l'époque, signe l’un des meilleurs albums d’une carrière qui l’a souvent vu flirter avec le jazz. “Girl at her Volcano” (1983) contient une reprise émouvante de My Funny Valentine et “Pop Pop” (1991) bénéficie de la contrebasse de Charlie Haden, Joe Henderson soufflant du ténor dans Dat Dere et Bye Bye Blackbird. Avec ses musiciens, la chanteuse interprétera “Pirates” le 27 Salle Pleyel.
-Jazz, rock, blues, country music, Bill Frisell touche à tout et surprend par la diversité de ses projets. Son 858 Quartet est un quartette à cordes au sein duquel il joue bien sûr de la guitare. Jenny Scheinman au violon, Eyvind Kang à l'alto et Hank Roberts qui tient le violoncelle complètent la formation dont l’album “Sign of Life” s’est fait remarqué. Frisell a depuis sorti un nouveau disque consacré aux chansons de John Lennon. Au sein du 858 Quartet, il mélange les genres, mais exprime une musique profondément enracinée dans le sol de l’Amérique. Le groupe sera au New Morning le 28.
-Harold Mabern en trio au Sunside les 28, 29 et 30 novembre avec John Weber à la contrebasse et Joe Farnsworth à la batterie. Lui aussi joue rarement à Paris. Originaire de Memphis comme Phineas Newborn son mentor, il pratique un piano virtuose aux notes abondantes, joue de longues lignes mélodiques élégantes. Très actif dans les années hard bop, Mabern travailla avec Donald Byrd, Miles Davis, Lee Morgan, Freddie Hubbard, Sonny Rollins, Jay Jay Johnson et fut membre du Jazztet que co-dirigeaient Art Farmer et Benny Golson.
-Faire découvrir des artistes peu connus en dehors de leur pays d’origine, c’est le projet du festival Jazzycolors qu’organise 16 centres culturels étrangers. Pendant trois semaines, du 8 au 30 novembre, ces derniers proposent 17 concerts dans divers lieux de la capitale parmi lesquels l’ambassade du Portugal, l’Institut Hongrois et le Goethe Institut. Placé sous la présidence de Daniel Humair lors de sa création en 2002, le festival est parrainé par Bojan Z depuis 2008. Confié à ce dernier, le concert d’inauguration aura lieu le 8 au centre culturel de Serbie. Les musiciens qui se produisent cette année ne nous sont pas tous inconnus. Christian Muthspiel, Jordan Officer, Pascal Schumacher et la pianiste Julia Hülsmann font déjà parler d’eux. Renseignements : www.jazzycolors.net
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-New Morning : www.newmorning.com
-Olympia : www.olympiahall.com
-Théâtre de l’Européen : www.leuropeen.info
-Salle Pleyel : www.sallepleyel.fr
PHOTOS :Micros insectes, Fred Hersch, Sonny Rollins, Pascal Schumacher, Dan Tepfer, Sunset / Sunside © Pierre de Chocqueuse - Gregory Porter, Steve Swallow © Philippe Etheldrède - Kenny Werner © Kenny Werner 2011 - The Voice Messengers © Laurent Mignaux - Michel El Malem © Fred Monneron - Larry Willis © Mapleshade Records - Ricky Lee Jones © Dave Barnum - Bill Frisell 858 Quartet © Michael Wilson - Harold Mabern © David Katzenstein - Deborah Tanguy, © X/D.R.