LUNDI 8 février
François Couturier en solo à la Maison de la Poésie. La salle de 150 places convient bien à sa musique intimiste. Sur scène, un Steinway de concert n’attend que le pianiste. Ce dernier vient de sortir un nouveau disque. Intitulé “Un jour si blanc“, il se présente comme le second volet d’une trilogie. Son titre porte le nom d’un poème écrit par le père du cinéaste Andreï Tarkovski : « Dix-sept impressions intimes (...) peuplé(es) des grands artistes qui me sont le plus proches : Rimbaud, Miró, Kandinsky, Klee, Schubert, Bach bien sûr, et Andreï Tarkovski…». Un univers intensément poétique qui s’éloigne du jazz, ce dernier restant toutefois présent dans le phrasé du pianiste, les longues lignes mélodiques qu’il improvise. Le swing se fait rare dans cette musique austère sur laquelle souffle un grand vent d’hiver. Musique du silence, blanche et immaculée, véritable “Pays de Neige“ pour reprendre le titre d’un merveilleux roman de Yasunari Kawabata, elle possède la spiritualité du zen. En rappel, François Couturier improvise sur La Neige, une pièce de Tôru Takemitsu, compositeur de nombreuses musiques de films parfois influencé par l’impressionnisme de Claude Debussy. Inspiré par la musique classique européenne dont il emprunte le vocabulaire harmonique, François Couturier aurait très bien pu sortir ce disque sur le catalogue ECM New Series sans que personne ne trouve à redire. Sur scène, comme sur disque, il improvise sur un choral de Bach, esquisse dans Lune de miel des phrases d’un grand lyrisme. Par les soirs bleus d'été fait penser à une oeuvre d’Erik Satie. Les cadences martelées de certains morceaux évoquent certaines sonates de Serge Prokofiev. Contrairement à un compositeur “classique“, François ne fige pas les mélodies qu’il écrit. Bien au contraire, elles lui servent à improviser au gré de ses idées, à transmettre les émotions qu’il garde en mémoire. Son piano évoque ainsi constamment des images, celles d’un film aux scènes très contrastées. Les magnifiques couleurs harmoniques de ses mélodies voisinent avec des pages orageuses et abstraites. Au doux balancement que murmure de jolies notes perlées succède le grondement des graves du clavier (Clair-obscur). Le pianiste se fait peintre et décrit précisément avec ses notes les paysages variés qu’il imagine. La plupart sont des miniatures qui se suffisent à elles-mêmes. François Couturier prend aussi son temps pour décliner ses mélodies. Intitulées Sensation, Un jour si blanc, Par les soirs bleus d'été, elles plongent plus profondément l’auditeur dans le rêve.
MARDI 9 février
Publié chez Dreyfus Jazz, “Origine“ réunit onze compositions d’Aldo Romano. Arrangées par Lionel Belmondo, elles ont été confiées à l’ensemble Hymne au Soleil qui rassemble bugle, flûte, clarinette ou clarinette basse, cor, cor anglais, basson et tuba. A cela s’ajoute une section rythmique (Aldo bien sûr en est le batteur), un piano, un saxophone alto (Géraldine Laurent sur le CD), le soprano, le ténor et les flûtes que joue Lionel. C’est donc un orchestre conséquent qui s’est produit plusieurs soirs au Sunside. Comme le disque, le concert s’ouvre par un arrangement particulièrement envoûtant de Silenzio, relecture instrumentale de Sans un mot, naguère chanté par Aldo. L’instrumentation, inhabituelle pour un orchestre de jazz, lui confère une gravité majestueuse. Thomas Savy s’autorise un long solo de clarinette basse. Au bugle, Stéphane Belmondo reste le principal soliste d’une formation qui, sur scène, allonge les morceaux par de longues improvisations qui donnent de l’ampleur à la musique. Les frères Belmondo, mais aussi Franck Avitabile (pour ces concerts, il remplace Eric Legnini au piano) se partagent la plupart des chorus. Franck en prend un magnifique dans Pasolini et pousse l’audace d’en doubler le tempo. Aldo en composa le thème à la mort du cinéaste. Il l’avait rencontré à Rome dans l’appartement qu’Elsa Morante partageait avec ses nombreux chats. Enregistré par Jean-Pierre Mas et Césarius Alvim (“Rue de Lourmel“), puis par Michel Petrucciani (“Estate“), Pasolini repose sur une mélodie évidente. Cette denrée (une mélodie n’est-elle pas une sorte de nourriture céleste, un don du ciel) qui aujourd’hui se fait rare dans le jazz, Aldo nous en apporte depuis toujours de très belles, d’où le réel bonheur que l'on éprouve à l’écoute de certaines plages de son disque. Outre le formidable Silenzio, “Origine“ contient de superbes ballades (Touch of a Woman, Dream and Waters, cette dernière souvent reprise et initialement enregistrée pour Owl Records en 1991 avec Paolo Fresu à la trompette et le regretté Michel Graillier aux synthétiseurs) et de beaux hommages à Michel Petrucciani et Elis Regina. On en oublie presque les faiblesses de l’album, les arrangements moins réussis de Starless Night, Jazz Messengers et Il Camino, ce dernier thème perdant la magie que lui confère le bandonéon de Michel Portal dans “Il Piacere“. Photos de François Couturier et celles réunissant Franck Avitabile, Aldo Romano, Lionel et Stéphane Belmondo © Pierre de Chocqueuse