Dans les notes de livret qu’il a tenu à rédiger lui-même, Philippe Pilon avoue avoir pris tout son temps pour préparer ce disque, son premier. Il souhaitait y apporter ses propres compositions, en peaufiner les arrangements pour que son album ne soit pas un simple objet de consommation parmi tant d’autres albums oubliables. Philippe a eu bien raison, car il se distingue immédiatement des autres par un swing jubilatoire qui manque à de nombreuses productions actuelles. Non qu’il faille nécessairement associer au jazz le balancement de la syncope - certains disques de jazz moderne ne swinguent pas ce qui ne les empêche pas d’être excellents - , mais à une époque de confusion des genres, l’emploi de cette pulsation souple et (re)bondissante abusivement associée au seul jazz classique (il en marqua certes l’histoire), procure un plaisir indicible. Etrange parcours que celui de ce saxophoniste qui, après une adolescence consacrée au rock, au ska et au reggae, découvre à 18 ans le jazz de Lester Young, avec A Ghost of a Chance - « un choc profond » - qu’il ne pouvait manquer inclure dans son répertoire. Le saxophone, Philippe Pilon le pratique dès sa jeunesse. Il a huit ans lorsqu’il choisit de l’étudier, commence par l’alto puis adopte le ténor. Il enseigne aujourd’hui l’instrument dans différentes écoles et conservatoires et en milieu scolaire. Ce disque a d’ailleurs été enregistré dans le théâtre du centre culturel Athénée de Rueil-Malmaison. Philippe y donne des cours depuis 1997 et s’y sent parfaitement à l’aise. La musique de “Take It Easy” témoigne de cet état d’esprit. Le saxophoniste l’aborde avec douceur et décontraction. Ses phrases élégantes et souples s’attachent à l’esthétique. Hantées par le blues, ses improvisations mélodiques en profitent. Dans son texte, Philippe révèle que ses idées musicales lui viennent en marchant. Il chante et rythme de ses pas les mélodies qu’il invente, trouvant ainsi pour elles le meilleur tempo possible. Avec Pierre Christophe au piano, Raphaël Dever à la contrebasse et Guillaume Nouaux à la batterie, il dispose d’un excellent quartette que complètent dans certaines plages les trompettistes Julien Alour et Jérôme Etcheberry. De bons compagnons de jeu, l’aspect ludique de la musique recouvrant d’un voile pudique les difficultés techniques rencontrées. Le thème qui donne son nom à cet enregistrement est un riff inspiré par un solo de Lester. Egalement composé par Philippe, Sulkin’ se base sur les harmonies de Honeysuckle Rose. Le tempo est vif dans Never too Late et les chorus fiévreux se succèdent jusqu’à la coda. La belle trompette de Julien Alour expose le thème à l’unisson du ténor puis le laisse s’envoler. Celle plus classique de Jérôme Etcheberry s’invite dans trois autres morceaux. Marqué par le blues, Ghost Town et son thème aérien bénéficient d’une walking bass efficace et d’un piano inventif. L’Elfe, calypso au swing irrésistible, donne réellement envie de danser. Musicien caméléon, Pierre Christophe maîtrise blockchords et jeu en single notes, joue aussi bien un piano modal que du blues et du bop et fait merveille dans cette séance. Outre A Ghost of A Chance, superbe ballade qu’interpréta Lester et que chantèrent aussi Billie Holiday et Ella Fitzgerald, ce disque renferme I Found A New Baby et Blue Turning Grey Over You, standards que l’amateur de jazz affectionne. Il permet de découvrir les compositions et le chant d’un saxophoniste que l’on aurait tort d’ignorer.